16 juin 2014
Dans la Rome antique, les classes dominantes distribuaient du pain à la plèbe pour la tenir tranquille et lui offraient des jeux de cirque et des spectacles cruels de gladiateurs, de massacres collectifs ou de courses de chars, où les spectateurs pouvaient se défouler de leur haine réprimée. Ils soutenaient le char opposé à l’équipe de l’empereur, en s’opposant ainsi à lui mais d’une manière inoffensive. Celui qui offrait le spectacle gratuitement obtenait en échange popularité et prestige.
Le capitalisme actuel sait utiliser l’industrie du spectacle comme instrument pour la domination. Tel est le rôle en rien ingénu de l’industrie cinématographique et de la télévision étasuniennes, qui renforcent et promeuvent les valeurs des exploiteurs, déforment et occultent les problèmes réels, conquièrent les esprits et modèlent les goûts et la consommation des exploités et des opprimés.
Ce rôle culmine avec le football en tant que business - qui a été jusqu’à provoquer une guerre entre le Salvador et le Honduras (la « guerre de cent heures » en 1969, NdT) -, et particulièrement dans la Coupe du Monde qui attire partout l’attention des masses, qu’elles aient ou non des équipes qui les représentent dans la compétition. Son déroulement relègue au second plan les problèmes réellement importants, permettant avec cette manœuvre de distraction que les classes dominantes capitalistes fassent passer leurs mesures tandis que l’immense majorité de la population suit l’évolution des résultats sportifs.
Pour comble, à la différence de la Rome antique, ces nouveaux jeux de cirque aliénants sont payés par les victimes du capital sous forme d’impôts qui financent la construction de stades qui absorbent ainsi les sommes qui devraient être destinées à des ouvrages d’utilité publique (logements populaires, amélioration des transports, service de drainage ou électrique). Ceux ci ne sont donc pas réalisés parce que le budget étatique est destiné à confondre et à détourner l’attention des gens et pour permettre à une minorité de faire des profits plantureux dans des affaires louches. En outre, tandis que le chômage, les emplois précaires et la pauvreté atteignent des chiffres records, les rares fonds budgétaires sont gaspillés dans la construction de véritables « éléphants blancs », absolument inutiles dans la majorité des villes dès que se termine la Coupe du Monde de football.
Il y a, par conséquent, et durant un bref laps de temps, plus de jeux mais moins de pain à cette période et dans l’avenir prévisible. En effet, un facteur important qui a précipité la Grèce dans sa terrible crise fut le coût énorme de l’organisation des Jeux Olympiques de 2004.
Arrivé à ce point, je fois clarifier ici que je ne confond pas le sport avec le business de la mafia internationale du football, qui sert avant toute chose à faire accepter l’idéologie capitaliste et à réaliser d’énormes profits sur le dos de la naïveté populaire. Dans mon adolescence, j’ai pratiqué la boxe, le judo, la natation, l’équitation, le rugby et le football. Depuis mon enfance, je suis supporter du « River Plate » (club de foot argentin, NdT), comme si elle avait encore l’équipe de la fin des années ’40. J’ai eu en outre comme ami Osvaldo Soriano, qui unissait ses qualités d’écrivain avec la passion – le pauvre ! - pour l’équipe de San Lorenzo. Je sais également qu’Edouardo Galeano a un cœur de bon uruguayen qui palpite à double rythme pour le « maillot céleste ». Par conséquent, selon moi, on peut être un passionné de football en tant que spectateur sans pour autant abandonner la catégorie d’être pensant.
Mais il se fait qu’on ne construit pas de centres sportifs où tous peuvent pratiquer gratuitement un sport quelconque, ou le football lui-même, comme partie d’une formation intégrale. Au contraire : les mafieux qui contrôlent le football mondial font construire des tempes immenses pour des « voyeurs », des gens passifs qui vont seulement au stade pour regarder ou qui, pire encore, suivent les matchs une bière à la main sur le divan de leur salon. Le sport, il faut le pratiquer, et pas seulement l’observer à distance sans participer au jeu.
Des joueurs professionnels aux énormes revenus, très supérieurs à ceux des scientifiques les plus qualifiés ; des dirigeants de clubs et de fédérations mafieux ; des investisseurs qui spéculent dans des clubs avec de l’argent qu’ils exportent illégalement de leurs pays respectifs, comme les oligarques russes ; ou les profits obtenus avec l’exploitation du travail semi-esclavagiste, comme pour les cheikhs du Qatar, d’Arabie saoudite ou des Emirats : tel est le « sport » qu’on présente aux gens pauvres qui veulent des victoires, mêmes factices, et qui veulent voir du luxe, même lointain, en s’endettant pour pouvoir assister à l’une des « messes noires » du sport-roi.
Les travailleurs brésiliens ont donc parfaitement raison de profiter du fait que l’attention des médias du monde entier est concentrée sur leur pays pour avancer leurs revendications et faire grève, démontrant ainsi que le bien être s’obtient dans la lutte contre les critères capitalistes de répartition des fonds publics existants. Ils soulèvent un morceau de la chape de plomb de la domination capitaliste qui se présente au peuple sous forme d’une « fête » et révèlent les problèmes réels qui frappent tous les pays, dépendants et mêmes métropolitains. Ceux qui voient une manœuvre politique de la droite contre le gouvernement du PT (Parti des travailleurs, NdT) dans ces grèves de protestation des expropriés, des travailleurs des transports, de l’enseignement et d’autres secteurs, mentent de manière effrontée et font semblant d’oublier que les options de ce gouvernement auraient pu être autres. Elles auraient pu être proches de ce qu’exige précisément la base naturelle du PT lui-même ; de meilleurs services de santé, de transport et d’éducation ; de meilleurs salaires pour les gens qui sont traités de la même manière que les empereurs traitaient la plèbe romaine.
Les gouvernements « progressistes » d’Amérique Latine qui, comme celui d’Argentine, passent gratuitement tous les sports à la télévision publique - avec comme résultat que les informations et les espaces pour les problèmes réels y sont minimes ou inexistants -, creusent leur propre tombe avec cette démagogie, car seuls des peuples informés et instruits peuvent s’organiser pour résister à l’offensive du grand capital financier mondial.
Source :
http://www.rebelion.org/noticia.php?id=186046
Traduction française pour Avanti4.be : Ataulfo Riera