12 décembre 2013
Les « Cafés serrés » de Thomas Gunzig de ces mardi 10 et mercredi 11 décembre sur la Première radio…
Bonjour Georges, bonjour tout le monde et bonjour Monsieur Hedebouw,
Bon, alors, j’imagine que comme moi, vous avez entendu cette terrible nouvelle tombée en fin de semaine dernière : Nelson Mandela est mort. Nelson Mandela est mort, un monument, la fin d’une époque, une page d’histoire qui se tourne et tout et tout.
Nelson Mandela est mort et nous avons pu observer un phénomène vraiment intéressant. Et ce phénomène c’est que tout le monde, mais vraiment tout le monde, de Vladimir Poutine à ma voisine Zigotte Kickebakke s’est senti obligé de lui rendre hommage. Vous avez vu ça, hein ? Ça a été comme si en ne lui rendant pas hommage, on se serait forcément rangé au côté de Dark Vador et Cruella. Et comme si en lui rendant hommage, on espérait s’attirer quelque chose, un tout petit morceau de gloire. Et par les temps qui courent, la gloire, même un tout petit morceau, ça vaut quelque chose.
D’ailleurs, je le reconnais, moi-même, j’ai rendu hommage à Mandela. C’était jeudi soir, on allait se mettre à table, ça sentait le poulet et la compote et dès que j’ai vu la nouvelle sur Twitter, j’ai dit : « tiens, Mandela est mort ». Ma fiancée m’a fait remarquer qu’il avait 95 ans et que mourir à 95 ans, c’était quelque chose de plutôt normal. Alors là, je lui ai répondu que ça n’avait rien à voir, que la mort de Mandela, c’était quand même quelque chose d’important. Elle m’a demandé « important pour quoi exactement ? ». Et là, comme elle commençait à m’énerver, je lui ai dit qu’elle ferait bien de réfléchir deux minutes avant de dire n’importe quoi. Du coup, elle m’a répondu qu’avec moi c’était toujours la même chose : quand je ne savais pas quoi répondre, je devenais agressif. « Moi ? Aggressif ? ».
Et là, c’est quand même incroyable qu’une des premières conséquences véritables de la mort de Mandela, c’est que j’ai mangé mon poulet froid en boudant tout seul dans mon bureau. Et ça, évidemment, tout le monde s’en fout. Eh bien, elle est belle la gauche, Monsieur Hedebouw !
Mandela est mort et tout le monde lui a donc rendu hommage. Mais alors vraiment tout le monde : François Hollande, Nicolas Sarkozy, Kim Jong-Il, le Prince Philippe, Elio Di Rupo, Didier Reynders, Bachar el-Assad, Hassan Rouhani, Raúl Castro et puis vous aussi Monsieur Hedebouw, je vous cite : « Madiba, nous continuerons ton combat. ». Un hommage aussi sobre que celui de Marine Le Pen qui disait : « C’est une grande voix qui s’éteint, saluons celui qui a préservé son pays des déchirures. ».
Tout le monde lui a rendu hommage et moi je me suis mis deux minutes à sa place, de Mandela, en imaginant qu’il pouvait peut-être voir tout ça — on ne sait pas, c’est possible, hein, on a très peu d’information sur la vie après la mort. Et je me suis dit que ça lui faisait peut-être le même effet que lorsqu’on était petit et que nos parents organisaient un anniversaire en invitant toute la classe, même ceux qu’on aimait pas et que du coup on passait un après-midi vraiment pourri entre ce gros con de Régis qui a le nez qui coule et cette peste de Cassandra.
Bref, Mandela est mort et dans l’heure qui a suivi sa mort, juste après les hommages, tous ceux qui avaient rendu hommage se sont mis à engueuler tous les autres qui avaient rendu hommage. Et tout le monde accusait tout le monde de récupération. Et que mon hommage à moi, c’est un vrai hommage et que ton hommage est tout pourri. Et qu’on en est presque arrivé aux mains pour savoir qui avait fait l’hommage le plus sincère à cette icone de la paix.
Bon, et puis dans un troisième temps, après les hommages et les disputes autour des hommages, hé bien, ce sera la cérémonie d’adieu. Et là, je ne sais pas si vous avez vu mais il y aura du monde : Merkel, Kirchner, Mugabe, Obama. La cérémonie, c’est the place to be.
D’ailleurs nous, on y envoie Elio Di Rupo. Mais aussi Rudy Demotte pour la Wallonie et Kris Peeters pour la Flandre. On n’a pas demandé à Karl Heinz Lambertz et je trouve ça hyper cruel.
