10 mars 2013
Deux mois après l’assassinat de trois militantes kurdes à Paris, les autorités françaises gardent toujours le silence. Que cachent les autorités ?
Le 9 janvier dernier, trois femmes kurdes ont été exécutées au cœur de Paris, dans le centre d’information du Kurdistan, près de la Gare du Nord.
Sakine Cansiz, membre fondatrice du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), Fidan Dogan, représentante du Congrès National du Kurdistan (KNK) et Leyla Saylemez, membre du mouvement de la jeunesse kurde ont été toutes trois assassinées de plusieurs balles dans la tête.
Pour les kurdes, il n’y a aucun doute, la Turquie est derrière cet assassinat qui viserait notamment les discutions menées avec le leader kurde emprisonné Abdullah Ocalan. Les responsables turcs n’hésitaient pas à menacer publiquement les dirigeants kurdes ces dernières années. Interviewé par une chaîne de télévision turque en janvier, le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan demandait de nouveau à Berlin l’extradition d’opposants et militants kurdes, faute de quoi ils deviendraient la cible de nouveaux assassinats. La Turquie aurait envoyé un groupe de tireurs d’élite en Europe, afin d’éliminer les dirigeants du mouvement kurde, selon des informations parvenues, en octobre 2011, aux dirigeants kurdes exilés.
Le centre kurde était surveillé par les services français et turcs. En France, les kurdes font souvent l’objet d’arrestations et d’opérations sensationnelles pour satisfaire la Turquie. Chaque rencontre entre les dirigeants des deux pays est une occasion pour lancer des opérations contre la communauté kurde, sous prétexte de lutte contre le « terrorisme ». Mais on ne voit pas les mêmes efforts pour élucider l’assassinat de trois femmes.
Que font les enquêteurs ? Qui sont les commanditaires ? Quel est le mobile de l’assassinat ? Que sait la police sur les liens présumés d’Omer Guney, placé en détention en janvier, avec les extrêmes-droites turques ou les services secrets ? Les services français sont-ils impliqués dans ces meurtres ? Y a-t-il un lien entre l’assassinat et la vaste coopération sécuritaire, signée en octobre 2011 entre Paris et Ankara ?
On sait que les informations collectées par les services français sur les kurdes, avec des images, sont livrées aux services turcs. L’impunité des auteurs des attaques racistes contre le peuple kurde sur le sol français et la collaboration honteuse de la France avec la Turquie ne seront-elles pas une source d’encouragement pour viser les militants kurdes ?
Les kurdes sont facilement sacrifiés en France pour des intérêts commerciaux et politiques. Près de 250 kurdes ont été arrêtés depuis 2007 pour des motifs politiques en France.
Alors que la communauté kurde attend toujours la justice, les relations entre Paris et Ankara se sont curieusement améliorées. Le 12 février 2013, dix-sept autres kurdes ont été arrêtés à Bordeaux et à Toulouse, au moment où le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius recevait à Paris son homologue turc, Ahmet Davutoglu.
Le doute s’installe chez les kurdes : Les rencontres entre les dirigeants turcs et français ne sont-elles pas des preuves de tractations politiques entre les deux pays ? Le silence des autorités françaises s’explique par le fait que la France en sait plus sur l’assassinat. Ce qu’elle cache ne lui donnerait-elle pas une belle occasion pour faire pression sur la Turquie ? La France n’aurait-elle pas conclu un accord avec la Turquie sur le conflit syrien ? Elle pourrait peut-être profiter de l’assassinat pour faire accepter sa politique syrienne à ses interlocuteurs turcs ou arracher de nouveaux contrats commerciaux.
Que sait-on sur le principal suspect, Omer Guney ? Selon les medias turcs, Omer Guney aurait dit à son avocat, au cours du mois de février, qu’il n’a pas commis ces meurtres mais il détiendrait des preuves importantes sur les tueurs. Une question s’impose : s’il n’a rien fait dans cette affaire, comment est-ce possible qu’il détienne des preuves alors qu’il est emprisonné ?
Il a été arrêté en Hollande en décembre 2012, avec des dizaines de jeunes lors des « rencontres politiques de la jeunesse kurde ». Il était la seule personne qui avait un papier sur lui indiquant qu’il a été arrêté et relâché, selon des sources kurdes. C’est grâce à ce papier que la police française aurait su qu’il a été arrêté au Pays-Bas. Les kurdes qui ont été arrêtés dans ce pays ont tous été libérés par la justice hollandaise, dont certains d’entre eux sous contrôle judiciaire. Ces derniers doivent se présenter au commissariat pour prouver leur présence sur le sol hollandais.
Ces arrestations ne sont-elles pas en réalité une intervention de la police hollandaise pour empêcher un crime sur son sol ? Peut-être qu’Omer Guney s’apprêtait à mettre en œuvre "son projet d’assassinat" pendant les « rencontres de la jeunesse kurde » aux Pays-Bas. La France a-t-elle surveillé Omer Guney après cette opération ? Peut-on conclure que les pays européens ont fermé les yeux sur l’assassinat de trois militantes ?
Un jour avant l’assassinat, le 8 janvier, un homme étrange débarque à Paris de Londres. Il s’appelle Adnan Gurbuz, un ancien responsable local du parti ultranationaliste MHP à Istanbul. En juin 2011, cet homme obscur avait été interpellé à Istanbul lors d’une opération contre une bande organisée qui agissait au nom du JITEM, une organisation secrète de l’Etat Turc, responsable de nombreuses exécutions extrajudiciaires. Adnan Gurbuz est également accusé de trafic de drogue et d’êtres humains. Ouvertement anti kurde, il voyage souvent entre Allemagne, Angleterre et Belgique. Deux jours plus tard, le 10 janvier, soit un jour après l’assassinat, il part à Calais, puis en Angleterre dans un bateau. Pourquoi était-il en France et a-t-il rencontré Omer Guney ? Rappelons qu’Adnan Gurbuz et Omer Güney sont tous deux originaires de la même ville, Sarikisla, dans la région de Sivas.
Selon le colocataire d’Omer Guney, le suspect avait quatre téléphones portables de plus sur lui. Les enquêteurs ont-ils vérifié toutes ses conversations téléphoniques ?
En outre, Omer Guney aurait effectué plus de dix séjours en Turquie au cours d’un an. Une dernière visite aurait été effectuée en décembre pour un séjour de trois jours à Ankara dans un hôtel du centre-ville, soit quelques semaines avant l’assassinat des trois militantes kurdes.
Avant d’arriver à Paris et de se rapprocher de la communauté kurde, il vivait en Allemagne. Les autorités françaises mènent-t-elles une enquête au niveau européen pour en savoir plus ? On sait que, lorsqu’il s’agit des activités politiques et culturelles de la communauté kurde, les autorités françaises n’hésitent pas à mener des opérations au niveau européen, en collaboration avec les autorités espagnoles, allemandes ou turques.
Pourquoi la police française n’interroge-t-elle pas Murat Sahin, qui a avoué être un agent des services secrets turcs ? Vivant en Suisse, il a récemment affirmé aux medias kurdes qu’Omer Guney était aussi un agent turc. Murat Sahin dit en outre qu’il est prêt à témoigner.
Depuis le jour de l’assassinat, les femmes kurdes manifestent chaque mercredi devant le centre d’information du Kurdistan pour demander la justice. Rendre la justice serait la moindre des choses pour le gouvernement français afin d’alléger le poids de ses lourdes responsabilités envers ce peuple et la lutte des femmes.
Source : http://www.actukurde.fr/index.php