Un nouveau jour pour la Grèce et l’Europe

Alan Maass 28 janvier 2015

La victoire de SYRIZA aux élections législatives qui ont eu lieu hier en Grèce est la réponse attendue depuis longtemps au cocktail d’austérité et de répression qui fait souffrir toute l’Europe et a plongé la Grèce dans une crise économique et sociale sans précédent depuis la Grande Dépression des années 1930.

SYRIZA a remporté 36,3% des voix, loin devant la Nouvelle Démocratie, le parti de droite qui dirigeait l’ancien gouvernement et qui arrive en deuxième place avec 27,8%.

Mais, même avec le bonus de 50 sièges attribué au parti gagnant dans le cadre du système électoral grec, SYRIZA n’obtient que 149 sièges et arrive juste en deçà de la majorité absolue au parlement qui compte 300 sièges. Le parti de gauche est toujours en bonne position pour former le prochain gouvernement qui sera dirigé par le Premier ministre Alexis Tsipras mais il devra former une alliance avec un ou deux autres partis. Cela ouvre une période d’incertitude avant que la gauche puisse prendre la direction du pays et commencer à honorer sa promesse de démanteler l’austérité.

Triomphe de Syriza, déroute des partis au pouvoir

Le résultat de ces élections traduit un rejet décisif du programme de réduction des dépenses publiques, de privatisation, de hausse d’impôts imposé à la Grèce par les dirigeants de l’Europe - sous la forme de ce qu’on appelle la Troïka, composée de l’Union européenne, de la Banque centrale européenne et du Fonds monétaire international - en échange d’un sauvetage du système financier grec après la crise de la dette qui a frappé en 2009. Depuis lors, l’économie grecque a chuté de 25% - un effondrement économique pratiquement inconnu dans des sociétés qui ne sont pas en proie à la guerre ou à une autre catastrophe.

SYRIZA, qui a émergé de la marginalité de la politique électorale il y a moins de trois ans, avec sa promesse de répudier l’austérité, a été attaqué et calomnié par les élites politiques et médiatiques tout au long de la campagne. Pourtant, il a augmenté son score de près de 40% et a presque remporté une majorité de parti unique au parlement – un exploit rare dans la politique européenne aujourd’hui.

Pendant ce temps, les deux principaux partis qui ont gouverné la Grèce depuis la chute de la dictature militaire au début des années 1970 - et qui ont négocié et mis en œuvre les plans de mesures d’austérité exigées par la Troïka - sont en pleine confusion.

Après avoir convoqué de nouvelles élections fin décembre, le Premier ministre sortant, Antonis Samaras, chef de la Nouvelle démocratie, n’a raté aucune occasion de jouer les cartes de la peur et des boucs émissaires, mais il perd encore du terrain. Quant au PASOK, le parti de centre-gauche [1], qui a dirigé la Grèce pendant la plus grande partie des cinquante dernières années, il termine à une lamentable septième place, qui en fait le dernier parti à franchir le seuil de 3% nécessaire pour obtenir des représentants au parlement.

Autre signe de la poussée à gauche au cours de ces élections, le Parti communiste grec (KKE) a été le seul autre parti parmi les sept représentés au Parlement à améliorer son nombre de voix depuis la dernière élection nationale - en dépit du fait que le KKE a refusé purement et simplement de coopérer avec SYRIZA et son alternative radicalement de gauche.

Mais le revers inquiétant de la médaille de l’avancée de la gauche est la troisième place qu’ont conquise les nazis de l’Aube Dorée. Malgré l’arrestation des chefs du parti – aux côtés de collaborateurs au sein de la police et des services de renseignement - et une forte riposte antiraciste après qu’un voyou d’Aube Dorée ait assassiné le populaire artiste hip-hop Pavlos Fyssas, les fascistes ont pour l’essentiel maintenu leur part des votes et obtenu 17 sièges au parlement.

Catastrophe économique et sociale

L’ascension fulgurante de SYRIZA a débuté au printemps 2012 quand elle est arrivée en deuxième place lors des deux élections législatives successives, arrivant de peu derrière la Nouvelle Démocratie.

