Grande-Bretagne : succès et défis politiques de l’Assemblée du Peuple

Liam Mac Uaid 2 juillet 2013

Le 22 juin dernier s’est tenue à Londres la première « Assemblée du Peuple » : un mouvement unitaire contre l’austérité qui rassemble plus d’une centaine d’organisations syndicales, sociales et politiques, tels que les syndicats Unison (secteur public), NUT (syndicat national des enseignants), Unite, CWU (médias), mais aussi la Coalition of Resistance, la campagne antiguerre Stop the War, des organisations féministes ou de la gauche radicale (Counterfire, Socialist Resistance…). Une série de figures connues de la gauche Tariq Ali, Ken Loach, Owen Jones…) étaient également présentes parmi les 4.000 participant-e-s afin de soutenir cette initiative. Une initiative importante qui pourrait en inspirer d’autres en Europe. Nous reproduisons ci-dessous un article résumant la conférence ainsi que la déclaration qui y fut adoptée. (Avanti4.be).

L’initiative a été un succès massif. Ce fut le plus grand rassemblement de syndicalistes, de représentants d’organisations communautaires et de personnes de tous les secteurs de la société qui cherchent une alternative aux coupes, à la pauvreté et à la misère sociale. Tous les gens qui étaient là semblaient enthousiasmés tant par la taille de la réunion que par le niveau de la discussion et le consensus afin de continuer à développer les activités.

En toile de fond était également présente la question de la représentation politique, un sujet abordé tant par Ken Loach que par le secrétaire général du Syndicat des Services Publics et Commerciaux (PCS, pour ses sigles en anglais), Mark Serwotka.

Owen Jones, écrivain et membre du Parti Travailliste, a jeté les bases de la session d’ouverture en décrivant l’impact de l’austérité et le succès qu’à connu le gouvernement en déviant la rage des gens loin des banquiers et en la dirigeant vers les personnes les plus pauvres de la société. Il a présenté un programme alternatif, auquel plusieurs références furent faites au long de la journée, concernant le logement et la construction d’infrastructures, le paiement d’un salaire digne pour tous les travailleurs-euses, le contrôle public et démocratique des banques et des mesures drastiques contre les riches qui éludent l’impôt.

En écho à de nombreuses interventions, il a nié le fait que l’activisme devrait se limiter à faire pression sur les politiciens pour qu’ils soient de meilleurs volonté et a rappelé les chartistes, les suffragettes et le mouvement contre la Poll Tax [1] comme exemples des traditions de la classe ouvrière britannique qui doivent être réaffirmées.

Frances O’Grady, secrétaire générale du TUC [2], a été bien accueillie. Indépendamment de ce que nous pensons lorsqu’elle se déclare fière d’être à la tête du mouvement contre l’austérité, elle a déclaré que les tories millionnaires du « Bullingdon Clubestan » sont en train de mener une guerre de classe. Avec une ligne argumentaire qui rappelait à plusieurs auditeurs celle d’Arthur Scargill [3], elle a dit que « nous lutterons de manière aussi dure pour nos gens qu’ils le font pour les leurs » et a même été jusqu’à promettre son soutien à tout collectif de travailleurs qui vote en faveur de la grève.

La première personne à évoquer la question d’une organisation politique fut Mark Steel. Soulignant que la gauche a l’habitude de ne pas se rendre attractive aux gens, il a observé qu’elle aurait plus de force si elle collabore davantage et cesse de se quereller pour des questions secondaires.

Débats animés

On ne peut résumer dans un court article la variété des ateliers qui se sont tenus. Quelques 500 personnes ont participé à la session sur le changement climatique, ce qui est encourageant. Le mouvement montant autour du changement climatique a été fragilisé lorsque l’attention des gens s’est tournée vers la question de l’impact des coupes et des résistances à l’austérité. Notre mouvement doit insister sur le fait que sa vision alternative de la société doit avoir un cœur écologique et le haut degré d’engagement dans ce débat dans l’Assemblée du Peuple indique que cela a été réaffirmé.

Dans l’atelier sur les gouvernements locaux, Barbara Jacobson, de la « Barnet Alliance for Public Services », a décrit une campagne locale exemplaire contre le projet d’externaliser dans cette municipalité pratiquement toutes ses fonctions en faveur de l’entreprise privée Capita. Les activistes ont réalisé des vidéos, organisé des protestations, des réunions, des débats et ont mis tout le processus sous la loupe à un point tel qu’ils sont parvenus à effrayer les tories. C’est une expérience dont d’autres luttes peuvent tirer bien enseignements.

Ken Loach fut sans doute le porteur d’un message assez incommodant pour une partie de l’assistance de la plénière de clôture. Il a utilisé une partie de son temps dans un atelier sur la défense de l’Etat-Providence pour aborder l’inévitable question que pose une conférence contre l’austérité. Vu que les trois grands partis ont pratiquement le même programme, quel type de représentation politique existe-t-il pour les gens qui veulent autre chose ? Selon lui, c’est Left Unity , ou quelque chose de très semblable, qui doit remplir cette fonction. Pour Ken Loach, il aurait été erroné de faire de la question de l’organisation politique le thème central d’un tel événement, mais Ed Balls et Ed Miliband (dirigeants du Parti Travailliste) « ne nous laissent pas le choix » (voir ici la vidéo de l’intervention de Ken Loach).

