4 octobre 2012
Bien qu’il puisse sembler que la Jordanie n’ait pas été touchée par les révoltes arabes, c’est dès le mois de janvier 2011 que les Jordaniens sont sortis dans les rues pour les mêmes raisons que les Tunisiens et les Egyptiens : protester contre la situation économique et la privatisation des richesses publiques ; exiger la démission du Premier ministre et de son cabinet et revendiquer une réforme politique et la fin de la corruption des élites.
Les protestations continuent encore aujourd’hui, avec des marches qui se déroulent presque toutes les semaines et qui rassemblent les groupes d’opposition traditionnels comme les Frères Musulmans et la gauche, ainsi que les « nouveaux mouvements populaires » qui se constituent dans tout le pays. Deux coordinations visant à unir ces mouvements se sont créées. Les manifestations se déroulent dans tout le pays et tous les participants sont unis par les mêmes revendications explicitement politiques et la volonté d’en finir avec la corruption. Certains demandent ouvertement de réduire les pouvoirs du roi dans le cadre d’une monarchie constitutionnelle. Les groupes en faveur des réformes se rassemblent autour du rejet de la nouvelle Loi électorale, car ils considèrent qu’elle n’apporte aucune réponse, ainsi que dans une campagne en faveur du boycott des élections parlementaires prévues pour la fin de l’année 2012.
Le plus spectaculaire dans la situation actuelle, c’est l’augmentation des luttes des travailleurs, des grèves et d’actions similaires. Pour la seule année 2011, l’Observatoire Ouvrier Jordanien, une initiative du Centre Phénix d’Economie et d’Etudes Informatiques, qui a son siège à Amman, a enregistré plus de 800 actions ouvrières [1]. Le front des luttes ouvrières a commencé à bouger en 2006, mais ce sont les révoltes arabes de 2011 qui l’ont le plus fortement stimulé, en forçant le régime à céder plus de marges publiques pour la dissidence politique. L’augmentation de l’activité ouvrière n’a pas de précédent : elle touche les travailleurs de tous les secteurs, à l’exception des forces de sécurité. Enseignants, employés de banque, ouvriers des mines de phosphate et de potassium, employés universitaires, journalistes, taximen, personnel de la santé et médecins des hôpitaux publics… la liste est longue. Certaines de ces actions mettent en avant un programme politique qui coïncide en grande mesure avec les protestations en faveur des réformes.
Le militantisme ouvrier et syndical en Jordanie remonte au début des années 1950. Depuis au moins la moitié des années 1970, cependant, il a été bloqué par la répression ou par des méthodes de cooptation par le régime, ainsi que par des luttes politiques internes [2]. En conséquence, jusqu’en 2011, les syndicats ne représentaient pas réellement les travailleurs. La législation jordanienne n’offre aucune possibilité de créer de nouveaux syndicats et oblige les travailleurs à présenter leurs revendications au travers des seuls syndicats officiels et non par des grèves ou des protestations. Le gouvernement maintient sous étroite surveillance toute assemblée publique. Avant 2011, les organisateurs d’assemblées ou de protestations étaient obligés d’obtenir une permission préalable. Mais en mars de cette année, la loi a été modifiée et ils ne sont plus tenus qu’à en informer à l’avance les autorités.
Malgré les restrictions légales, entre 2006 et 2009, d’importantes mobilisations ont eu lieu, organisées par les travailleurs du secteur du phosphate, par les dockers et par les employés intérimaires du secteur public. En outre, les travailleurs des Zones Industrielles Qualifiées, principalement des immigrés, ont organisés plusieurs protestations au cours de ces dix dernières années – plus de 30 pour la seule année 2010. Comme ils ne possèdent pas la citoyenneté jordanienne, ces travailleurs surexploités sont plus vulnérables aux arrestations massives et à la déportation [3].
En 2010, l’Observatoire Ouvrier Jordanien a rendu compte de plus de 140 actions ouvrières de tous types, une augmentation significative par rapport aux années précédentes. Les raisons évidentes qui expliquent cette vague de protestations sont liées à la situation économique difficile ; à l’augmentation des prix des combustibles et des services publics ; à la réduction des salaires et au chômage croissant.
Les Jordaniens font le lien entre ces difficultés et les privatisations des secteurs publics clés car elles coïncident avec la crise économique. L’inquiétude face à la « mise en vente du pays » a atteint une telle ampleur qu’en 2008 le roi Abdallah II s’est vu forcé de publier un démenti sur une page complète dans le journal semi officiel « Al-Ra’y ». Le roi y accusait le « journalisme irresponsable » d’avoir terni les avancées économiques jordaniennes, et défendait les mesures gouvernementales visant à privatiser certaines ressources nationales [4].
