Après le 14N : l’Europe de la classe travailleuse peut vaincre l’austérité !

Izquierda Anticapitalista 22 novembre 2012

Nous reproduisons ci-dessous une déclaration de l’organisation Gauche Anticapitaliste de l’Etat espagnol qui dresse le bilan et les perspectives nécessaires de la journée de mobilisations du 14 novembre dernier dans ce pays et en Europe. (Avanti4.be)

Le 14N, la mobilisation sociale contre les coupes et l’austérité a parcouru les pays du sud de l’Europe : grève générale ibérique largement suivie, arrêts de travail partiels en en Italie, à Chypre, à Malte et en Grèce – après deux jours de grève générale il y à peine une semaine. Au nord et au centre du continent cependant – mis à part en France et en Belgique, où la participation aux manifestations a été plus importante – les actions ont eu un caractère plus symbolique.

Cette inégalité ne réduit en rien la portée et l’importance du 14N, qui a représenté la première action de masse à l’échelle européenne contre les politiques de la Troïka depuis le début de la crise et a déstabilisé l’orientation dominante dans la CES (Confédération européenne des syndicats), qui à jusqu’à présent démobilisé le mouvement syndical européen. L’une et l’autre chose sont des conditions nécessaires pour pouvoir enfin incorporer au combat de classe contre l’austérité de vastes secteurs de la classe travailleuse des pays du nord.

Dans le sud de l’Europe, particulièrement au Portugal, en Grèce et dans l’Etat espagnol, la journée a démontré l’énorme potentiel de résistance sociale contre le démantèlement des services publics, la perte de droits sociaux et du travail et la croissante paupérisation sociale. Ce fut une puissante démonstration de force du mouvement syndical et social, qui montre clairement que ce qui est nécessaire – la coordination européenne des résistances jusqu’à la défaite de l’austérité – est possible.

Le 15 novembre, Angela Merkel s’est empressée de clarifier que l’austérité sera maintenue, en répétant le discours habituel de la Troïka et des gouvernements face aux mobilisations : « Nous ne modifierons pas notre politique, parce que c’est la seule possible ». Ce discours poursuit deux objectifs : démoraliser les populations qui, dans la majorité des pays du sud de l’Europe, après avoir compris que la résistance est la seule alternative, sont disposées à se mobiliser contre l’austérité et le paiement de la dette, et empêcher que cette mobilisation s’étende et atteigne une dimension véritablement continentale. Le spectre de la grève générale européenne commence à troubler le sommeil des élites européennes.

Si le projet de l’Europe néolibérale a pu avancer aussi rapidement, c’est grâce à son acceptation de la part de la majorité du mouvement syndical – représenté dans la CES – et par la démobilisation de la classe travailleuse européenne. Cette orientation a permis que l’idéologie de l’Europe néolibérale imprègne de vastes couches de travailleurs. Mais la crise financière, ainsi que celle de la dette aujourd’hui, ont montré le véritable visage de l’UE néolibérale : un puissant instrument aux mains du grand capital européen pour imposer ses politiques. Ces crises mettent également en difficulté sa principale réalisation, l’Euro, ainsi que l’orientation de la CES par rapport à l’UE réellement existante.

Les élites qui représentent le capital financier européen ont mis en marche des plans concrets pour désamorcer la crise de l’euro : l’union bancaire, l’union budgétaire et l’union compétitive. La consolidation de ce projet signifierait la consécration de l’austérité contre la classe travailleuse ; la priorité absolue au remboursement de la dette au détriment des besoins sociaux et économiques ; le contrôle des budgets, des dépenses publiques et des dettes des Etats par les instances de l’UE ; la spirale sans fin vers le bas des salaires et de nouvelles mesures de flexibilisation du marché du travail pour gagner en compétitivité. Elle supposera un nouveau désastre social pour les pays du sud de l’Europe. L’année 2013 sera ainsi une année cruciale pour la réalisation de ces plans.

Le 14N a montré la force des travailleuses et des travailleurs. Il a également indiqué le chemin qu’il faut suivre : la convergence européenne des résistances contre les coupes, l’austérité et le paiement de la dette illégitime. Suivre ce chemin et s’opposer de manière conséquente aux nouveaux plans des classes dominantes européennes exige que le mouvement syndical européen rompe avec le modèle actuel de l’UE ; une architecture institutionnelle qui approfondit les inégalités, favorise les créanciers et impose l’austérité de manière autoritaire. C’est ce modèle qui stimule le chômage afin d’exercer un chantage sur la classe travailleuse et c’est par lui que s’imposent des sacrifices sans fin contre cette dernière et les classes subalternes. En outre, cette logique néolibérale éloigne sans cesse les possibilités de sortir de la crise.

Le 14N dans l’Etat espagnol a été un succès. Malgré le fait que des chiffres plus que contestables (comme le démontre une étude du collectif « Economistes contre la crise ») sur la consommation électrique indiquent que l’impact fut moindre que le 29 mars dernier, la participation aux manifestations a été bien plus supérieure, avec une présence très importante de jeunes et dans de nombreuses villes elles se rapprochaient en massivité des mobilisations contre la guerre en Irak en 2003.

L’attitude du gouvernement a bien entendu été très différente ; si le 29 mars la police s’était contentée de surveiller les piquets, le 14N la consigne était de les dissoudre. Le nombre de personnes blessées et arrêtées témoigne de la brutalité policière, ainsi que les nombreux témoignages qui circulent sur Internet. Cependant, les pandores du patronat n’ont pas atteints leur objectif : le centre et les rues de nombreuses villes ont vu, dès la matinée, d’authentiques manifestations qui étendaient la grève sur leur passage. Le 14N a une fois de plus démontré la capacité de riposte dont sont encore capables les salariés et la jeunesse.