Adapté pour les enfants ?

Un aspect décevant de la journée fut l’absence totale de dispositions pour garder les enfants. Une conférence du mouvement ouvrier dans laquelle on rappelle régulièrement aux assistants que les femmes sont plus durement frappées par l’austérité, a le devoir de montrer l’exemple sur ce point.

Trouver des ressources pour organiser une garderie d’enfants doit être une priorité politique afin qu’il y ait un équilibre de genre parmi ceux qui interviennent et pour que puissent être représentés différents points de vue et expériences.

L’idée qu’un père ou qu’une mère puisse amener son enfant à un événement tel que celui-ci et y participer tout au long de la journée est impensable. Entre les différentes sessions, traverser les foules était chose impossible pour tout enfant. Il serait souhaitable d’en prendre bonne note pour la prochaine conférence.

Et maintenant ?

Pendant la plénière finale fut adoptée une orientation stratégique. La secrétaire générale du Syndicat National des Enseignants (NUT, pour ses sigles en anglais) a fait référence aux actions conjointes que son syndicat mènera à bien avec l’autre grand syndicat enseignant, l’Association Nationale des Instituteurs – Syndicat des Femmes Professeures (NASUWY, pour ses sigles en anglais).

Vint ensuite Len McCluskey, secrétaire général du syndicat Unite [4]. Il a soutenu que s’il est correct d’organiser une grève générale contre l’austérité en Grèce, dans l’Etat espagnol ou au Portugal, alors il est également correct de la faire ici. Il a renforcé cet argument en disant que les membres d’Unite étaient prêts pour aller à la grève générale et qu’il ne permettrait pas que les lois antisyndicales s’interposent. Il a lancé une flèche contre le Parti Travailliste en disant que son message s’adressait à « tous les partis ».

Parlant au nom du comité organisateur de l’Assemblée Populaire, John Rees (membre de Counterfire, NdT) a invité tous les participants à s’investir dans les assemblées locales et à revenir à la prochaine Assemblée en tant que délégués représentants de nombreux autres personnes. Il a proposé une déclaration (voir ci-dessous) dans laquelle se profile un programme d’action et qui fut approuvée par acclamation, en précisant qu’elle était ouverte aux amendements pour adoption définitive à la prochaine Assemblée.

Le dernier orateur du jour, Mark Serwotka, a également invoqué la question de la représentation politique. Il a proposé un programme alternatif pour le Parti Travailliste, un programme qui comporte un rejet total de l’austérité et du néolibéralisme. Comme la majorité des gens présents dans la salle, il sait très bien que le Parti Travailliste ne va jamais l’adopter. Il est alors arrivé à la conclusion évidente - en faisant écho à l’émergence de nouveaux mouvements politiques en Europe -, que nous devions nous aussi en avoir un en Grande-Bretagne. Il n’a pas très bien clarifié les détails, mais il n’a laissé aucune ambigüité sur la nécessité de le construire (pour voir ici la vidéo de son intervention )

Après cette conférence, les enseignants ont mené à bien tout au long de la semaine des actions revendicatives en prélude aux grèves qui seront organisées pendant le reste de l’année. Frances O’Grady, Len McCluskey et Mark Serwotka ont exprimé leur disposition à soutenir des actions similaires. L’Assemblée du Peuple peut être le début d’une vague croissante de résistance contre les nouvelles attaques de la guerre de classe des tories.

Source :
http://socialistresistance.org/5325/peoples-assembly-success-challenges-and-politics
Traduction française pour Avanti4.be : G. Cluseret.

Notes d’Avanti :


[1La Poll Tax est une taxe créée en 1989 par le gouvernement conservateur de Margaret Thatcher. Cette taxe sur les habitations était d’un montant égal pour tous les contribuables, quelle soit la taille et l’état de leur logement - et donc extrêmement inégalitaire. Une campagne massive s’est développée contre cette taxe, incluant un appel au non-paiement, qui a rencontré un énorme succès, au point qu’au plus fort de cette campagne, un quart des foyers britanniques ne l’avaient pas payée. L’impopularité de cette taxe et l’ampleur du mouvement de protestation ont fortement pesé dans le départ de Thatcher en 1990. Elle a finalement du être abandonnée en 1993.

[2La Trade Union Congress est la fédération qui rassemble la majorité des syndicats britanniques, avec 6 millions d’affiliés. La plupart des centrales syndicales du TUC sont affiliées au Parti Travailliste, contribuent pour son Fonds électoral et jouissent d’un droit de vote dans le Parti.

[3Arthur Scargill est le dirigeant historique du Syndicat National des Mineurs (NUM) pendant les grandes grèves minières des années 1984-1985.

[4Unite est la plus importante centrale du Trade Union Congress. Elle regroupe des travailleurs d’une multitude de secteurs, essentiellement dans le secteur privé.