Espionnage étatsunien et hypocrisie sans frein

Guillermo Almeyra 8 novembre 2013

Le gouvernement français et le président François Hollande viennent de protester face à leur « ami » et allié étatsunien pour l’interception et l’enregistrement de millions de communications orales et écrites d’institutions, de politiciens, d’entreprises et de groupes de citoyens ou d’individus de ce pays. Le gouvernement allemand et la chancelière Angela Merkel ont fait de même quand les services secrets de Berlin on découverts que même le téléphone portable de Merkel était sur surveillé.

Les gouvernements argentin et mexicain ont également protesté, tout comme l’ex-président Felipe Calderón, qui fut lui aussi continuellement espionné pendant son mandat, tandis que la présidente brésilienne Dilma Rousseff a annulé la visite d’Etat qu’elle devait réaliser aux Etats-Unis et a officiellement protesté pour cette intromission inacceptable. L’Union européenne et le duo Allemagne-France agiront de concert vis-à-vis du gouvernement yankee. Le résultat de cette vague d’indignation sera cependant bien maigre.

En effet, les Etats-Unis justifient inébranlablement leur espionnage, soutenant qu’il fait partie intégrante de la protection de leur « sécurité nationale » et ne s’excusent ni n’assurent nullement que le délit ne se répétera pas. Pendant ce temps, ils étendent impunément leur pouvoir policier où bon leur semble et combinent l’espionnage industriel contre des concurrents étrangers avec l’espionnage politique et l’accumulation de données qui leurs permettent de faire chanter de corruptibles fonctionnaires civils et militaires parmi leurs vassaux et alliés. Il vaut mieux être aujourd’hui un ennemi potentiel – comme la Russie ou la Chine – qu’un ami de Washington parce que l’espionnage, dans ce cas, en plus de devoir affronter la barrière du contre-espionnage local, sera moins cynique et éhonté.

En plus, les Etats-Unis envoient des groupes de tueurs dans les pays vassaux afin d’exécuter ceux qui, après avoir servi pendant des années leurs intérêts, comme Ben Laden, se sont transformés en témoins gênants et en obstacles pour leur politique. Exerçant ce qu’ils osent qualifier de « droit d’extraterritorialité », ils pénètrent par la force et illégalement dans des pays souverains comme la Somalie, le Yémen ou le Pakistan et séquestrent des personnes qu’ils enferment ensuite dans une prison flottante dans les eaux internationales pour leur « interrogatoire », parce que Guantanamo, sur le sol cubain, est devenu un centre de torture politiquement inutilisable.

Les espionnés qui protestent parce qu’on applique à leur auguste personne – qu’ils estiment tellement importante – les mêmes méthodes que les métropoles vis-à-vis des semi-colonies savent, bien entendu, que l’espionnage des moyens de communication ne peut être séparé de cette prétention de Washington d’être à la fois juge, policier et bourreau n’importe où dans le monde, ce qui dépasse de très loin l’idée de la « souveraineté limitée » théorisée par Léonid Brejnev en son temps. Mais ils se taisent quand il s’agit d’un autre pays et ne se mettent à crier que lorsque c’est leur tour d’être touché.

Comble d’hypocrisie, ceux qui protestent légitimement contre cet espionnage massif sur leur territoire appliquent pourtant sans problème la même méthode de contrôle sur leurs propres sociétés, comme l’a reconnu sans rougir l’agence officielle française chargée de la Sûreté (du système, pas celle des citoyens). En outre, ils savent depuis des années qu’ils sont espionnés par leurs « alliés » (comme le confirme la police allemande qui vérifiait immédiatement l’interception des communications de Merkel). Si le gouvernement anglais ou italien, pour ne pas parler du gouvernement espagnol, ne protestent pas aujourd’hui contre ces violations, c’est parce ce qu’ils sont trop faibles et serviles que pour hausser le ton contre leur maître, mais ils sont pleinement conscients du fait. Ainsi, la justice italienne a condamné la CIA pour avoir illégalement enlevé à Milan un mollah résidant en Italie et emmené au Caire pour être « interrogé ». Une caricature dans le journal « Página 12 » illustre savoureusement cette situation en rien comique : un collaborateur dit à la présidente argentine Cristina Fernández Kirchner qu’Obama la félicite pour sa prompte récupération et le dialogue suivant s’engage :

CFK : – Dites à Obama que je le remercie beaucoup et que j’espère qu’il se porte bien.

Le collaborateur : – Je lui écris cela ?

CFK : – Pas la peine, il l’a certainement entendu. …

Les libertés individuelles, proclamées par les constitutions nationales, sont continuellement violées par les pratiques policières et extra-policières, légales ou clandestines et par l’utilisation des appareils d’Etat comme instruments mafieux contre les citoyens protestataires ou contre des adversaires dans le même camp de la politique bourgeoise. Les morts et les disparus, les dirigeants paysans emprisonnés ou assassinés au Mexique le prouvent et la même chose se passe dans tous les pays où le rapport de force social oblige les gouvernants capitalistes à dépendre surtout de la violence et de la fraude électorale.

Ce qui est inquiétant c’est que les Etats-Unis – qui traînent comme un boulet leur crise et leur énorme dette en essayant de gagner du temps – pratiquent déjà une politique de temps de guerre mondiale alors que, formellement, c’est une paix instable qui régit encore les relations internationales. Et il est également inquiétant que leurs alliés s’installent dans cette logique. Pendant ce temps, les bases de la « paix » actuelle deviennent plus étroites car la crise du système pousse d’une part, en Europe et aux Etats-Unis, les forces conservatrices - comme dans les années ’30 – vers la xénophobie, le racisme et la droite extrême tandis que de l’autre, la résistance populaire tend à se radicaliser. A l’ambiance d’avant guerre mondiale s’ajoute ainsi une augmentation importante du conflit de classe.

Pour le moment, on ne voit pas encore clairement quel sera le résultat politique de ce rapport de forces instable et insoutenable. Jusqu’à présent, on ne présente que de fausses solutions, comme la recherche de réformes démocratiques pour un système qui ne les accepte ni ne les tolère, ou des tentatives de fuite et de déconnexion du monde en s’enterrant la tête dans un sable purement local. Néanmoins, le moment est venu d’examiner avec urgence ce qui se passe, où sommes nous et où pouvons nous aller. Telle est la tâche.

Source :
http://www.jornada.unam.mx/archivo_opinion/autor/front/13/38839
Traduction française pour Avanti4.be : Ataulfo Riera