24 mai 2014
Vu l’indéniable expansion du PTB et son succès dans des cercles de plus en plus larges, il m’a paru intéressant de se pencher sur le fonctionnement interne de ce parti qui, bien qu’ayant été assoupli suite au 8e Congrès en 2008 reste empreint d’un centralisme fort peu démocratique et d’une méfiance envers des « perturbateurs » qui pourraient risquer de miner la ligne du parti [1]. N’étant pas membre du PTB, cette analyse sera forcément vue de l’extérieur. De plus, s’il est certain que le fonctionnement pratique et réel d’une organisation ne correspond pas toujours exactement à ses règles écrites, il n’en reste pas moins vrai que les principes qui guident ces dernières donnent une indication de la nature et de l’idéologie de cette organisation. Ainsi, on pourra constater qu’il existe une certaine contradiction entre le discours public porté par le PTB aujourd’hui et la réalité de ses propres principes de fonctionnement.
La principale source sont les statuts actuels [2] du PTB, adoptés lors de son 8e Congrès le 2 mars 2008. Ceux-ci sont publics — n’importe qui peut les acheter pour 2 € au PTB ou via son site Internet — mais ne sont pas disponibles largement sur le site Internet du PTB. On peut se demander si cela ne traduit pas une certaine volonté qu’ils ne soient pas diffusés trop largement et trop facilement accessibles pour ceux qui hésitent à devenir membres.
Il y au PTB 3 formes d’adhésion : membre consultatif, membre de groupe et militant [3] qui correspondent à 3 degrés d’implication dans le parti.
Quand on devient membre en payant 20 € (ou 30 € pour un couple) via le site Internet du PTB par exemple [4], on n’est en réalité que « membre consultatif ». Ces « membres » n’ont qu’un droit à l’intérieur du parti, celui de « participer aux assemblées générales des membres et de participer à la décision sur les points qui y sont mis au vote » [5]. Ces assemblées générales « réunissent tous les membres d’une entreprise, d’une région ou d’un terrain de travail déterminés » et « ont lieu au moins deux fois par an » [6]. Il ne semble pas nécessaire d’accepter les statuts du parti pour être membre consultatif. On ne les reçoit d’ailleurs pas. Il semble que ce soit à cette catégorie qu’appartient l’immense majorité des plus ou moins 8000 membres revendiqués par le PTB.
Pour devenir un « vrai membre du PTB », quelqu’un qui participe réellement à la vie du parti et a une possibilité de participer aux décisions (en dehors de donner son assentiment aux propositions amenées aux assemblées générales susmentionnées), il faut être au moins « membre de groupe ». Mais n’importe qui ne peut pas devenir « membre de groupe ». Pour le devenir, il faut être accepté par un groupe de base et par « l’organe immédiatement supérieur » [7] [8]. Ces groupes de base ont chacun un président élu au moins tous les 2 ans et confirmé par la direction provinciale [9]. Ces membres payent une cotisation mensuelle [10].
Enfin, il y a les « militants » qui forment le véritable noyau dur du parti (autour de 400 personnes [11]). Ceux-là doivent suivre le « programme de formation des militants » [12] et donner une contribution financière conséquente : tous leurs revenus dépassant un certain barème ; avec des accommodements en fonctions par exemple de la situation familiale ; ce barème correspond à peu près au salaire d’un ouvrier qualifié. Et être à nouveau « approuvé par l’unité à laquelle appartient le militant et par l’organe immédiatement supérieur » [13].
À noter qu’un « membre de groupe de base » doit seulement « accepter que le parti fonctionne selon les statuts et les documents de congrès du parti » [14] tandis que le militant doit lui « appliquer les statuts et les documents de congrès et les défendre du mieux qu’il peut » [15].