Les raisons du moindre pourcentage d’impact de la grève par rapport à celle du 26M peuvent être variés : au Pays Basque, le refus de la majorité des syndicats d’appeler à la grève y a considérablement diminué le taux de participation ; la réforme du Code du travail offre au patronat de puissants instruments anti-grève, de sorte que dans le privé, on ne peut plus faire grève aujourd’hui que dans les entreprises où existe un « pouvoir syndical » ; les services minimums abusifs se sont généralisés et sont de facto acceptés par les syndicats majoritaires… La dimension citoyenne de la grève a été très inégale, avec des quartiers et des localités où son incidence sur le petit commerce et les bars à été très significative et d’autres où tout était ouvert.

En dépit de la faiblesse du travail préparatoire, le 14N a malgré tout été un succès. Le Sommet Social (coalition d’organisations syndicales et de mouvements sociaux et associatifs, NdT) s’est une fois de plus montré incapable d’agir comme un espace pouvant élargir et construire la grève en dehors des lieux de travail, parmi les citoyens - à l’honorable exception de l’Union des Acteurs. Les syndicats CCOO et UGT n’ont pas été capables de créer un climat favorable à la grève dans la société. Il y a eu pourtant de nombreux processus de mobilisations et d’indignations qui ont alimenté la flamme de la grève : les suicides dramatiques de personnes expulsées de leur logement ; l’occupation d’hôpitaux et la lutte contre la privatisation de la santé ; la lutte contre les coupes ou la fermeture de nombreuses entreprises publiques…

Le succès du 14N a signifié un nouveau coup asséné à un gouvernement de plus en plus illégitime et il a démontré l’ampleur du rejet social à sa gestion de la crise. Il a également été l’expression d’une force sociale qui ne se résigne pas et qu’il est vital de continuer à alimenter pour riposter aux conséquences du « sauvetage » à venir et de la nouvelle vague de réformes en vue.

Le gouvernement a voulu minimiser son impact, en la présentant comme un échec et un problème d’ordre public ; il a mis en œuvre des mesures anti-grèves actives, en utilisant comme prétexte le « droit au travail » et la préservation de la « normalité citoyenne » et il a alimenté la résignation sociale avec l’aide inestimable de Botin (grand patron espagnol, NdT), affirmant que la politique gouvernementale était la seule possible.

Malgré son usure, son manque de crédibilité croissant et la désaffection de secteurs de plus en vastes de son électorat, le gouvernement du PP ne va pas modifier sa politique. Il ne peut pas le faire du fait de ses engagements avec la Troïka et de ses liens avec le capital financier. Pour en finir avec les coupes, les privatisations, la criminalisation et la répression de la contestation sociale, il faut en finir avec ce gouvernement.

Vaincre le gouvernement du PP et l’austérité exige beaucoup plus que des appels ponctuels à des grèves générales d’un jour qui, isolées des différentes luttes sociales et ne s’intégrant pas dans un plan d’ensemble de mobilisation, courent le risque de se banaliser en arrêts de travail généralisés avec des manifestations l’après midi et de perdre ainsi une grande partie de leur impact. La défaite du gouvernement exige l’élaboration d’un plan à moyen terme de mobilisations déterminées et soutenues, capable d’exercer sur lui une pression insupportable.

Ce plan de lutte devrait reposer sur trois grands axes :

- Une alliance entre le syndicalisme, les mouvements sociaux comme le 15M et le 25S et les organisations politiques et sociales opposées à l’austérité, afin de constituer un bloc qui organise et élargisse de manière unitaire la mobilisation.

- Un programme de revendications d’urgence sociale, avec des objectifs qui vont à la racine des problèmes :

1. Audit citoyen de la dette et annulation de la dette illégitime.
2. Abrogation des réformes du code du travail, des pensions, des coupes et des privatisations. Revalorisation des salaires, des droits, des prestations et des services publics.
3. Expropriation sans indemnisation des banques sauvées ou ayant reçues des aides de l’Etat et mobilisation des ressources pour les services publics et la création d’emplois écologiquement soutenables. Initier un processus mettant toutes les banques sous contrôle public et social.
4. Suspension préventive de toutes les expulsions de logement. Dérogation de la loi sur les expulsions de 1909. Dation en paiement rétroactif. Plan de logements à loyers sociaux en utilisant le stock de logements vides des banques nationalisées.
5. Réforme fiscale pour combattre la fraude et pour faire retomber la charge fiscale sur le capital.

- Un plan de mobilisation qui devrait combiner un ensemble d’actions : grèves sectorielles tournantes dans des secteurs stratégiques, comme les transports, les finances, les usines, l’énergie ou les télécommunications ; occupations d’installations et enfermement dans les services publics aux personnes, comme la santé et l’enseignement ; grèves générales de plus de 24 heures, pour unifier les différentes mobilisations. Et tous cela avec le souci permanent d’incorporer l’ensemble de la population à la lutte.

Cette mobilisation soutenue doit commencer avec l’extension et le soutien à la lutte menée dans le secteur de la santé de la Communauté madrilène. Comme dans le cas de l’enseignement, la nouvelle phase de privatisation de la santé publique commence à Madrid. C’est de l’issue de ce conflit, de l’extension du rejet social à cette nouvelle vague de privatisation que dépendra la possibilité de freiner de manière net ces dernières. Dans le cas contraire, on assistera à l’exportation de ce modèle de privatisation dans les secteurs publics des autres régions autonomes. L’enjeu de ce combat est donc décisif. Le soutenir et l’appuyer est la tâche de toutes et tous.

21 novembre 2012
www.anticapitalistas.org
Traduction française pour Avanti4.be