Et là, je vous avoue que j’aimerais être une petite souris pour entendre Rudy Demotte et Kris Peeters expliquer aux enfants de Mandela que la Belgique est un pays merveilleux où tout le monde aime bien tout le monde mais que c’est vrai qu’un Wallon mélangé à un Flamand, ça fait comme une moule dans de la cassonade et que c’est comme dans les anciens bantoustans, c’est mieux chacun chez soi.
Là dessus, à demain.
Bonjour Georges, bonjour tout le monde,
Alors, hier, avec toute cette histoire de Mandela, le temps a été comme suspendu. Hier, avec toute cette histoire de Mandela, on avait beau essayer de s’intéresser à autre chose qu’à Mandela, tout, mais vraiment tout, nous ramenait à Mandela.
Première page de journal : tout le monde à Soweto pour l’hommage à Mandela. Sur cette antenne, Raoul Hedebouw nous rappelait la jeunesse communiste de Mandela et puis page spéciale sur la Première, les derniers adieux à Mandela. La télévision française parlait bien de François Hollande et Nicolas Sarkozy. Mais c’était dans le cadre de leur rencontre sur le tarmac de l’aéroport les conduisant vers le FNB Stadium de Johannesburg. Bono et Charlize Theron apparaissaient sur le fil Twitter. Ah tiens, du people, du sexy, aurons-nous droit à du nichon ? Ah non, eux aussi, ils sont là pour Mandela.
Ça a été la journée du coming out où on a appris que le monde entier avait été inspiré par Mandela. Le Roi Philippe : « Mandela a été une inspiration pour nous tous. », Britney Spears : « Mandela, show inspiration », David Guetta : « Mandela, l’homme qui changea le monde ». Nom d’un chien ! Le matin, pour ma fille, on a du chercher en vitesse de la documentation sur Mandela parce que l’institutrice voulait réaliser un grand panneau sur Mandela. À la radio, Denis Collard annonçait une belle journée ensoleillée en hommage à Mandela. Puis, le midi, à la cafétaria de la Première, en mangeant son sandwich au crabe, Bertrand Henne, l’air rêveur m’a dit s’interroger sur les goût de Mandela : plutôt champignons grecs ou thon piquant ?
Bon sang, à un moment, j’ai vraiment eu besoin d’un peu d’air. Et je suis parti faire du vélo dans les bois où j’ai croisé toute une classe de deuxième primaire guidée par un prof de gym faisant faire aux enfants une marche en mémoire de Mandela en chantant du Johnny Clegg.
Finalement, hier, à part les 1500 poulets vivants échappés d’un camion accidenté sur l’autoroute de Marcinelle et gambadant à travers les quatre bandes, il ne s’est rien passé, rien du tout.
Cela dit, j’aimerais prendre une seconde pour m’adresser à ces poulets. Bravo les gars, belle tentative ! Vous êtes nés en prison. Le système ne vous laissait aucun espoir. Pas question de sortir de votre condition. Et puis soudain, à la faveur d’une conjoncture favorable, voilà une occasion qui se présente : le camion qui vous transportait s’est couché sur le flanc et les barreaux sont tombés. Ah, la liberté et son ivresse, l’odeur du monde extérieur, le vent du petit matin dans vos petites plumes blanches et, sous vos petites papattes, la vraie terre des accotements. Ça devait être super bien.
Cela dit, en regardant les images des poulets, on les voit courant partout et se faisant rattrapper les uns après les autres par les pompiers et remettre dans des caisses. Des images tragiques.
Alors Georges, savez-vous pourquoi ils ont échoué dans leur tentative d’évasion ? Mais parce qu’il leur manquait un leader. Un poulet véritablement visionnaire, un poulet qui aurait su les mobiliser et les encourager, les écouter et comprendre. Un poulet qui aurait su incarner les désirs et les peurs des poulets depuis si longtemps opprimés. Un poulet qui malgré l’enfermement et le silence pendant tant d’années aurait pu conduire son peuple vers la liberté. Un poulet qui aurait été une voix disant qu’à tout moment la rue peut aussi dire non. Un exemple. Un poulet qui n’aurait cherché ni la vengeance, ni la guerre mais au contraire, au-delà des différences, Georges, chers auditeurs, la réconciliation.
Oui, bon sang, c’est vrai, vous avez raison, ces poulets sur l’autoroute de Marcinelle aussi, ça nous ramènait à Mandela.
Bon allez, j’espère qu’on pourra y échapper la semaine prochaine.