Allocations d’insertion : pour l’abrogation de l’article 63§2

Collectif 3 juillet 2014

L’article 63§2 introduit une limite dans le temps des allocations d’insertion. Il fera ses premières « victimes », dans toutes les catégories d’âge, à partir de janvier 2015.« Une régression sociale inouïe », dénoncent plusieurs universitaires et représentants syndicaux (*).

Les jeux (électoraux) sont faits, la partie a commencé ! Derrière les négociations, une échéance se profile : le 1er janvier 2015.

Ce jour-là, si rien ne vient l’en empêcher, l’article 63§2 qui limite désormais dans le temps les allocations d’insertion fera ses premières victimes parmi une population déjà largement précarisée. Pour rappel, les allocations d’insertion sont versées à tous les demandeurs d’emploi qui n’ont pas cumulé suffisamment de jours d’emploi pour ouvrir leur droit aux allocations de chômage « sur base d’un travail ». Contrairement à ce que l’on entend souvent, il ne s’agit donc pas (que) du « chômage des jeunes », puisque par exemple le travail à mi-temps ne permet pas de remplir cette condition.

Depuis le 1er janvier 2012, ces allocations sont limitées à trois ans une fois atteint l’âge de 30 ans, sauf pour une toute petite catégorie d’allocataires. Il n’y aura pas que des « jeunes » donc, parmi les futurs exclus, puisque la plupart de ceux-ci auront au minimum 33 ans. Beaucoup de femmes par contre (60%), et plus largement des travailleurs plus ou moins âgés qui ont enchaîné petits boulots, temps partiels ou intérims, souvent pendant des années, mais sans jamais que cela suffise à leur ouvrir le droit à un chômage complet et (du moins pour l’heure) encore illimité.

« Qu’ils se rassurent, ils pourront toujours se tourner vers les CPAS ! » Là encore, il faut rappeler que seule une partie de ces exclus pourra effectivement bénéficier du RIS (un argument d’ailleurs cyniquement utilisé par une ex-ministre pour rassurer les communes sur l’impact budgétaire de la mesure…). Pour les autres, ce sera le retour chez les parents (quand c’est encore possible !), la débrouille, la rue… Une régression sociale inouïe dans un pays qui compte déjà 15% de pauvres, tout en affichant un PIB par habitant parmi les vingt premiers mondiaux.

Et tout ça pour quoi ?

Lutter contre le chômage ? On voit difficilement comment affamer des milliers de personnes contribuerait à créer le moindre emploi. Il existe plus d’un million de personnes totalement ou partiellement sans emploi en Belgique pour… 50 à 70.000 offres mensuelles ! Le seul impact de cette mesure sera d’accentuer la concurrence entre des travailleurs déjà précarisés au seul bénéfice des employeurs et des actionnaires.

Réaliser des économies ? Les estimations les plus optimistes tablent sur un gain de 250 millions d’euros. Un montant ridicule quand on sait que l’optimisation fiscale à elle seule coûte près de vingt milliards d’euros chaque année à l’Etat (sans compter l’évasion fiscale qui atteint probablement des proportions encore plus colossales, quoique plus difficiles à chiffrer avec certitude).

Devant une telle injustice, on comprend que, durant les élections, la majorité des partis francophones se soient prononcés contre cette mesure, même parmi ceux qui l’ont pourtant votée il y a trois ans ! Ils ont aujourd’hui l’occasion de réparer cette « erreur » et de joindre le geste à la parole. Qu’ils fassent de l’abrogation de l’article 63§2 une condition sine qua non de leur participation à une éventuelle coalition fédérale. Et que l’on cesse de faire payer la crise à ceux qui en sont les premières victimes, sans jamais toucher à ceux qui l’ont provoquée… et qui en profitent !

Carte blanche publiée dans Le Soir du 1er juillet 2014

(*) Mateo Alaluf, professeur émérite (ULB) ; Paul Aron, professeur (ULB) ; Nicolas Bárdos-Féltoronyi, professeur émérite (UCL) ; Bruno Bauraind, licencié en sciences politiques (Gresea) ; Marc Becker, secrétaire national CSC ; Jans Buelens, avocat Progress Lawyers Network (Bruxelles), professeur (Université d’Anvers) ; Isabelle Cassiers, chercheuse qualifiée FNRS-UCL ; Vanessa De Greef, assistante au Centre de droit public (ULB) ; Jean-Luc Demeulemeester, économiste, professeur (ULB) ; Tony Demonté, secrétaire général adjoint (CNE) ; Jean-Claude Deroubaix, maître de conférence (Umons) ; Alex Deswaef, président de la ligue des droits de l’homme (LDH) ; Pascal Durand, professeur (Ulg) ; Liliane Fanello, journaliste free-lance ; Isabelle Ferreras, chercheur qualifié FNRS, professeur (UCL) ; Corinne Gobin, maître de recherches FNRS-ULB ; Mejed Hamzaoui, sociologue, professeur (ULB) ; Marc Jacquemain, professeur (Ulg) ; Christian Jacquemin, président de la régionale FGTB de Verviers et Communauté germanophone ; Guy Lebeer, sociologue (ULB) ; Michaël Lebrun, sociologue (ULB) ; Sile O’Dorchai, maître de conférence et chercheuse au DULBEA (ULB) ; Pierre-Arnaud Perrouty, secrétaire général de la LDH ; Laurent Pirnay, secrétaire général adjoint CGSP wallonne ; Daniel Piron, secrétaire régional FGTB Charleroi/Sud-Hainaut, Réseau « Stop article 63§2 », www.stop632.be ; Daniel Richard, secrétaire interprofessionnel FGTB Verviers ; Pedro Rodriguez, responsable national des Travailleurs sans Emploi, CSC ; Réginald Savage, économiste, professeur UCL (FOPES) ; Christine Schaut, sociologue ; Jean-Louis Siroux, sociologue FRS/UCL ; Isabelle Stengers, philosophe ULB ; Jean-François Tamellini, secrétaire fédéral FGTB ; Eric Toussaint, maître de conférence, Ulg, président du CADTM ; Felipe Van Keirsbilck, secrétaire Général CNE ; Jean Vandewattyne, sociologue, chargé de cours Umons ; Daniel Zamora, sociologue ULB ; Véronique van der Plancke, vice-présidente de la LDH.