« L’organe suprême du PTB est le Congrès national du parti. » [16]. Il est organisé au moins une fois tous les 5 ans [17]. Mais le dernier s’est terminé le 2 mars… 2008 et le prochain est prévu pour se conclure en 2015 — avec donc 2 ans de retard que le PTB justifie… par la priorité de la campagne électorale. On notera que, pour un parti qui affirme aujourd’hui se préoccuper sérieusement de la question démocratique, un tel laps de temps entre deux congrès est pour le moins problématique. Quant à la justification avancée, elle témoigne aussi d’une certaine hiérarchisation des priorités : les enjeux électoralistes semblant plus importants qu’une vie démocratique interne au minimum conforme aux statuts.
« Le Congrès national du parti est constitué de délégués de tous les groupes de base et noyaux de militants du parti, élus en proportion du nombre de membres de l’unité, ainsi que des membres sortants du Conseil national. » [18]. Et donc, les « membres consultatifs », c’est à dire la majorité des membres n’y participent pas. C’est ce Congrès national qui fixe le programme et les statuts du parti et élit la direction, le Conseil national [19].
Le Conseil national — 26 membres actuellement dont il semble que seulement 4 n’avaient pas participé à la direction avant 2008 [20] — est « l’organe du parti qui dirige le parti dans l’intervalle des congrès nationaux du parti » [21] et se réunit « au moins une fois par trimestre » [22]. Entre 4 et 5 fois par an selon Lydie Neufcourt, membre du Bureau du parti [23].
Ce Conseil national élit, parmi ses membres, le Président du parti [24]. Donc, pour résumer, le Président du parti — pour l’instant le PTB n’en a connu que deux dans son histoire, Ludo Martens pendant 29 ans et Peter Mertens depuis 6 ans — est élu par le Conseil national, lui-même élu par le Congrès national, lui-même composé de délégués élus par les groupes de base et noyaux militants eux-mêmes composés seulement de 2 des 3 catégories de membres du PTB qui forment une minorité de membres qui eux-mêmes doivent être acceptés par un groupe ou un noyau et une instance supérieure. On est bien loin de la démocratie directe.
Le Conseil national élit aussi un Bureau du parti et une Direction journalière. « Le Bureau du parti est responsable de la direction du parti dans l’intervalle de deux sessions du Conseil national » [25]. Il est actuellement composé de 8 personnes dont 7 hommes. Dans ces 8 personnes, la moitié était membre du parti à ses débuts et deux autres sont des fils de membres des débuts (certains d’entre eux de l’époque de l’ancêtre du PTB, AMADA pendant les années ’70). Selon Lydie Neufcourt, il se réunit une fois par mois [26]. La Direction journalière est elle actuellement composée de 4 personnes [27].
Ce fonctionnement pyramidal et strictement hiérarchisé renforce à l’extrême la concentration du pouvoir effectif aux mains d’une poignée sans cesse plus réduite de dirigeants au fur et à mesure que l’on grimpe dans l’organigramme. D’autant plus que, comme on l’a vu, la possibilité de renouvellement de ces cadres dirigeants est assez espacée vu les délais entre les congrès.
Soulignons surtout que ce type de fonctionnement ultra-centralisé et hiérarchique est un héritage typique du parti bolchévique stalinisé. Comme l’indique Juan Carlos Venturini : « Cette structure hautement hiérarchique et centralisée prétend être l’expression de la formule consacrée du centralisme démocratique alors qu’elle concrétise son contraire : la plus absolue restriction autoritaire dans la discussion et la plus forte obéissance à la direction, ce qui est très éloigné des caractéristiques nécessaires pour parvenir à l’unité d’action prolétarienne » [28]
Pour terminer sur les structures, au niveau plus local, dans chaque province (+ Bruxelles), il y a un Conseil provincial élu par un Congrès provincial et une Direction journalière provinciale élue par ce Conseil provincial, le tout selon le même type de modalités qu’an niveau national [29].
