Cuba : 54 ans de Révolution

Pablo Stefanoni 20 janvier 2013

Le 1er janvier, la Révolution cubaine a fêté ses 54 ans. Cette révolution fut un événement qui a marqué plusieurs générations en Amérique latine et dans le monde. Une révolution qui s’est déroulée dans une île des Caraïbes – à quelques kilomètres à peine des Etats-Unis – et qui semblait capable de progresser avec un marxisme différent du « socialisme réel » ossifié qui prédominait dans l’URSS post-Staline, ce dernier étant mort quelques mois avant.

Mais cette utopie d’un socialisme plus libertaire à duré peu de temps. Au début des années 1970, la soviétisation et une grisaille culturelle qui dura quinze ans mirent fin à l’hétérodoxie en alignant le pays sur celui du « socialisme réel » soviétique. Certes, comme certains le répètent souvent en faveur du régime en vigueur dans l’île, Cuba n’était pas l’Europe de l’est. Mais ce n’est qu’une demi-vérité. Elle ne l’était pas et l’était tout à la fois.

Cela dépend du point de vue. Par exemple, en rapport avec son économie, cette dernière fut beaucoup plus centralisée et orthodoxe que dans plusieurs pays d’Europe de l’est, où des espaces de marché étaient autorisés, notamment dans le secteur agricole.

Quant aux formes de contrôle politique, il existe de nombreuses similitudes. Il est exact que la légitimité du gouvernement cubain – de par son caractère anti-impérialiste – et particulièrement de Fidel Castro en tant que dirigeant charismatique, était bien plus élevée que dans les pays d’Europe orientale, où le communisme était en grande mesure vécu comme une occupation armée (bien que les cas de « communisme national » comme celui de Ceausescu en Roumanie ne furent pas meilleurs).

Mais il n’en est pas moins vrai que les services de renseignement ont développé des formes de contrôle social efficace, avec l’excuse – sensée – de lutter contre les infiltrations de l’empire, qui eurent bel et bien lieu et pas qu’un peu.

Le modèle cubain d’économie militarisée, soumise aux décisions de Fidel Castro dans tous les domaines de la sphère publique (y compris ceux où il ne savait pas grand-chose), est devenu plus en plus insoutenable et ses effets furent désorganisateurs.

Le prix de l’égalitarisme social fut un régime de plus en plus autoritaire et une économie en stagnation dépendante de l’Union soviétique. En 2013, c’est aussi le 24e anniversaire du traumatisme de la « Période Spéciale en temps de paix » qui a succédé à l’écroulement de l’URSS qui avait mit Cuba au bord du gouffre.

Pour de nombreux Cubains, c’est une date clé dans leurs vies, au-delà des festivités du calendrier officiels. C’est pour cela que bon nombre d’entre eux craignent un retour de la droite au Venezuela qui signifierait un retour de ce cauchemar.

Malgré tout, Cuba bouge. Mais il est difficile de savoir vers où. Raúl Castro a consolidé un régime soutenu en grande mesure par les Forces armées et le pouvoir économique de cette dernière. Son modèle est le Vietnam mais les réalités entre les deux pays sont des très distinctes.

L’augmentation du « cuentapropismo » (le travail pour son propre compte) aura, sans aucun doute, des conséquences sociopolitiques profondes en rendant indépendant de l’Etat une bonne partie de la population. Parallèlement, le gouvernement cubain a approuvé une réforme migratoire qui flexibilise les normes pour sortir du pays.

A partir du 14 janvier, les Cubains qui voyagent à l’étranger ne devront plus payer au gouvernement 150 dollars pour chaque mois passé à l’extérieur. En outre, ils pourront résider à l’étranger pendant 24 mois et non plus les 11 mois actuels au bout desquels ils perdent leurs droits de résidence cubaine, comme les soins de santé et la conservation de leur logement.

Il est probable que ce 14 janvier, la blogueuse oppositionnelle Yoani Sánchez – qui n’a pas pu voyager à l’étranger jusqu’ici – se présente pour retirer son passeport et on verra alors jusqu’où coïncident les désirs de nombreux cubains avec les nouvelles réalités. Je pense qu’au-delà de ses positions politiques – et de qui la finance - Yoani Sánchez devrait pouvoir aller là où elle veut, où de toute façon elle ne fera que répéter ce qu’elle dit déjà sur son blog (des choses qui ne sont pas toute tirées par les cheveux, comme des anecdotes sur les dysfonctionnements du socialisme cubain).

Les choses changent aussi à Miami où de nombreux cubano-américains – surtout les jeunes – ne soutiennent plus le blocus contre Cuba par les Etats-Unis et votent pour les Démocrates.

Dans le domaine culturel, de nombreuses choses se sont assouplies à Cuba. Mariela Castro – fille de Raúl et directrice du Centre National d’Education Sexuelle (CENEX) – a récemment déclaré que Cuba est prête pour le mariage entre les personnes du même sexe ; un changement significatif dans un pays où les homosexuels étaient autrefois envoyés dans des camps de « rééducation ».

Des questions telles que la négritude, le racisme et l’hétérogénéité nationale sont aujourd’hui discutées avec pas mal de liberté. Et, fait sans doute significatif, cette année Leonardo Padura a reçu un Prix National de Littérature. Son livre « El hombre que amaba a los perros », (L’homme qui aimait les chiens), sur Ramon Mercader (l’assassin de Trotsky), est une œuvre aussi rigoureusement historique que critique sur le devenir anti-utopique de la Révolution cubaine.

Pablo Stefanoni est rédacteur en chef de la revue argentine « Nueva Sociedad »
Source : http://www.paginasiete.bo/Generales/Imprimir.aspx?id=311764
Traduction française pour Avanti4.be : Ataulfo Riera