Le PTB, de succès en succès… et en questions

Jean Peltier 17 mai 2014

Avec des sondages à 8% en Wallonie, 7% à Bruxelles et 4% en Flandre, il est clair que le PTB est en train de réaliser « la » percée de ces élections. Ce qui signifie que beaucoup de gens s’apprêtent à franchir le pas… y compris pas mal de militant-e-s de gauche qui n’avaient pas une sympathie débordante pour le PTB auparavant et pour qui ce sera « la première fois ». Dans le cas de ceux-ci, le fait que le PTB ait, pour la première fois, ouvert ses listes, non seulement à des candidats indépendants mais aussi à des organisations en tant que telles (le PC et la LCR) sous le nom de PTB-go ! est vu à raison - comme un changement très positif. [1]

La transformation du PTB – du parti « marxiste-léniniste » pur et dur en un parti de la « gauche décomplexée » - suscite un large débat dans la gauche, qui se cristallise surtout sur la question : est-ce une transformation radicale vers l’affirmation d’un parti combatif plus large et plus ouvert ou un simple ravalement de façade qui ne touche pas aux fondamentaux ?

Le but de cet article est de souligner les aspects positifs de l’évolution actuelle du PTB tout en essayant de pointer les questions (anciennes et nouvelles) que cette évolution pose au PTB et à la gauche – en espérant qu’il suscitera des réactions et qu’il permettra de débattre du type de parti et de stratégie dont nous avons besoin aujourd’hui.

Mais cet article ne se veut pas simplement une analyse politique. Il est aussi, de manière plus immédiate, un appel clair à voter pour les listes PTB-go ! le 25 mai.

Pourquoi voter PTB-go ! ?

La réponse la plus évidente est : parce que cela permettra le retour dans les parlements (le fédéral et les régionaux) d’un parti à gauche du PS et d’Ecolo, pour la première fois depuis la disparition du dernier élu du Parti Communiste en 1985.

Est-ce si important que cela ? Personne – PTB en tête – n’imagine que l’élection de quelques parlementaires (si les sondages se vérifient dans les urnes le 25 mai, le PTB aura des élus à Bruxelles, Liège, Anvers et sans doute Charleroi) permettra de faire passer les mesures-phares avancées par le PTB dans sa campagne, comme la Taxe des Millionnaires ou la prépension pour tous à 58 ans.

Dans les conditions actuelles, l’intérêt de tels parlementaires est plus limité – mais tout aussi important. C’est de pouvoir utiliser la tribune parlementaire (et surtout son écho médiatique !) pour démonter et dénoncer les mesures d’austérité, pour défendre le contenu d’une politique alternative et pour populariser les luttes et les mouvements de résistance. Ce qui permet au passage de mettre un peu de pression sur les parlementaires des partis de la « gauche domestiquée ».

Mais ce « travail parlementaire » n’a qu’une efficacité marginale s’il est le fait d’individus isolés. Il de sens réel que s’il relaie – et surtout s’il s’appuie sur – un travail militant permanent dans la société, les entreprises et les quartiers, les syndicats et les mouvements sociaux, les grandes luttes et les petites actions au quotidien.

Ce poids, cette implantation et cette capacité d’intervenir dans les luttes, le PTB commence à l’avoir. Les autres ne l’ont pas et ne sont pas près de l’avoir (à supposer qu’ils le veuillent vraiment). C’est pour cela qu’aujourd’hui, il est important de dire qu’un vote pour les listes PTB-go ! a un sens et un poids que n’a pas un vote pour une autre formation de la gauche (plus ou moins) radicale (Vega, MG, Gauches Communes,…).

Un parti qui change…

Dire que le PTB a été pendant un demi-siècle une organisation « mao-stalinienne » pure et dure n’est pas mentir. Cela lui a valu, pendant longtemps, une réputation assez détestable dans une large partie de la gauche. Cela ne l’a pourtant pas empêché, malgré toutes ses outrances politiques et ses retournements de position [2], ni de se forger une zone d’influence en milieu ouvrier et populaire qui a toujours été supérieure à celle des autres organisations d’extrême-gauche, ni d’organiser des campagnes larges (autour de ses maisons médicales, contre les deux Guerres du Golfe,…) voire très larges (le million de signatures obtenues au début des années ’90 par « Objectif 479.917 » pour l’égalité des droits entre Belges et immigrés).

