Après le vote du budget : Le PS sur la pente savonneuse

Jean Peltier 17 décembre 2012

Après un mois de cris, de douleurs et de contractions, le gouvernement Di Rupo a fini par accoucher d’un budget pour l’année 2013. Logique qu’après un tel calvaire, tous les partis de la coalition se réjouissent du résultat obtenu. Mais les accents varient très fort. Et le PS est sur une pente très savonneuse…

Les libéraux, sans jubiler trop ouvertement (pour ne pas compliquer encore la tâche de Di Rupo), se réjouissent d’avoir évité une hausse de la TVA et une cotisation de crise - sans même parler d’une fiscalité un peu plus contraignante pour les gros revenus ou d’un impôt sur la fortune - et d’avoir emporté la modération salariale et un nouveau tripotage de l’index qui ouvre la voie, dans un avenir pas trop lointain, à une vraie remise en cause de celui-ci. Et, au-delà de mesures concrètes, les libéraux ont toutes les raisons de se réjouir d’un budget qui, en deux ans, va faire perdre 747 millions aux salariés et allocataires sociaux tout en faisant empocher 1.811 millions aux patrons et actionnaires (voir Budget 2013 : Di Rupo, un Robin des Bois à l’envers).

Du côté socialiste, on préfère ne pas trop insister sur les mesures prises et on se la joue plutôt « responsables et résistants ».

Responsables : comme le dit le grand patron lui-même, « en ces temps économiques incertains (…), la tâche du gouvernement n’est pas facile. Car il n’existe pas de solution miraculeuse. C’est à l’aune du faisable et du nécessaire que notre action doit être jugée. » [1]

Mais aussi « résistants : « Si nous n’avions pas été à la table, les tableaux auraient duré trois jours au lieu de trente et on avait la liste complète des horreurs. » [2] déclare un responsable du PS, rejoint par un autre, qui, lui aussi, préfère garder l’anonymat (on peut le comprendre !) : « Ce n’est pas un budget « positif », il faut le reconnaître, mais, face à l’austérité dominante, nous avons bien résisté, voilà l’essentiel…. » [3].

Responsables et résistants pour un résultat douloureux mais correct et défendable : voilà donc le profil qu’a choisi le PS pour se sortir de ce pas difficile. De là à ce qu’il soit convainquant, c’est une autre histoire.

Le PS « complice » dévisse dans les sondages…

Depuis un an, la PS, serré autour de son premier ministre et ex-président, gère donc sans trop d’état d’âme la politique d’austérité de la Belgique. Pour les travailleurs et les chômeurs, les trois points forts en auront été la restriction des conditions d’accès à la prépension, la dégressivité des allocations de chômage et le gel des augmentations salariales. Un beau tableau de chasse ! Qui ne passe évidemment inaperçu auprès de tous ceux qui en sont les victimes… et qui constituent le gros de l’électorat du PS.

Il n’y a donc rien d’étonnant si le PS paie le prix de cette politique. Organisés tous les trois mois, les sondages regroupés sous le nom de Grand Baromètre RTL-Ipsos-Le Soir permettent de chiffrer les dégâts. La dernière édition [4] ne laisse aucun doute sur l’impopularité grandissante de la politique de Di Rupo 1er. En Wallonie, le PS a obtenu 37,6 % des voix aux élections fédérales de juin 2010. Après six mois de crise politique et un an de gouvernement, le PS est crédité de 32,3 % par le dernier sondage. Soit une perte de 5,3 % en un an. Ou, pour le dire autrement : 14% de ses électeurs wallons - un sur six ! – se sont fait la malle en un an. La situation n’est guère meilleure à Bruxelles. Le PS y passe de 27,3% en juin 2012 à 24,1% d’intentions de vote fin novembre, une perte de 3,2%, soit 12% de ses électeurs bruxellois de 2010.

Etonnamment, le PS ne recule pas entre mi-août et mi-novembre. Mais ce sondage a été réalisé pendant la discussion du budget. On peut parier qu’une fois les mesures annoncées et d’application, la glissade va reprendre. Car le sondage ne laisse planer aucun doute : il donne au gouvernement la plus mauvaise cote de confiance depuis son entrée en fonction il y a un an [5]. Et les cotes les plus mauvaises vont à sa politique en matière d’emploi et de maintien du pouvoir d’achat. Il y a peu de chances que le budget la fasse remonter !

…tandis que le PS « frein » énerve à droite

Cependant, si le PS a accepté tout ce qui précède, il serait faux de le présenter comme étant sur la même longueur d’onde que le MR ou l’Open VLD. Si les négociations ont duré aussi longtemps, c’est qu’elles ont été une longue foire d’empoigne, gauche (même entre guillemets) contre droite, tout autant que Nord contre Sud. Et il faut bien reconnaître, par exemple, que quatre des six partis autour de la table (Open VLD, MR, CD&V et CDH) étaient favorables à un saut d’index et que, sur une série de points, le PS s’est souvent retrouvé seul, avec un soutien timide et à géométrie variable du SP.a et du CDH.