Ce n’est donc pas un hasard si de nombreux travailleurs qui ont protesté avant 2011 proviennent des secteurs directement affectés par cette nouvelle politique économique. En juillet 2009, les dockers de la Corporation pour le Développement d’Aqaba (créée en 2004 comme partie de la Zone Economique Spéciale d’Aqaba) ont fait grève pour protester contre les pertes d’emplois et contre les termes des accords de compensation sur les logements liés à la vente des terrains portuaires à un conglomérat de firmes des Emirats Arabes Unis. Entre 3.000 et 4.000 personnes participèrent à un rassemblement qui a duré deux jours. La gendarmerie (connue en Jordanie comme la « Darak ») fit acte de présence en frappant les travailleurs, en blessant gravement l’un d’eux et en arrêtant 65 autres, selon Human Rights Watch et le Centre National pour les Droits de l’Homme en Jordanie. Le dirigeant de cette mobilisation fut puni par un changement de poste de travail et par une réduction de son salaire.
La Fédération Générale des Syndicats, reconnue par l’Etat, représentait les dockers au début de leur lutte, mais ces derniers ont finalement refusé sa médiation du fait des compromissions qu’elle était prête à conclure avec la direction. Les dockers ont par la suite reçus des garanties officielles quant à la possibilité de créer leur propre syndicat et ils ont depuis lors constitué un comité de direction dans ce but.
En 2009, une autre grève générale fut organisée par les travailleurs de la Compagnie des Phosphates de Jordanie, que l’Etat avait vendue à un investisseur privé en 2006. Bien que les travailleurs du phosphate avaient initialement accepté le représentant du Syndicat Général des Travailleurs des Industries Minières et du Métal qui leur avait été assigné, ils exprimèrent par la suite une insatisfaction croissante face à la manière qu’avait ce syndicat officiel de négocier. Ils ont finalement créé leur propre syndicat à la fin de l’année 2011. En février 2012, les travailleurs organisés dans ce nouveau syndicat ont organisé une autre grève qui est parvenue à paralyser totalement le fonctionnement de l’entreprise. La direction a été forcée de négocier avec ce syndicat indépendant bien qu’officiellement, c’est le Syndicat Général des Travailleurs des Industries Minières et du Métal qui a signé l’accord, puisque le syndicat indépendant n’a pas de statut légal.
Près de 75% des protestations de 2010 se sont déroulées dans le secteur privé. Mais les mobilisations du secteur public, bien que numériquement moindres, ont déblayées la voie pour que les luttes des travailleurs des autres secteurs puissent se développer en mettant en avant la revendication du droit à la syndicalisation. Les enseignants, par exemple, avaient créé un Comité pour la Réactivation de l’Association Professionnelle des Enseignants. Les membres de ce comité organisèrent 12 mobilisations en 2010 pour exiger des salaires plus élevés et leur droit à s’organiser. Ils se firent également entendre lors des protestations politiques du début de l’année 2011, en ajoutant leurs revendications syndicales à celles demandant la démission du Premier ministre, Samir al-Rifai, et de son gouvernement. Vers la moitié de l’année 2011, ils avaient obtenus des garanties du nouveau Premier ministre, Maaruf al-Bajit, selon lesquelles le gouvernement allait élaborer la législation nécessaire à la formation d’un syndicat enseignant. Mais par la suite, les dirigeants des enseignants comprirent que le gouvernement oubliait ses promesses et ils appelèrent leur base à la grève. Cette grève fut massivement suivie au début de l’année 2012, ce qui a précipité la création du nouveau syndicat des enseignants et l’élection de leurs représentants.
Avant 2011, les employeurs (tant publics que privés) ainsi que le régime et son appareil de sécurité répondaient le plus souvent aux actions des travailleurs par la répression – arrestations, transferts et licenciements punitifs, en particuliers des leaders. Parfois, les employeurs agitaient la carotte afin de dissuader les leaders ouvriers de toute action. Dans certains cas, les revendications des travailleurs étaient partiellement rencontrées, ou bien l’on faisait des promesses afin d’éviter l’affrontement. Mais l’ampleur des mobilisations sociales depuis le début de 2011, couplées aux petites mais persistantes protestations politiques, ont fait que le régime s’est vu incapable d’étouffer par ces méthodes le mécontentement des travailleurs.