A l’occasion de son dernier Congrès en 2008, le PTB a entamé une longue mue qui est encore loin d’être terminée. Au cours de ces cinq dernières années, le visage du parti a fortement changé. Il a abandonné toute référence publique au marxisme-léninisme et au stalinisme. Son ancien slogan « Heureusement qu’il y a encore des communistes » a fait place à « Les gens d’abord, pas le profit ». Il s’est reprofilé en parti de « gauche décomplexée », centrant son activité sur des campagnes nationales et locales autour de thèmes plus proches des préoccupations des gens (le pouvoir d’achat, le coût de l’énergie, la taxe des millionnaires,…) tandis que son service d’études a produit un certain nombre de révélations qui ont fait grand bruit (les impôts ridiculement bas des multinationales en Belgique,…). Le tout emballé par un bureau de communication particulièrement efficace. Le PTB a renforcé sa présence sur le terrain syndical (en évitant au maximum d’entrer en conflit avec les directions FGTB et CSC). Il a aussi fait passer au second plan de son activité publique - et surtout de ses campagnes électorales - les questions « qui fâchent » dans la population, en particulier l’immigration et les attaques contre l’islam.

Les résultats de ce recentrage ont suivi. De 6 conseillers communaux en 2000, le PTB est passé à 15 en 2006 et 52 en 2012. Et, avec une orientation de recrutement très large, il est passé dans le même temps, de 1.500 membres en 2008 à 5.500 en 2012 et il vient d’atteindre les 8.000 tout récemment.

Les élections de ce 25 mai devraient lui donner encore un nouvel élan à travers la conquête de plusieurs sièges de députés fédéraux et régionaux. Sa percée dans les sondages – et sur le terrain ! – a forcé le PS et Ecolo à gauchir leur discours dans cette campagne. Et, plus important, il a réussi à donner une expression progressiste à un mécontentement populaire qui, comme ailleurs, est monté en puissance pendant les années Di Rupo. Cela n’avait pourtant rien d’évident. Le plus souvent en Europe ces dernières années, une grande partie de ce mécontentement a pu être capté par la droite conservatrice ou l’extrême-droite. Certes, l’extrême-droite francophone est particulièrement bête et divisée et le Parti Populaire est handicapé en milieu populaire par sa ligne ultra-libérale, mais le PTB, par sa présence de terrain et ses propositions politiques, a pu polariser une bonne partie du mécontentement populaire. Ce qui n’est pas une mince réussite.

Une campagne et un programme efficace…

Le matériel électoral du PTB représente parfaitement cette évolution. Pour la forme : accrocheur, dynamique et compréhensible par un public très large. Pour le fond : centré sur les réponses concrètes et des revendications ciblées.

A la différence de pas mal de programmes politiques portés par des organisations d’extrême-gauche d’hier et d’aujourd’hui, le programme du PTB met en effet en avant une série de revendications auquel des couches larges de travailleurs et de jeunes peuvent s’identifier et qui apparaissent comme réalisables : la hausse des pensions et des allocations au-dessus du seuil de pauvreté, la suppression des mesures de dégressivité et d’exclusion du chômage, la possibilité d’une prépension pour tous à 58 ans afin de pouvoir créer des emplois pour les jeunes, le renforcement des services publics, le développement des transports publics,… Et, pour financer ces projets, il propose une série de mesures : la suppression des intérêts notionnels, un véritable impôt sur le fortune (la fameuse Taxe des Millionnaires), la création d’une banque publique et de sociétés publiques de l’énergie,…

Ce sont là des mesures qui vont à l’encontre de la politique d’austérité qui nous est imposée par les partis traditionnels depuis trente ans et évidemment des intérêts de la bourgeoisie. Leur mise en œuvre est donc loin d’être évidente et demanderait un fameux bouleversement des rapports de force actuels et notamment de solides mobilisations de masse. C’est évident – et le PTB le dit dans tous ses meetings et ses publications. Mais cet accent sur les luttes indispensables est largement absent de la propagande électorale « grand public ». Celle-ci se limite à présenter les propositions du PTB et à appeler à un soutien électoral (et à adhérer au PTB). Le danger, c’est de laisser croire que « le parti » pourrait réaliser des miracles par la seule force de ses élus, avec le risque de miner son projet et son image de parti « combatif » et « différent ».

