ArcelorMittal : L’expropriation, c’est maintenant !

Ataulfo Riera 26 janvier 2013

Il n’aura pas fallu attendre 4 mois après la mise à mort de la phase à chaud de la sidérurgie liégeoise pour que la phase à froid commence à subir le même sort. L’annonce brutale de la suppression de 1.300 emplois sur 2.100 dans le « froid », avec la fermeture de 7 sites sur 12, s’inscrit dans la pure logique financière d’une multinationale sans scrupule (pléonasme) qui a opté pour un recentrage stratégique de ses activités. Ceux qui ont la « chance » de rester ne sont que des condamnés en sursis.

Les milliers de travailleurs et travailleuses concernés directement ou indirectement, leurs proches, leurs espoirs, l’activité économique d’une région et leur savoir faire, tout cela ne pèse pas lourd aux yeux de capitalistes poussés par la logique inhumaine de la soif du profit sans fin ni limite.

Les signes avant coureurs étaient clairs : l’évacuation précipitée de 7.000 tonnes de bobines, cette volonté de passer en force le volet « social » de la procédure Renault pour les licenciements de la phase à chaud sans conclure le volet industriel, la désorganisation de la filière froide, etc. Et non content de pratiquer un massacre social à grande échelle après avoir empoché depuis des années plusieurs centaines de millions d’euros en subsides, exonérations fiscales et intérêts notionnels, la direction d’ArcelorMittal a en outre le toupet de réclamer 8,23 millions d’euros à la Région wallonne en quotas de CO2 non utilisés !

Une fois de plus, les promesses d’investissements proférées pour garantir la pérennité du froid n’étaient que du vent, une manière de temporiser et de balader pouvoirs publics et syndicats alors que la décision était prise depuis longtemps. L’auto-aveuglement avec lequel certains syndicalistes ont semblé y croire est la conséquence directe de l’absence de volonté de mener une stratégie de lutte et de mobilisations offensives, tout en faisant confiance à leurs « amis politiques ».

Bal des hypocrites

L’annonce de la direction d’Arcelor a donné lieu à des réactions des partis traditionnels et du gouvernement qui ont de quoi écœurer les travailleurs concernés. On a le sentiment d’assister à un concours de celui qui aura le mot le plus dur à l’égard de Mittal. Le frais émoulu président du PS Magnette a parlé de « trahison » et de « lâcheté », le MR exige la « fermeté », le CDH « s’indigne » tandis que le député bourgmestre de Seraing Alain Mathot (PS) qualifie Mittal de « crapule » et d’ « arnaqueur ». [1]

Or, tous ces partis, ainsi que les pouvoirs régionaux et fédéraux, portent une très lourde responsabilité dans la situation actuelle. Ce sont eux qui ont revendu Cockerill pour une bouchée de pain au privé en 1998. Ce sont eux qui ont accueillis Mittal à bras ouverts en 2006 et l’ont comblé de cadeaux fiscaux depuis lors. Et cela fait des mois qu’ils savaient ce qui allait arriver et ont accepté la mort de la sidérurgie liégeoise sans bouger le petit doigt.

Derrière l’avalanche de mots « virils », les actes ne sont évidement pas au diapason. Pour le ministre-président wallon Rudy Demotte, il s’agit surtout de « limiter au maximum la casse », sans remettre en question donc la décision de Mittal. Pour le ministre wallon de l’économie Jean-Claude Marcourt, « La piste privilégiée, c’est effectivement celle d’un repreneur disposant d’un plan industriel », autrement dit ; trouver un nouveau requin capitaliste qui profitera de l’aubaine pour exiger de nouveaux sacrifices aux travailleurs en échange de sa « bonté ».

Le problème, avec cette « piste privilégiée », c’est que Mittal n’est absolument pas candidat à la vente de ses sites liégeois. Pour la multinationale, il ne s’agit pas de fermer des lignes de production « non rentables », mais bien de limiter la production d’acier européenne afin de faire monter les prix, tout en recentrant son « core business » en dehors du continent en investissant dans l’exploitation, plus rentable, des matières premières. Il n’est donc pas question pour elle de permettre qu’un concurrent reprenne ses outils.

Pas un euro pour Mittal !

Après celle de la phase à chaud, la mise à mort programmée du froid remet à l’ordre du jour la nécessité immédiate d’une expropriation des sites d’ArcelorMittal à Liège et leur nationalisation. L’argument du « manque de moyens » des pouvoirs publics ne tient pas la route : si l’argent existe (pour sauver les banques par exemple…), le principal n’est pas là : au vu des milliards de bénéfices accumulés depuis des années par ArcelorMittal avec la sueur des travailleurs et des millions reçus en pure perte en cadeau avec l’argent du contribuable, ce n’est que juste que l’expropriation se fasse sans indemnité, ni rachat.