Le cas du mouvement des employés intérimaires est éclairant tant par rapport aux réponses officielles que par le fait que son succès initial a inspiré beaucoup d’autres secteurs. Ces employés intérimaires travaillent directement pour les ministères du gouvernement. Ils sont parfois engagés sous contrat au travers d’entreprises de placement privées. Ils n’avaient pas de syndicat, ni officiel, ni indépendant et, en 2006, ils gagnaient à peine 90 dinars (127 dollars) par mois. A l’ère des politiques économiques néolibérales et des mesures destinées à réduire le secteur public, le nombre de travailleurs de ce secteur – caractérisé par une forte précarité, la faiblesse ou l’absence de primes et des bas salaires – a augmenté, comme partout dans le monde.
En mai 2006, les employés intérimaires du Ministère de l’Agriculture ont organisé un sit-in dirigé par Muhammad al-Sunayd, qui, depuis lors, est devenue la figure publique de leur syndicat. Deux semaines après cette action, les travailleurs eurent une rencontre avec Bajit, qui occupait alors son premier mandat de Premier ministre (il fut destitué en novembre 2007 et fut réélu en février 2011). Leurs principales revendications concernaient l’augmentation des salaires, leur nomination statutaire comme fonctionnaires publics, la sécurité de l’emploi qu’elle entraîne, et le droit à des primes. En outre, ils demandèrent au Premier ministre qu’il s’engage à mettre fin au système d’engagement d’employés intérimaires dans le secteur public, argumentant qu’il s’agissait d’une forme d’exploitation. Par la suite, les salaires furent immédiatement augmentés et, selon les représentants des travailleurs, le Premier ministre s’engagea à ce que le gouvernement transforme les employés en fonctionnaires pour une période de trois ans, à partir de 2007. Vu le grand nombre de travailleurs concernés, les représentants des employés considérèrent ce calendrier comme raisonnable et acceptèrent les termes de l’accord. Sous les directives de Bajit, le Conseil des Ministres émit une résolution indiquant l’intention d’en finir avec le système des employés intérimaires dans les institutions publiques. Mais le gouvernement du Premier ministre Nadir al-Dhahabi remplaça Bajit avant que cette promesse ne puisse être tenue.
Pour exiger que le nouveau gouvernement respecte les engagements conclus par son prédécesseur, les employés organisèrent un second sit-in le 1er mai 2007. A cette occasion, 750 travailleurs y participèrent face aux Parlement et manifestèrent ensuite jusqu’à la résidence du Premier ministre. Peu après, Abdallah II, limogeait à nouveau le gouvernement pour placer Samir Al-Rifai et son cabinet au pouvoir. Sous la pression croissante des actions des travailleurs, Al-Rifai accomplit finalement la promesse d’intégrer les employés temporaires dans l’administration publique, bien qu’en imposant certaines conditions - par exemple la nécessité de savoir lire et écrire, ce qui excluait 250 travailleurs. En outre, bien que Bajit avait promis la fin du système des employés temporaires dans les ministères, 250 employés supplémentaires de cette catégorie furent engagés après cette décision.
Quand ces 250 travailleurs furent brutalement licenciés, les employés organisèrent alors une nouvelle protestation le 1er mai 2010, cette fois ci devant l’immeuble des Syndicats Professionnels à Amman, pour exiger leur réincorporation et pour accuser le Ministère de malversation des fonds publics. Au cours de cette protestation, Muhammad al-Sunayd apprit qu’il avait été licencié de son travail au Ministère de l’Agriculture. Deux semaines plus tard, lors d’un sit-in devant un événement auquel assistait le ministre de l’Agriculture, Sunayd fut arrêté et accusé de diffamation. Cette arrestation relança de nouvelles protestations avec des rassemblements quasi hebdomadaires tout au long de l’année 2010. Sunayd fut finalement libéré, mais n’a pas été réintégré à son poste de travail. Jusqu’au moment où il fut interviewé pour cet article, il avait été détenu quatre autres fois et à nouveau en juillet 2012 après avoir appelé la « Darak » à « arrêter les corrompus » [5].
Les dirigeants syndicaux comme Sunayd représentent le nouveau visage du militantisme ouvrier en Jordanie. Il réside à Dhiban, qui est considérée par certains comme la localité où se produisit la première protestation politique importante en 2011. En janvier de l’année dernière, en effet, les habitants de Dhiban protestèrent contre l’augmentation des prix, la mauvaise utilisation des ressources locales et la corruption des autorités et pour exiger la destitution du gouvernement de Al-Rifai. Comme Sunayd l’a lui-même souligné, lui et de nombreux autres militants ouvriers comprennent clairement que leur travail militant est lié avec la croissante opposition politique. Sous de nombreux aspects, l’activisme des dirigeants du mouvement des employés intérimaires, des travailleurs des phosphates, des dockers et des enseignants, a jeté les bases des vagues de protestation de 2011.