D’autre part, pour difficiles qu’elles soient à conquérir, les revendications portées par le PTB (qui sont bien résumées par le slogan « Les gens d’abord, pas le profit ») ne remettraient pas en cause le fonctionnement du système capitaliste belge et européen. Or, c’est évidemment ce système même qui est responsable de la crise et de la montée des inégalités. Et donc à terme, c’est bien avec ce système qu’il faut en finir. De cela non plus, la propagande électorale « grand public » du PTB ne dit mot. Il ne s’agit évidemment pas d’annoncer qu’il faut nationaliser tout ce qui bouge et distribuer les fusils à la population, mais simplement d’indiquer la nécessité (et la possibilité) d’une autre société dans laquelle la logique du profit ne serait pas simplement repoussée au second plan mais bel et bien supprimée. Ne pas le faire pose quand même un problème dans le cadre d’une campagne électorale d’un parti marxiste.

Si le programme du PTB apparaît ainsi concentré sur l’immédiat, c’est avant tout parce qu’il entend - à raison - répondre au niveau de conscience et de préoccupation des travailleurs et des « gens » et populariser des revendications autour desquelles il pense que des mobilisations futures pourraient s’organiser. Mais c’est aussi parce que sa stratégie générale pour aller au-delà est aujourd’hui en plein questionnement.

Un héritage encombrant

Si le processus de transformation du PTB en « parti de la gauche décomplexée » est ainsi largement positif, il pose aussi beaucoup de questions – au PTB lui-même et à la gauche dans son ensemble. Et ce serait une erreur de ne pas en parler sous prétexte d’enjeux strictement électoraux.

La question centrale concerne évidemment le rapport du PTB « nouveau » à l’héritage du PTB « ancien ».

Régulièrement attaqués sur ce point par des journalistes, Raoul Hedebouw et les autres figures publiques du parti répondent désormais invariablement « Le PTB n’est pas un parti stalinien ». On prend note de cette évolution réjouissante mais cette réponse ressemble largement à une pirouette. Plus précisément, on pourrait l’accepter si le PTB était un nouveau parti né de nulle part. Mais le PTB a 50 ans d’histoire derrière lui et, jusqu’il y a quelques années, il s’est toujours fièrement et inconditionnellement revendiqué comme stalinien, assumant l’ensemble de l’œuvre du Géorgien moustachu et de son émule chinois. Qu’il abandonne ces références est une très bonne chose. Mais les porte-paroles du PTB ne peuvent actuellement pas dire que « Le PTB n’est plus stalinien » - ce qui serait pourtant beaucoup plus convaincant - parce qu’à aucun moment, le PTB n’a décidé (et expliqué) pourquoi et comment il abandonnait avec le stalinisme, en en tirant un bilan raisonnablement étayé. [3]

Ce n’est pas là qu’une question d’Histoire qui ne concernerait que quelques vieux militants retirés du militantisme et ressassant le passé. Au-delà des Goulags exotiques (qu’il est facile aujourd’hui de condamner au nom des droits de l’Homme), le stalinisme a marqué tout le mouvement ouvrier (au sens large). Il a notamment défini des modes de fonctionnement d’un « parti révolutionnaire » ultra-centralisé empêchant - dans les faits, et parfois même en théorie - toute expression d’opinions divergentes sous peine d’expulsion. Il a aussi imposé une vision des rapports de ce parti révolutionnaire avec la classe des travailleurs et la population, dans laquelle le Parti « dirige les masses » et aussi « dirige les fronts » dans lesquels il coopère avec des alliés. Le stalinisme est en fait complètement opposé à la conception chère à Marx pour qui « l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes », le parti jouant, pour celui-ci, un rôle d’éclaireur, de formateur, d’initiateur et de « sage-femme de la révolution » mais certainement pas de remplaçant (ou même de suppresseur) de la libre activité des masses.

Parti, front, démocratie et débat

La direction du PTB refuse que la transformation en parti de la « gauche décomplexée » enclenche un processus qui conduirait à l’abandon de principes politiques essentiels pour le maintien d’un parti simplement mais réellement « marxiste ». Ce qui arrivé à la grande majorité des partis anciennement « marxistes-léninistes » qui ont disparu ou se sont fondus dans la gauche « domestiquée » leur donne raison sur ce point. Mais l’éclosion d’une « gauche décomplexée » - et, au-delà, le renouveau de la gauche et du mouvement populaire dans son ensemble - exige aussi que les vieilles certitudes puissent être réexaminées, débattues et repassées au test de la réflexion et de la pratique.