L’obstacle du refus d’ArcelorMittal à céder l’outil quant à lui ne peut être levé que par une autre incursion directe contre le droit de propriété privée des moyens de production capitalistes, autrement dit par la réquisition immédiate des sites. C’est ce que le secrétaire général de la FGTB wallonne, Thierry Bodson, a évoqué [2] en incitant le gouvernement régional à « réquisitionner » les usines fermées.

On ne peut qu’approuver en entendant un représentant syndical dire sans langue de bois quelle est la seule solution viable pour les travailleurs. Cependant, l’incitation ne suffira pas si elle ne s’accompagne pas de la construction d’un rapport de forces face à la direction et à la Région wallonne. Rapport de forces qui, pour un tel objectif de réquisition, ne peut passer que par l’occupation active des sites par les syndicats et les travailleurs auto-organisés en comités de grève, avec le soutien tout aussi organisé et actif de la population.

Nationaliser, puis revendre au privé ?

On oppose à une expropriation/nationalisation les règlementations européennes néolibérales. Pour certains, cet argument est avancé comme un prétexte pour empêcher toute alternative favorable aux travailleurs. Pour d’autres, la solution ne peut venir que d’une modification des Traités européens. On fera d’abord remarquer que les Etats membres gardent malgré tout une liberté de manœuvre et de souveraineté quand cela les arrange, ne serait-ce que lorsqu’il s’agit de mener des opérations militaires impérialistes, comme au Mali aujourd’hui.

Si le rapport de forces pour les travailleurs doit nécessairement se modifier à l’échelle internationale par la convergence des luttes entre les sites d’Arcelor, on ne peut non plus faire confiance aux institutions européennes ni attendre un changement hypothétique des Traités, qui nécessite l’unanimité des Etats membres. Il faut bien commencer quelque part, en « donnant l’exemple », en imposant une expropriation/nationalisation qui passe outre des règles établies à l’échelle européenne.

La CSC et la FGTB semblent déterminés à « jeter dehors » Mittal en affirmant que « la nationalisation est LA solution ». Mais il s’agit surtout d’envisager une « relance d’une sidérurgie intégrée avec une large maîtrise par les pouvoirs publics en collaboration avec d’autres sidérurgistes européens de taille moyenne ». [3]

Autrement dit, il ne s’agirait pas d’une nationalisation « pure », à 100% publique, et encore moins sous le contrôle des travailleurs. Et elle ne serait nullement « définitive ». Selon Thierry Bodson : « Bien entendu, si demain il y a un repreneur privé sérieux et autre qui se présente, il faut voir soit si le public vend l’entièreté de ses participations soit une partie de ses participations au privé qui se présenterait. Mais le portage public doit permettre surtout, durant une période qui peut être de plusieurs mois, de garantir l’activité et de faire en sorte qu’il y ait une attractivité pour les repreneurs potentiels » [4]

Si pour les pouvoirs publics la « piste privilégiée » est de trouver rapidement un repreneur privé, pour les directions syndicales, il s’agit plutôt de presser ces mêmes pouvoirs publics pour qu’ils interviennent et reprennent l’outil en mains… quitte à le remettre plus tard dans les mains du privé !

Or, le passé de la sidérurgie liégeoise à largement démontré le caractère néfaste d’une telle voie. Comme nous l’écrivions en octobre dernier : « aucune confiance n’est possible envers la Région wallonne ou l’Etat fédéral : une nationalisation sous contrôle ouvrier est donc indispensable » [5] afin d’éviter le scénario classique d’une « socialisation des pertes et d’une privatisation des profits ».

Anne Demelenne, la secrétaire générale de la FGTB, a déclaré qu’il « était temps que l’Etat change de cap et assure le rôle de régulateur et de levier économique. (…) Les Etats, les gouvernements doivent reprendre la main ». [6]

Il serait temps de dire (et de le faire) que c’est aux travailleurs eux-mêmes, et à eux seuls, de « reprendre la main ». Si l’on dit, comme le font à juste titre les syndicats, que « Cockerill appartient aux travailleurs », alors il faut aller jusqu’au bout de cette vérité et de sa logique.

Et un tel objectif ne peut être obtenu que par un plan d’action et de mobilisations qui soit à sa hauteur : par la grève avec occupation active des sites, par une coordination de la lutte à l’échelle belge - par sa convergence avec d’autres luttes, comme Ford Genk- et à l’échelle européenne avec les travailleurs des autres sites d’Arcelor, à commencer par ceux de Florange en France et ceux de Rodange et Schifflange au Grand-Duché du Luxembourg.