Le PS a pesé de tout son poids pour que les mesures qui feraient descendre immédiatement les syndicats dans la rue soient remises au placard… ou simplement à plus tard. A peine séchée l’encre de l’accord budgétaire, les représentants du PS ont fait la file dans les médias pour faire la liste des mesures qu’il a empêchées - au prix d’une « résistance héroïque » d’après Laurette Onkelinx : le saut d’index, l’augmentation de la TVA, la flexibilité accrue du travail, l’augmentation de la durée hebdomadaire du travail, l’exclusion des partenaires sociaux et la neutralisation de la concertation sociale,... Comme l’écrit David Coppi « Le PS gagne mais en creux. Sa besace est pleine des mesures qui ne figurent pas dans le budget 2013. » [6]

Cela ne suffira pas à consoler la chômeuse qui va perdre 25 % (ou plus !) de son allocation cette année ou le travailleur qui voit son portefeuille crier famine en fin de mois. Mais c’est largement suffisant pour mettre en rage le patronat et la droite, surtout en Flandres. Car eux voulaient vraiment pousser le bouchon beaucoup plus loin et ils n’y sont pas parvenus. Du coup, les noms d’oiseaux ont volé, particulièrement du côté des patrons proches de la N-VA (et il n’en manque pas !). Du « gouvernement marxiste » de Luc Bertrand (patron d’Ackermans & Van Haren) au « collectivisme » de Paul Soete (Agoria), une partie du patronat y a été à la Kalashnikov, pour ne pas dire au bazooka.

Au sein du patronat flamand regroupé dans la VOKA, les appels à se passer du PS après les élections de 2014 gagnent du terrain. Et il ne s’agit pas seulement d’un fantasme de la N-VA. La perspective séduit ouvertement une partie du CD&V. Quand Eric Van Rompuy (bouillant député flamand de ce parti) affirme que « le PS nuit à l’image du gouvernement Di Rupo en Flandre », on ne s’étonne pas encore trop. Mais quand c’est Steven Vanackere, vice-premier ministre et donc chef de file du CD&V dans le gouvernement fédéral, qui déclare « Je ne pense pas que l’un d’entre nous vise un gouvernement Di Rupo II », on se dit que le feu commence à prendre dans le matelas. Et quand Kris Peeters, premier ministre CD&V du gouvernement flamand, ne cache pas ses convergences avec la N-VA au point d’alimenter les discussions sur la possible reconstitution d’un cartel (ou du moins d’une entente étroite) entre ces deux partis pour les élections de 2014, c’est carrément la sirène des pompiers qu’on entend à l’horizon.

Faut-il alors ménager le PS au nom du moindre mal ?

S’il faisait un mauvais score aux élections globales de juin 2014 (on votera en même temps pour les fédérales, les régionales et les européennes !), le PS pourrait donc bien recevoir son bon de sortie du gouvernement, prélude à une alliance de droite qui imposerait une politique d’austérité encore plus rude… et surtout plus rapide.

Aujourd’hui, le PS parvient encore à se présenter comme – et reste dans une certaine mesure – un « moindre mal ». Mais le « mal » est de plus en plus grand et le « moindre » de plus en plus moindre ! Avec la politique qu’il mène au gouvernement depuis des années, le PS scie consciencieusement la branche sur laquelle il est assis. Et il crée lui-même les conditions pour continuer à décourager son électorat populaire et à se retrouver sur la touche en 2014. Avec, à la clé pour nous, répétons-le, une politique d’austérité sans frein qu’imposerait un gouvernement purement de droite.

Mais ce n’est évidemment pas une raison pour laisser Di Rupo faire ce qu’il veut d’ici là - et pour voter PS en 2014 ! Au contraire. D’abord, parce qu’il n’y a aucune chance que le PS se reprenne et change de politique d’ici juin 2014 – et après, s’il devait prolonger son bail au gouvernement. Ensuite, parce qu’il n’y a aucune raison d’accepter de se faire amputer le pied sous prétexte d’éviter de se faire amputer la jambe… si l’amputation de la jambe n’est en réalité que partie remise ! Et c’est bien ce qui se passe avec le PS. Faire la liste de tout ce que, « promis, juré », il ne laisserait jamais passer… et qu’il a quand même laissé passer ces dernières années donne une image précise de ce qui nous attend de sa part dans les prochains mois en matière de « défense » de l’index, des pensions de la sécurité sociale.

Enfin, soulignons que c’est l’acceptation passive de cette politique du PS – à peine troublée par une grève symbolique de temps en temps – par les directions syndicales au nom du « moindre mal » qui crée aujourd’hui le plus grand danger pour les travailleurs et les allocataires sociaux. Car ce genre d’acceptation, sans véritable campagne de dénonciation et de mobilisation, et donc sans véritable combat, ne peut mener la population qu’au fatalisme, à la résignation et finalement à l’acceptation des arguments de la droite sur la nécessité de plus grands sacrifices au nom de l’avenir de l’emploi et du pays. A cela s’ajouteront bien certainement la recherche de boucs émissaires à la misère (sans-papiers, musulmans,…).

La responsabilité des directions syndicales est énorme. En laissant passer la politique de Di Rupo, en n’organisant pas les luttes et en ne construisant pas une opposition politique, elles affaiblissent les possibilités de résistance et découragent les travailleurs. Mais, ce faisant, et contrairement à ce qu’ils pensent, ils affaiblissent aussi le PS et leur propre position. Car ils risquent de faire monter la droite (et pousser ainsi eux-mêmes le PS vers la sortie) et de nous amener un gouvernement bien pire encore que Di Rupo 1er.

On nous dira que tout cela n’est encore que de la politique-fiction, que personne ne sait comment les gens vont voter dans 18 mois et qu’il faut éviter de sonner le tocsin trop tôt. Mais un simple coup d’œil sur le passé – pas très lointain – de la Belgique montre pourtant à quel point le danger est réel.

(A suivre dans le prochain article)


[1Déclaration de Di Rupo à la Chambre (Le Soir, 22 novembre)

[2Le Soir, 21 novembre 2012

[3Le Soir, 23 novembre 2012

[4Le Soir, 26 novembre 2012

[5Le Soir, 24 novembre 2012

[6Le Soir, 21 novembre 2012