Le PTB « nouveau » n’est évidemment pas une secte stalinienne. Sa pratique de terrain et son slogan « Rue-Conseil-Rue » qui guide son activité dans les communes et les conseils communaux ne traduisent certainement pas une conception de « commandement militaire » sur les masses. En l’absence de grandes luttes, la formule actuelle tient la route. Mais, en période de lutte, elle sera sans doute interprétée de manières assez différentes sur le terrain – avec des accents plus ou moins forts mis sur le rôle central et le renforcement du parti ou vers le développement de formes d’organisations dans lesquelles celui-ci ne sera qu’une force parmi d’autres dans un cadre plus large. Tout cela alimentera certainement des débats que le PTB aurait tout intérêt à mener ouvertement, démocratiquement et publiquement… ce qui ne fait pas partie de l’ADN des partis staliniens.

La méthode qui consiste à évoquer avec beaucoup de prudence – voire à brosser carrément sous le tapis - les questions un peu embarrassantes se retrouve désormais à de nombreux niveaux, que ce soit sur les questions internationales brûlantes (l’Ukraine, la Syrie,…), sur les appréciations d’événements historiques (le bilan de l’expérience de l’Unité populaire de Salvador Allende au Chili) et surtout sur des questions belges actuelles (en particulier l’appréciation des stratégies syndicales face à la crise et aux luttes). En un sens, cette prudence et cette discrétion marquent un net progrès sur les jugements « en noir et blanc » que portait si facilement le PTB « ancien » (le plus souvent sur base d’un « Les ennemis de mes ennemis sont mes amis et je ne les critique donc pas »). Mais elle évite aussi les possibles remises en cause de positions passées… et surtout la libre discussion entre les membres sur ces questions. Ce qui, à terme, est difficilement tenable pour un parti à la fois « de gauche décomplexée » et « marxiste ».

Un « centralisme problématique »

Enfin, l’évolution rapide du PTB ces dernières années pose aussi la question de la forme et des limites d’un mode de fonctionnement étroitement centralisé. L’énorme croissance du nombre de membres du PTB a conduit, à la fois, à un assouplissement des conditions d’adhésion et de fonctionnement mais aussi à un renforcement du centralisme interne. Cela peut sembler paradoxal mais la logique est aisément compréhensible.

L’élargissement actuel du PTB se produit après une période longue (trente ans au moins !) de recul des luttes et de la conscience politique. Les gens qui adhèrent aujourd’hui sont en colère contre la politique des gouvernements en place mais, en l’absence de mouvements de lutte importants qui « rouvriraient les fenêtres » et permettraient une nouvelle repolitisation, leurs idées et leurs positions sont souvent « à droite » par rapport au programme du PTB.

Pour éviter que l’afflux de nouveaux membres moins politisés pèse sur son mode de travail, ses perspectives et son programme, le PTB a choisi de développer une structure à trois niveaux – membres consultatifs (qui sont aujourd’hui de loin les plus nombreux), membres (plus ou moins) actifs dans les groupes de base et enfin militants (constituant le noyau politique du parti) – et de miser sur la formation politique pour agrandir la couche de membres actifs et de militants.

Une nouvelle fois, ce choix est compréhensible - et partiellement inévitable. Mais, dans l’immédiat, cela conduit à ce que de plus en plus de tâches pèsent sur une couche proportionnellement de plus en plus réduite de membres « formés ». Le maintien de ce mode de fonctionnement ne pourrait conduire qu’à un gaspillage de possibilités. Il est donc essentiel d’ouvrir le mode de fonctionnement du PTB « ancien » et de développer une formation politique plus solide pour les nouveaux membres. Mais quel mode de fonctionnement développer dans le cadre d’un parti profondément modifié par le flux d’adhésions, les victoires électorales, les attentes de ce nouvel électorat ? Et quelle formation politique ? Avec quel contenu ? Que reste-t-il d’incontestable dans l’héritage stalinien du PTB « ancien » ? Qu’est-ce qui doit être reformulé, remis en cause ou abandonné ?

C’est en réalité toute la stratégie à moyen et long terme du PTB qui doit être remise en chantier.

