Le vieux ventre immonde enfante encore des monstres

Guillermo Almeyra 18 décembre 2013

Le vieux ventre immonde de l’extrême-droite peut encore enfanter des monstres, prévenait Bertolt Brecht. C’est ce que prouvent les néonazis italiens qui viennent de rendre hommage au nazi Priebke, responsable de l’assassinat de 335 Italiens dans les Fosses Adriatiques à Rome en 1944 ; les néonazis grecs de l’Aube Dorée ; la croissance de l’extrême droite dans les pays nordiques et en France, avec le Front National (FN) de Jean-Marie et Marine Le Pen, et même le Tea Party étatsunien.

Au service du capital

La xénophobie, le néolibéralisme extrême, le rejet de la solidarité sociale, de la justice sociale et du socialisme caractérisent ces mouvements. Ils prétendent combattre le grand capital alors qu’ils le servent et, à l’image de Hitler quand il qualifiait de « socialiste » son nationalisme et adoptait un drapeau rouge, ou de Mussolini avec sa « République Sociale », ils prétendent agiter les bannières traditionnelles de la gauche pour gagner en popularité et mener en réalité une politique réactionnaire.

Il s’agit de mouvements dont la base sociale repose sur les classes moyennes basses, conservatrices, écrasées et condamnées par la politique du grand capital financier mais qui – stimulées par les grands médias – tournent leur haine contre le mouvement ouvrier et les secteurs les plus pauvres de la population, comme les immigrés, les « autres » (Musulmans, Juifs, Roms) et les « politiciens », et non contre leurs bourreaux.

Ces mouvements ressurgissent et prospèrent dans les moments de crise économique et de nécessité de redéfinitions politiques ; comme dans les années ’20 de l’après Première Guerre en Italie ; puis peu après dans l’Allemagne en crise, ainsi qu’en France, en Espagne, en Angleterre, en Hongrie, en Roumanie et en Pologne dans les années ’30. Ce fut le cas à nouveau en Italie dans l’immédiate après-guerre, avec l’ « Uomo Qualunque » de Guglielmo Giannini en 1944-1946 au moment où il fallait définir si le pays serait une monarchie ou une république, et ensuite à nouveau en France avec Pierre Poujade en 1953.

Poujadisme

Ce dernier était un petit commerçant (il possédait une librairie-papeterie) formé dans les rangs des fascistes de Jacques Doriot et du régime raciste et fasciste de Vichy. Il a été en faveur de la collaboration, jusqu’à ce que les Allemands envahissent la « zone libre » française. Dans les années ’50, ses meetings rassemblaient jusqu’à 200.000 personnes et il a obtenu 11,6% des votes et 52 députés. L’un d’entre eux n’était autre que Jean-Marie Le Pen, ex-combattant en Afrique contre l’indépendance des colonies françaises.

Poujade rêvait d’un capitalisme de petits et moyens commerçants et industriels, sans étrangers ni syndicats, ni grands capitalistes et financiers (qui étaient pour lui tous Juifs et franc-maçons) et avec un Etat qui impose l’« ordre ». A la différence du Front National de Le Pen dont il est l’ancêtre, et qui bénéficie aujourd’hui d’une proportion du vote ouvrier plus importante que celle de tous les partis de « gauche » réunis, son mouvement semi-fasciste de masse a fini par se dissoudre, écrasé entre la forte résistance des travailleurs et des intellectuels de gauche d’une part et, d’autre part, par la croissance rapide du capitalisme français, qui lui a arraché sa base de masse.

Marine Le Pen et son FN ont récemment vaincus une alliance de tous les autres partis de centre-droit et de centre-gauche aux élections cantonales de Brignoles, dans le département du Var dans le sud de la France. Le taux d’abstention était de 60%, démontrant que la majorité ne soutenait ni ne croyait en aucun candidat. Le FN a remporté 53% des suffrages parmi les personnes qui ont voté (autrement dit, 20% du total de l’électorat potentiel). Une partie du centre-droit évolue vers le néofascisme, en se déguisant pour l’occasion en droite nationaliste « responsable ».

Les responsabilités à gauche

Comment se fabrique le bouillon de culture de ces mouvements ? Grâce au centre et à la pseudo gauche. Dans les années ’20, par exemple, les conservateurs italiens optèrent pour le fascisme afin de combattre les ouvriers tandis que les syndicats socialistes réformistes se soumirent au gouvernement de Mussolini. Dans les années ‘30, les communistes italiens dirigés par Joseph Staline et Palmiro Togliatti crurent qu’un front était possible avec les « frères en chemise noire » contre le grand capital et, quelques années plus tard, Staline concrétisa le pacte Molotov-Ribbentrop (1939) qui a renforcé Hitler et Mussolini. Le Parti communiste allemand avait également noué des accords avec les nazis contre la social-démocratie qui gouvernait Berlin car elle était considérée comme « l’ennemi principal », avec comme résultat de légitimer Hitler.

Au début, les communistes français ont soutenus Poujade en croyant pouvoir le manipuler. En outre, sur le plan idéologique, le nationalisme et le chauvinisme des grands partis communistes italien et français (le premier avec ses revendications territoriales contre la Yougoslavie à Trieste et en Istrie, le second avec sa grève contre « l’acier allemand » et en soutien de la « sidérurgie française », mais aussi avec l’expulsion de travailleurs noirs dans certaines mairies parisiennes qu’il contrôlait) s’est uni aux racisme des socialistes français dans leur défense à tout prix du colonialisme en Indochine et de l’Algérie «  française ».

Quel antidote ?

Il ne faut donc pas s’étonner si d’ex-électeurs et mêmes d’anciens membres du Parti communiste français soutiennent aujourd’hui le Front National, ni que le chauvinisme augmente lorsque le Ministre de l’Intérieur de Hollande, le « socialiste » Valls, déclare que les Roms doivent être expulsés parce qu’ils ont des caractéristiques génétiques inassimilables. Si les socialistes font la politique de la droite en Grèce, en France et en Scandinavie, si le grand capital a besoin d’éliminer totalement la résistance ouvrière et, surtout, de conjurer la crainte d’une explosion sociale comme conséquence de ses politiques d’ajustement, comment s’étonner alors que le centre-droit glisse vers l’extrême droite et que cette dernière se renforce, ouvrant ainsi la voie à des gouvernements « forts » ?

L’antidote contre l’extrême-droite est, avant toute chose, une campagne d’éducation, une politique anticapitaliste et un gouvernement des travailleurs, pluraliste, démocratique et internationaliste. S’il faut enterrer la vieille république capitaliste, ce doit être pour donner naissance à une république sociale et solidaire de tous les travailleurs, quelle que soit leur origine.

Source :
http://www.jornada.unam.mx/archivo_opinion/autor/front/13/38752
Traduction française et intertitres pour Avanti4.be : Ataulfo Riera