Les deux années et demie qui ont suivi ces élections ont vu se poursuivre la politique d’austérité imposée par les banquiers européens. Même aujourd’hui, avec une légère reprise économique après des années de déclin, le chômage officiel reste à plus de 25%. Deux jeunes sur trois sont, dans les faits, sans emploi – ce qui est l’une des principales raisons de la baisse de la population du pays, les gens partant chercher une vie meilleure à l’étranger.

Le revenu moyen des ménages a chuté encore plus vite que la production économique globale - il a baissé d’environ un tiers depuis que la crise a frappé - et environ un tiers de la population a perdu l’accès aux soins de santé. Dans un pays reconnu comme faisant partie de l’Europe industrialisée, de nombreuses personnes ont du avoir recours à de vieux poêles à bois pour chauffer leurs maisons.

Enorme espoir

Le principal sentiment derrière les célébrations de la victoire de SYRIZA est tout simplement l’espoir qu’un gouvernement de gauche puisse engager le pays dans une nouvelle direction.

"Ces cinq dernières années ont été tellement difficiles, tellement déprimantes, tellement brutales en fait." expliquait Irni Moka, 38 ans, à un journaliste du quotidien britannique The Guardian alors qu’elle célébrait la victoire devant le siège de SYRIZA à Athènes dimanche soir. "Maintenant, nous pouvons espérer."

"Les premières choses à faire sont vraiment basiques," ajoutait-elle. "Relever le salaire minimum, les pensions les plus basses – les choses qui comptent dans la vie quotidienne. Les grosses mesures peuvent venir plus tard, et devront être menées pour le bien de tous."  [2]

La crise est si profonde que même des électeurs improbables ont été attirés par le message de SYRIZA contre l’austérité et la corruption de la politique traditionnelle. Maria, une dame de 78 ans, qui se présente elle-même comme "conservatrice depuis toujours", a déclaré au Guardian qu’elle avait voté pour Syriza parce qu’elle n’avait plus "aucune confiance en personne, en aucun parti, parmi ceux qui ont dirigé le pays jusqu’à présent ... Les choses ont pris un très mauvais chemin ici. Mais au moins SYRIZA semble s’en soucier. "  [3]

Reprise possible des luttes

Parallèlement à ces marques de soutien à SYRIZA, on a vu ces derniers temps les indices significatifs d’une réémergence potentielle des luttes de masse qui ont secoué la Grèce en réaction à l’austérité.

Depuis 2009, la Grèce a connu plus de 30 grèves générales et beaucoup plus encore de luttes sectorielles et locales de travailleurs, le "mouvement des places", marqué par l’occupation de places publiques à travers le pays, ainsi que des campagnes de désobéissance civile, notamment autour du refus de payer les augmentations des frais d’inscription dans l’enseignement et des tarifs des transports publics. Mais le tempo de la lutte a baissé sensiblement ces dernières années lorsque le gouvernement dirigé par la Nouvelle Démocratie a réussi à multiplier les attaques.

Beaucoup de gens ont placé leurs espoirs dans SYRIZA pour arrêter l’austérité mais la victoire de la gauche radicale pourrait à son tour raviver des batailles en cours - comme la lutte menée par les travailleurs licenciés de l’ERT, la chaîne de radio et de télévision d’Etat, fermée par le gouvernement Samaras au printemps 2013.

Ecrivant d’Athènes, Kevin Ovenden, un militant anticapitaliste britannique, a indiqué que la police anti-émeute a été déployée au siège de l’ERT le soir des élections pour empêcher une ré-occupation des principales installations de la station. Mais les policiers ont été accueillis par une manifestation en faveur des travailleurs, dans laquelle se trouvait Zoe Konstantopoulou, une dirigeante de SYRIZA souvent présentée comme la candidate la mieux placée pour devenir ministre de la Justice dans le prochain gouvernement, qui a exprimé sa "solidarité avec les travailleurs licenciés, qui devraient être réintégrés." [4]

Menaces non voilées

De telles confrontations soulignent le fait que le nouveau gouvernement se trouvera sur une trajectoire de collision avec les élites dirigeantes de la Grèce - et au-delà, de toute l’Europe.
Les propos menaçants pas du tout voilés venant de dirigeants de l’UE - en particulier ceux de l’Allemagne, le gouvernement le plus puissant du continent - ont continué jusqu’au jour même des élections en Grèce. "J’espère que le nouveau gouvernement ne remettra pas en question ce qui est attendu et ce qui a déjà été atteint", a ainsi encore averti dimanche Jens Weidmann, président de la Bundesbank. Pendant ce temps, la valeur de l’euro a encore baissé pendant la journée - un signe révélateur du chaos financier qui pourrait être utilisé contre un gouvernement de SYRIZA par les banquiers et l’élite financière.