En 2011, il n’y a eu qu’une seule journée sans conflit du travail ou action de travailleurs. A la fin de l’année, l’Observatoire Ouvrier de Jordanie a enregistré 829 protestations de travailleurs, et ce même groupe informe que jusqu’à la moitié de l’année 2012 se sont déjà produits 560 actions. Certaines d’entre elles furent brèves et à petite échelle, dans d’autres cas les travailleurs se sont montrés satisfaits des concessions rapidement obtenues de la part de leur directions. Dans d’autres secteurs, par contre, ils se mobilisent depuis plusieurs années et leurs revendications sont devenues clairement politiques. En 2012, la montée de l’activisme ouvrier fut à son tour stimulée par le courage des manifestants dans toute la région arabe, ainsi que par l’apparente absence de volonté du gouvernement jordanien d’écraser les protestations.
Les manifestations de travailleurs ont accompagné celles plus explicitement politiques qui se centrent en grande mesure sur la politique économique, la corruption et en faveur d’une plus grande participation démocratique. Plusieurs des initiatives ouvrières parmi les plus importantes et durables expriment des aspirations politiques en même temps que des revendications sociales immédiates. Les journalistes réclament la liberté éditoriale. Les employés intérimaires et d’autres travailleurs du secteur public exigent une plus grande responsabilité financière et accusent les responsables publics de corruption. Les luttes des travailleurs du phosphate étaient en partie motivées par la dénonciation de la corruption qui a accompagné la privatisation de la Compagnie nationale de phosphate de Jordanie. En 2011, en effet, une commission parlementaire a commencé une enquête sur la vente de la compagnie mais ses résultats n’ont jamais été rendus publics.
L’un des plus importants objectifs du nouveau mouvement ouvrier naissant est le droit de constituer des syndicats indépendants et représentatifs. C’est sur ce front de lutte que les militants ouvriers les plus représentatifs ont commencé à s’unir. La législation jordanienne stipule que les travailleurs ont le droit de se syndiquer, mais l’article 84 de la législation du Travail affirme que les travailleurs ne peuvent organiser plus de 17 syndicats… A quelques exceptions importantes près, les syndicats existants sont considérés, tant par les syndicalistes jordaniens que par les observateurs externes, comme non représentatifs des intérêts des travailleurs tant ils sont étroitement alignés sur les politiques gouvernementales et les intérêts patronaux. En outre, comme dans de nombreux autres secteurs de la vie publique, il existe une longue histoire bien documentée d’intervention des forces de sécurité de l’Etat dans les activités syndicales, par exemple dans la nomination et l’approbation des dirigeants syndicaux et des délégués des travailleurs. En 2010, seuls deux syndicats ont organisé des élections pour leur présidence et seulement 3 des 17 syndicats officiels ont tenus des élections pour désigner les membres de leur conseil de direction [6]. Des militants ouvriers ont également rendu compte que, même quand de telles élections se déroulent, les syndicats limitent les candidatures.
De nombreux militants syndicaux interviewés pour cet article ont évoqué leurs tentatives d’agir au travers des syndicats officiels. Certains d’entre eux, comme les dirigeants du Syndicat Indépendant des Travailleurs de l’Electricité de Jordanie, ont déclaré qu’ils avaient travaillé pendant des années pour donner une nouvelle vie au syndicat officiel, pour l’ouvrir à une plus grande participation de la base. Des efforts similaires furent tentés au sein de la Fédération Générale des Syndicats de Jordanie. Mais, aujourd’hui, le sentiment général parmi les membres du mouvement syndical indépendant est ces tentatives ont, dans une grande mesure, échouées. En conséquence, l’effort à été mis sur la création de nouveaux syndicats qui représentent mieux les travailleurs et sur la pression afin de réécrire la loi de manière à ce qu’ils puissent recevoir une reconnaissance officielle. Bien que certains amendements à la législation du travail aient été proposés, avec l’un ou l’autre appui dans le Parlement, aucun changement législatif significatif ne s’est produit jusqu’à présent. Le Centre Phénix, au travers de l’Observatoire Ouvrier de Jordanie, en sa qualité de groupe d’appui, a présenté un projet de nouvelle législation du travail destiné à répondre aux normes établies par l’Organisation Internationale du Travail [7].