Une stratégie à repenser

Pendant près de 40 ans, le PTB a vécu sur le schéma « Des petites luttes aux grandes luttes jusqu’à l’insurrection populaire qui débouchera sur une révolution socialiste ouvrant la voie à la dictature du prolétariat, antichambre du socialisme et du communisme – le tout sous la ferme direction du parti marxiste-léniniste ». Dans ce cadre, l’URSS de Staline et la Chine de Mao fournissaient une référence claire de ce que devait être la société post-révolutionnaire et le PTB était l’embryon « du » parti dirigeant.

Evidemment ce schéma a pris du plomb dans l’aile, et pas qu’un peu. Les modèles étrangers ont sombré (l’URSS) ou évolué vers un capitalisme conquérant (la Chine actuelle). La stratégie de la montée vers une insurrection populaire n’a plus aucun rapport avec la stratégie électorale, médiatique et militante du PTB aujourd’hui. Quant au rôle dirigeant du parti, s’il reste certainement encore inscrit dans l’ADN du parti, la version professée par le PTB « ancien » a déjà été sérieusement remise en cause à tous les étages et continuera à l’être au plus le PTB sera confronté aux problèmes que posent le débat et la collaboration avec d’autres forces.

Si le PTB se contentait de botter en touche sur toutes ces questions, on pourrait dire qu’il y a simplement un « double langage » : un « soft » pour le travail vers l’extérieur et les membres de base et un « hard » pour les cadres [4]. Mais, dans leurs textes comme dans leurs réponses aux journalistes, les dirigeants du PTB récusent désormais explicitement les références au stalinisme et au « marxisme-léninisme » ancienne manière. Difficile dans ces conditions d’imaginer qu’ils pourraient continuer à tenir le vieux discours marxiste-léniniste à l’intérieur, en contradiction complète avec ce qu’ils disent vers l’extérieur. Un « double discours » est possible, bien que difficile sur la durée ; une « double personnalité » conduit tout droit à la folie.

En fait, le PTB est engagé dans un processus qui va être de plus en plus difficile à contrôler avec les méthodes anciennes.

Quel avenir pour le PTB ?

Tournant le dos – et même remettant en cause – à une bonne partie de ses positions antérieures, le PTB peut évoluer essentiellement dans trois directions, concrétisant chacune une version de l’ « ouverture » entamée depuis six ans.

La première voie, celle qui apparaît aujourd’hui comme la « référence » officielle, est le modèle des Partis Communistes grec et portugais : une implantation de masse couplée à une forte cohésion idéologique d’origine stalinienne et une méfiance – et même une hostilité - marquée vis-à-vis des autres forces politiques de gauche. Mais on peut douter que ce modèle soit viable pour le PTB « nouveau ». Ces deux PC ont construit leur identité et leur influence dans des conditions (en pleine Guerre froide, avec de longues phases de quasi-clandestinité,…) qui sont complètement différentes de celles de la Belgique actuelle. Et leur refus de coopérer avec les nouvelles forces de gauche (Syriza en Grèce, le Bloc de Gauche au Portugal) limite désormais leur capacité à étendre (ou même simplement à maintenir, dans le cas de la Grèce) leur influence politique. On voit assez mal le PTB, sortant enfin aujourd’hui de la marginalité, faire le choix durable d’une telle « stratégie du bunker » qui risquerait de l’y ramener rapidement.

La deuxième voie, c’est celle du SP hollandais, avec un accent de plus en plus important mis sur les élections et le travail des élu-e-s et une évolution du programme et des structures vers un simple « réformisme combatif ». Dans cette voie – qui ressuscite la vieille « voie parlementaire vers le socialisme » chère aux vieux PC - la perspective d’un changement radical de société se fait de plus en plus floue, l’horizon se concentre inexorablement sur la recherche de majorité dans les conseils communaux et les parlements tandis que la « souplesse » vis-à-vis des directions syndicales et des partis de la gauche gestionnaire grandit. Cette évolution sert aujourd’hui – officiellement en tout cas - d’épouvantail aux yeux de la direction du PTB. Pourtant, s’il n’y a pas de mouvements de lutte de grande ampleur dans les années à venir, la pression pour que le PTB s’engage dans cette voie risque de se faire de plus en plus fortement sentir.