Des dirigeants de SYRIZA, dont Alexis Tsipras, ont essayé de présenter le parti comme "responsable" et se sont engagés à négocier avec l’UE sur la question cruciale de l’énorme dette étrangère de la Grèce, désormais estimée à 168% du produit intérieur brut annuel. Mais ils disent que les négociations doivent se terminer par l’effacement d’une grande partie de la dette.

L’aile gauche au sein de SYRIZA, organisée autour de la Plate-forme de Gauche, explique qu’il faut commencer dès maintenant à se préparer pour savoir comment répondre quand la Troïka dira "non" et tentera de faire son chantage habituel afin d’intimider un nouveau gouvernement et le forcer à accepter le cadre de base des Mémorandums. Au centre de cette préparation se trouvent la mobilisation de la classe travailleuse et les luttes sociales.

Un tournant en Europe

Il est certain que même le programme des premières mesures que Tsipras a mis en avant pour faire face à la crise humanitaire en Grèce sera accueilli avec hostilité. SYRIZA promet en effet de fournir de l’électricité gratuite pour les ménages les plus pauvres, de ramener le salaire minimum à ce qu’il était avant les Mémorandums, de rétablir un système de soins de santé accessible à tous et d’annuler la suppression des conventions collectives et de la représentation syndicale sur les lieux de travail, parmi beaucoup d’autres mesures.

Ces mesures exemplatives de ce qu’un gouvernement de gauche pourrait accomplir risquent d’être bloquées au cours des premiers jours après l’élection. Malgré le mandat clair donné par le vote, SYRIZA a manqué de peu la majorité absolue au parlement. Il dispose maintenant de quelques jours pour montrer comment il va former un gouvernement qui puisse obtenir un vote de confiance dans le nouveau parlement.

SYRIZA devrait pouvoir compter sur le KKE, avec ses 15 députés, pour soutenir un gouvernement de gauche. Mais le KKE stalinien a rejeté toute coopération avec SYRIZA, dont il dit, de manière absurde, qu’elle veut défendre le "pouvoir des monopoles", tout comme le PASOK et même la Nouvelle Démocratie.

Pendant la soirée électorale, il y a un tourbillon de rumeurs et de spéculations sur les accords que les dirigeants de SYRIZA pourraient conclure avec d’autres partis pour obtenir suffisamment de soutien pour former un gouvernement. Nous verrons lors des prochains jours lesquelles se vérifieront.

En attendant, quelle que puissent être la possible confusion cette semaine et la forme que prendront les conflits par la suite, l’élection du 25 janvier marquera un tournant dans la politique européenne après la crise économique et des années d’austérité. SYRIZA a remporté une victoire incontestable dans un pays qui a subi de plein fouet les attaques et elle a donné un exemple pour les peuples à travers l’Europe - et tout particulièrement,en Espagne où Podemos, le parti de gauche radicale récemment formé, pourrait réaliser une bonne performance aux élections qui auront lieu cette année.

Dès maintenant, SYRIZA a besoin du soutien des travailleurs et des mouvements sociaux à travers l’Europe et au-delà, si elle veut survivre dans une confrontation avec les banquiers et les patrons qui voudront rétablir leur ordre et leur autorité.

Dernière minute

Résultats définitifs des élections :

Syriza (gauche radicale) : 36,34 %
- 149 sièges
Nouvelle Démocratie : 27,81 %
- 76 sièges
Aube Dorée (fascistes) : 6,28 % - 17 sièges
Le Fleuve
(centre gauche) : 6,05 % - 17 sièges
Parti Communiste : 5,47 % - 15 sièges
Grecs Indépendants (droite souverainiste) : 4,75 %
- 13 sièges
Pasok (PS) : 4,68 % - 13 sièges

Article paru le 26 janvier sur le site Socialist Worker de l’International Socialist organization
Source : http://socialistworker.org/2015/01/26/a-new-day-for-greece-and-europe
Traduction française et intertitres : Jean Peltier


[1(Le PASOK siège à l’Internationale Socialiste aux côtés de « notre » PS dirupien)