Au PTB, la « minorité se soumet à la majorité » [30] et si on a le droit de maintenir une opinion personnelle, « la minorité s’implique, avec la majorité, dans l’exécution de la décision » [31]. Ce qui dénote fortement l’héritage (mao)stalinien du PTB (et donc sont maintien) est sans nul doute ce passage de ses statuts indiquant clairement que des « fractions ou des groupes qui s’organisent sur base d’autres décisions ou d’autres plates-formes politiques ne sont pas autorisés. » parce qu’ils « minent inévitablement l’unité, le fonctionnement démocratique et la force de frappe du parti » [32].
Il faut enfin souligner que les statuts de 2008 indiquent explicitement que « Les principes idéologiques et organisationnels pour le travail de cadre ont été fixés au Cinquième congrès du Parti dans le manuel Parti de la Révolution ». Ce dernier, rédigé par Ludo Martens (auteur de l’inoubliable « Un autre regard sur Staline »), stipule notamment que « Le parti proclame depuis toujours qu’il base son activité sur les livres de Marx, Engels, Lénine, Staline et Mao Zedong » [33]. Interrogé sur ce point, le porte-parole du PTB, Raoul Hedebouw, a affirmé que cet ouvrage « daté » n’était plus utilisé dans la formation actuelle des membres. Ce qui est sans aucun doute rigoureusement exact en ce qui concerne les « membre consultatifs » et les « membres de groupes », mais est difficilement vérifiable quant aux « militants » ou les cadres.
Dans tous les cas, une lecture attentive des statuts du PTB démontre que sa « rénovation » est loin d’être aussi profonde qu’annoncée ou, à tout le moins, qu’elle est encore inachevée. Les résultats du futur congrès du PTB, annoncé, comme on l’a dit, dans le courant de l’année 2015, seront donc intéressants à analyser du point de vue du type et des principes de fonctionnement qui seront modifiés (ou pas). À suivre donc…
[1] Avant 2008, dans les statuts précédents issus du 7e Congrès de 2002, il était encore clairement dit qu’il fallait « veiller à ce qu’aucun agent ennemi ou individu douteux ne s’infiltre dans le parti. Être vigilant face à l’ennemi de classe et garder strictement les secrets du parti. » (art. 15), que « les contradictions avec l’ennemi de classe concernent les agents envoyés par celui-ci pour miner le parti de l’intérieur. Leur nombre est réduit. Nous devons renforcer notre vigilance et notre détermination contre ces éléments. Elles concernent aussi les éléments dégénérés qui rejettent et falsifient le marxisme-léninisme et le remplacent par le révisionnisme ou le dogmatisme. Ils détruisent l’unité du parti et travaillent à la scission. Ils refusent d’appliquer les règles de la vie du parti et trament des intrigues et des complots. Ces éléments doivent être expulsés du parti. » (art. 61) ou encore que « le parti n’a pas seulement besoin de démocratie, mais surtout de centralisme » (art. 27).
[2] Qu’on peut lire dans leur intégralité ici : http://statutsptb.blogspot.be/
[3] art. 9
[5] art. 10.3
[6] art. 14
[7] art. 11.2
[8] Ceci n’est pas une règle théorique. Il y a des militants de gauche de longue date à qui l’adhésion a été refusée.
[9] art. 16
[10] art. 11.1.b
[11] Pascal Delwit, « PTB. Nouvelle gauche, vieille recette », p. 373
[12] art. 13.1.a
[13] art 12.1
[14] art. 11.1.d
[15] art. 12.1.d
[16] art. 21
[17] art. 21.1
[18] art. 21.2
[19] art. 21.5
[20] P. Delwit, op cit, p. 272
[21] art. 22
[22] art. 23
[23] P. Delwit, op cit, p. 273
[24] art. 24
[25] art. 26.1
[26] P. Delwit, op cit, p.273
[27] P. Delwit, op cit, p. 272
[29] art. 28
[30] art. 30.5
[31] art. 30.5
[32] art. 30.7
[33] « Corsé, le petit livre rouge du PTB », François Brabant, Le Vif/L’Express, 18 décembre, http://www.levif.be/info/actualite/belgique/corse-le-petit-livre-rouge-du-ptb/article-4000223220630.htm