Mon cher Stefaan De Clerck

Thomas Gunzig 13 octobre 2013

Le « Café serré » de Thomas Gunzig de ce mardi 1er octobre sur la Première radio…

Bonjour Georges, bonjour tout le monde,

Bon, alors moi, j’en ai assez qu’on s’attaque toujours aux plus faibles que soi. Je trouve ça très lâche. Je trouve ça très facile. Et puis ce phénomène de meute, je déteste ça. Un homme a un genou à terre et tout le monde vient pour la curée. C’est insupportable.

Du coup, moi aujourd’hui, je profite de ce temps de parole pour prendre la défense d’un homme sur qui on s’acharne injustement depuis quelques jours. Ce matin, je vais prendre la défense de Stefaan De Clerck.

Mon cher Stefaan (Oui, ça vous dérange pas si je m’adresse directement à lui. Non, parce je sais qu’il a besoin de sentir qu’il y a des gens qui le soutiennent), donc, mon cher Stefaan De Clerck, derrière ton sourire d’amateur de viande rouge, tes grandes mains qu’on dirait faites pour serrer des boulons et tes costumes de trader londonien, tu es un homme qui a su incarner durant tant d’années ce que les valeurs chrétiennes ont de plus beau : la charité, le partage, la simplicité. Et d’ailleurs, souvent, dans des moments comme aujourd’hui, tu te répètes cette phrase de saint François d’Assise « Lorsque vous quittez cette terre, vous n’emportez rien de ce que vous avez reçu, uniquement ce que vous avez donné. ». Mais oui, tu vois, tu es tout cela.

Et voilà qu’aujourd’hui et après tant d’années d’un travail dont nous sommes si nombreux à ignorer la pénibilité. Car parlementaire, ce sont ces horaires impossibles, t’obligeant à aller travailler parfois même quand tu n’en as pas envie. C’est cette médiocre image sociale. C’est cette proximité quotidienne avec des substances toxiques, du Laurent Louis ou du Filip Dewinter. C’est ce cadre de travail désuet pour ne pas dire vétuste. C’est l’humidité toute proche du Parc Royal si mal fréquenté à la tombée du soir. Et puis c’est Bruxelles et ses embouteillages. Et puis, ne l’oublions pas, tout ça c’est en Belgique avec son ciel si gris qu’un canal s’est jeté sous un tram.

Enfin, bref, après tant d’années passées à travailler dans des conditions qu’un mineur roumain jugerait impossibles, on te critique, on te conspue. Pourquoi ? Parce que tu ne refuses pas la petite indemnité à laquelle tu as droit. 270 000 euros. 270 000 euros. Toi et moi savons que cette somme est ridicule. 270 000 euros. À peine 3 BMW série 7. À peine 2 petits appartement à Coxyde. À peine 54 aller-retours Paris-Bruxelles-New-York en première classe sur Air France. Eh bien moi, je trouve aussi qu’après tant d’années passées à te ruiner la santé en avalant ces pains surprises rances que l’on sert à l’occasion de ces interminables Conseils des ministres, tu y as bien droit à tes 54 aller-retours. Tu ne les as pas volés. Enfin, si, un peu. Mais c’est légal. D’ailleurs, tu en sais quelque chose car tu as voté la loi.

En plus, en plus — et on ne le dit pas assez — si tu quittes aujourd’hui un travail aussi accablant que le tien (Nom d’un chien, je me rends compte que je le tutoie, j’espère qu’il ne va pas se vexer), bref, si tu quittes un travail aussi accablant que le tien, c’est pour un travail encore bien pire. Une tâche encore plus pénible. Un labeur encore plus écrasant. Tu le quittes pour devenir président de Belgacom.

Travailler chez Belgacom, mais c’est horrible. Ces tours affreuses, du New-York mais en pas fini dans le quartier Nord. La prostitution, la délinquance. Cher Stefaan, je ne sais pas si tu vas gagner autant que Michel Moll. Ni si toi aussi tu auras les stock options. Mais en tout cas tu le mérites parce que moi rien qu’à lire la facture Proximus, j’ai l’impression que l’effondrement moral me guette. Alors, travailler jour après jour avec des types qui les écrivent, bon sang, mais quelle punition.

Et puis, tu l’as très justement fait remarquer, comme administrateur chez Belgacom, tu n’as aucune garantie. Genre le jour où on te dit que c’est terminé, hé bien, c’est terminé. Comme les travailleurs de chez Mittal, comme les petits indépendants, comme une femme de ménage, comme les couturières du Bangladesh, comme les fonctionnaires américains et surtout comme moi. Enfin bref, presque comme tout le monde. Et être comme tout le monde, c’est bien ça qui est atroce. Alors franchement, je te comprend. Comment travailler dans des conditions pareilles. D’ailleurs à ta place, je n’hésiterais pas, je demanderais plus.

À demain.