Enfin, la troisième voie serait la poursuite de ce que le PTB affirme lui-même vouloir devenir : un parti clairement anticapitaliste et « simplement » marxiste (et non plus « marxiste-léniniste-stalinien-maoïste » comme autrefois). Mais cette voie – qui serait de loin la meilleure ! - est aussi la plus difficile à négocier pour le PTB. Parce qu’elle implique de redéfinir clairement ce que peut être le « socialisme du 21e siècle » ou « le « socialisme 2.0 » dans les conditions de l’Europe mondialisée (y compris en tirant un bilan sérieux de ce qu’a été le « socialisme » stalinien du 20e siècle). Parce qu’elle implique aussi de repenser en profondeur une stratégie pour aller vers le socialisme à partir d’un monde néolibéral où la bourgeoisie reste partout à l’offensive. Parce que, pour être un catalyseur de la résistance à cette offensive, le PTB devra intervenir sur de nombreux terrains et y débattre beaucoup plus avec les militants des mouvements sociaux et politiques qui y sont aussi actifs. Et parce que si, pour mener à bien tout cela, le marxisme est certainement le meilleur outil, ce même marxisme n’est plus aujourd’hui un bloc homogène (il ne l’a en fait jamais été !) et son utilisation créative ne peut se faire que dans un parti ouvert à la recherche et au débat, en son sein et avec l’extérieur – ce qui est largement incompatible avec le vieux modèle stalinien du parti organisé exclusivement de manière verticale (et même « de haut en bas ») sans guère de possibilités d’échanges organisés horizontalement.

Le rôle décisif du PTB

L’élection probable de députés en 2014, en plus des conseillers communaux gagnés en 2012, va aiguiser les attentes que les électeurs, les sympathisants et les nouveaux membres ont vis-à-vis du parti. Tout cela va amener de plus en plus de discussions au sein et autour du PTB – et c’est une excellente chose. Le congrès prévu pour l’an prochain sera un moment important dans l’évolution du parti – mais, quels qu’en soient les résultats, ce processus de « redéfinition » continuera bien au-delà.

Or, avec le poids militant qu’a aujourd’hui le PTB, ce qui se joue en son sein ne concerne pas que le PTB mais toute la gauche, aussi bien la « grande » sur sa droite que la « petite » qui se veut sur sa gauche. La pire erreur pour tous ceux qui se réclament du marxisme serait de se désintéresser du PTB et de son évolution, en prétendant que rien de sérieux n’y a changé. Mais une erreur tout aussi importante serait de se contenter d’observer ce qui se passe au PTB et d’attendre qu’il ait donné toutes les « garanties » de bonne évolution pour le rejoindre en grande pompe : la seule chose qui risque d’arriver aux gens qui restent sur les quais de gare en regardant passer les trains bondés dans l’espoir qu’arrive un jour un train plus conforme à leurs attentes, c’est de finir sous les toiles d’araignée.

En 2014, l’affirmation d’une gauche combative et anticapitaliste – et, dans une large mesure, la capacité de résistance à l’austérité - dépend donc largement du PTB et de son évolution.

Dans le plus strict immédiat, un succès du PTB-go ! aux élections sera un pas important dans la direction de la reconstruction d’une gauche militante et populaire.

C’est pourquoi je voterai pour ses listes et je vous invite à le faire aussi.

Notes


[1Les relations entre le PTB et le reste de la « gauche marxiste » seront discutées plus en détail dans le prochain article.

[2Le livre récent de Pascal Delwit « PTB, nouvelle gauche, vieille recette » chronique de manière très précise les positions et évolutions politiques du PTB (et de son ancêtre AMADA-TPO) depuis la fin des années ’60. Un compte-rendu de ce livre – très utile mais qui présente aussi de sérieuses faiblesses – paraîtra bientôt sur Avanti.be.

[3Il faut noter que Peter Mertens, président du PTB, vient d’aller un pas plus loin dans une interview à la VRT en affirmant que « Les écrits de Ludo Martens sur le stalinisme étaient une erreur » (premier président du PTB, Ludo Martens a été l’auteur de plusieurs ouvrages en défense acharnée et inconditionnelle de Staline et du stalinisme). Il a ajouté que tous les partis avaient commis des « fautes idéologiques » et que le stalinisme était celle du PTB dans sa jeunesse.

[4C’est la thèse que développe Pascal Delwit dans son livre