Pendant ce temps, les militants syndicaux ont pris leurs propres affaires en mains. En juin 2011, six syndicats indépendants ont été créés sans demander l’autorisation de quiconque, et d’autres groupes de travailleurs avancent également sur cette voie. Les travailleurs de ces syndicats indépendants ont établit leur propre Fédération Générale des Syndicats Indépendants. Du fait de leur absence de statut légal, les syndicats indépendants ne sont pas autorisés à percevoir des cotisations de leurs affiliés, ni même à ouvrir des comptes bancaires en leur nom. D’autre part, les négociations ou les accords qu’ils mènent à bien au nom des travailleurs doivent être légitimés par les syndicats légalement reconnus. Cependant, malgré leur échec dans l’obtention d’une reconnaissance officielle, ces syndicats indépendants se sont de facto transformés en tribunes des travailleurs et de leurs revendications. Dans le cas du Syndicat Indépendant des Travailleurs du Phosphate et du Syndicat Indépendant des Travailleurs de l’Electricité de Jordanie, ce sont ces nouvelles organisations syndicales qui ont exercé le pouvoir populaire nécessaire afin de forcer les directions à s’asseoir à la table de négociation. Par ailleurs, la lutte se poursuit toujours dans ces secteurs afin de garantir l’accomplissement des accords.
Comme le soutiennent depuis longtemps de nombreux chercheurs sur les questions du travail dans la région, il n’existe pas de muraille de Chine entre les problèmes économiques et les revendications politiques [8]. En Jordanie, de nombreuses revendications du travail sont liées à des questions plus vastes relatives aux politiques économiques néolibérales, à la corruption et au contrôle démocratique sur le gouvernement qui constituent les préoccupations centrales des groupes politiques, anciens et nouveaux, en faveur de réformes. Certaines organisations ouvrières ayant une longue trajectoire se sont attaquées au cœur des politiques économiques néolibérales qui ont, entre autres choses, entraînées la précarisation des employés temporaires et des travailleurs des services publics et la privatisation d’industries nationales, comme la Compagnie nationale de phosphates. C’est ici que les plaintes des travailleurs se superposent de manière la plus explicite avec celles de l’opposition politique. A un niveau plus profond, le développement des mobilisations ouvrières et d’un mouvement syndical indépendant ont des conséquences à long terme pour l’évolution politique puisqu’elles peuvent contribuer à la naissance d’organisations de la société civile plus puissantes et offrir ainsi une base sociale plus large à l’opposition.
Avec une dette publique qui atteint presque 200 milliards de dollars et une sévère pénurie d’eau et d’autres ressources naturelles, les plaintes des travailleurs en Jordanie ne seront pas facilement étouffées. Certaines rumeurs circulent selon lesquelles le gouvernement rencontre, mois après mois, les plus grandes difficultés pour payer les salaires, malgré les promesses de l’Arabie Saoudite et de l’Union européenne afin d’apporter une contribution à l’aide financière permanente octroyée au régime par les Etats-Unis. Il s’agit de problèmes anciens qui sont aujourd’hui devenus plus aigus. Mais ce qui a changé, c’est que les Jordaniens ne se taisent plus et ce sont les militants syndicaux qui ont été à l’avant-garde pour briser la barrière de la peur.
Source : http://www.merip.org/mer/mer264/emergence-new-labor-movement-jordan
Traduction française pour Avanti4.be : G. Cluseret
Pour une introduction à l’histoire du mouvement syndical en Jordanie, voir :
http://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/11/10/75/PDF/SyndicatsProJordanie.pdf
[1] Jordan Labor Watch : « Labor Protests in Jordan During 2011 », n° 1 (Aman, 2012).
[2] Hani al-Hurani : The Jordanian Labor Movement : History, Structure and Challenges (Bonn : Friedrich-Ebert-Stiftung, 2001), accessible an anglais online sur : http://library.fes.de/fulltext/iez/01144toc.htm
[3] National Labor Committee : US-Jordan Free Trade Agreement Descends into Human Trafficking and Involuntary Servitude (New York, 2006), accessible en anglais online sur : http://www.nlcnet.org/admin/reports/files/Jordan_Report_2006.pdf
[4] Al-Ra’y, 2 juillet 2008.
[5] Fi al-Mirsad, 17 juillet 2012.
[6] Jordan Labor Watch : « Freedom of Association in Jordan », n° 2 (Amman, 2012).
[7] Phenix Center for Economics and Informatics Studies/Jordan Labor Watch : « Draft Law Proposal : Trade Unions Activity Regulation » (Amman, septembre 2011).
[8] Joel Beinin et Frederic Vairel : Social Movements, Mobilization and Contestation in the Middle East and North Africa (Stanford, CA : Stanford University Press, 2011).