Allemagne : vers une Nouvelle Organisation Anticapitaliste ?

G. Cluseret 17 septembre 2012

Il y a un peu plus d’un an a commencé un processus de discussion entre des groupes et des personnes situées dans le spectre de la gauche radicale allemande. Une réelle dynamique de débats et de convergence s’est depuis lors réalisée et évolue vers l’unification d’un secteur important de la gauche révolutionnaire allemande au sein d’une « Nouvelle Organisation Anticapitaliste ».

C’est un groupe critique de Die Linke dans un quartier de Berlin (SIB : Initiative Socialiste de Berlin) qui a posé la première pierre en mettant un texte en débat. Ce qui ne semblait être qu’un petit projet local a rapidement attiré l’attention d’autres organisations et collectifs, tant locaux que fédéraux, ainsi que d’individus et d’activistes des mouvements sociaux.

Pour l’instant, les organisations suivantes participent pleinement au projet, outre le SIB de Berlin déjà cité : RSB (l’une des deux sections de la IVe Internationale en Allemagne), SoKo (Coopération Socialiste), InterKomm (Communistes internationaux), Scharf Links (Gauche Incisive). Le media alternatif online TREND, un site web de référence pour la gauche allemande, soutien également l’initiative.

D’autres organisations comme Pouvoir Ouvrier (pour une Ve Internationale), Initiative Marxiste et le Cercle de Travail pour la Suppression du Capitalisme (AKKA) participent comme observateurs. RIO (du courant international Fraction Trotskyste) et ISL (l’autre section allemande de la IVe Internationale, au sein de Die Linke) observent également mais sans vouloir s’intégrer dans la création de structures organisationnelles. On compte également divers activistes et plusieurs groupes locaux du courant « marxiste-léniniste » qui se rapprochent au travers des activités organisées.

Le point de départ commun est une analyse négative de l’évolution de Die Linke. Depuis sa fondation, ce parti est dominé par des luttes de fractions qui se contentent de se partager les postes clés à l’interne. Ainsi, congrès après congrès, le débat politique de fond disparaît et le parti s’éloigne des rues pour ce concentrer encore plus chaque jour dans les bureaux.

Principalement dominé par l’ancien PDS est-allemand, Die Linke est devenu un parti totalement orienté vers le pouvoir institutionnel et souhaite s’intégrer dans n’importe quel gouvernement possible avec le SPD. L’expérience désastreuse de la participation de Die Linke au gouvernement SPD de Berlin ne laisse plus de place au doute : augmentation du coût de la vie, spéculation immobilière galopante, tentative de privatisation de l’eau, soutien au patronat qui enfreint les lois sociales, absence d’un salaire minimum, etc.

Points forts et points faibles de la NAO allemande

Bien que le processus de construction d’un référent anticapitaliste large n’en est encore qu’au stade embryonnaire, une dynamique réelle s’est déjà créée qui permet de regarder l’avenir avec optimisme.

Le débat déborde l’initiative et touche y compris certains secteurs « autonomes » - courant politique qui a dominé l’extrême gauche radicale ces dernières années en Allemagne occidentale. L’initiative a aussi favorisé la mise en contact de la gauche radicale d’Allemagne occidentale avec certains groupes de l’est (à Berlin tout particulièrement) qui se trouvaient auparavant isolés sur l’échiquier politique allemand. Il faut également de souligner l’audience de l’initiative auprès d’activistes des mouvements sociaux étudiants, féministes, d’ATTAC ou de comités d’action locaux qui participent avec intérêt aux activités organisées.

La dynamique de débat constructive – bien que dense, selon le style traditionnel du marxisme allemand - a entraîné la participation commune à certaines mobilisations, comme lors des manifestations contre la Banque centrale européenne à Francfort au printemps dernier. Le Comité de Solidarité avec le peuple grec lancé à Berlin compte également avec la présence significative de militants liés au processus.

En ce qui concerne les faiblesses du projet ; il n’existe pas d’organisation de la gauche radicale allemande équivalente à ce que fut la LCR française et qui puisse servir de squelette pour organiser une forte structure à l’échelle nationale. En outre, certaines organisations historiquement liées à la gauche révolutionnaire (et avec un nombre élevé de militants), ne se sont pas intégrées dans le processus car elles pensent qu’il fait « très froid en dehors de Die Linke ». Le SAV (CWI) assiste aux débats mais maintien son orientation de construire Die Linke dans ce qui ressemble à un entrisme un peu intemporel et mécaniste car il n’existe pas de vastes bases indépendantes que l’on pourrait toucher dans ce parti, au-delà des réunions rassemblant des politiciens professionnels. Pour sa part, Marx21 (qui a quitté le courant international lié au SWP britannique) ne participe pas aux débats.

Face à ce panorama, les organisations qui impulsent la création d’une Nouvelle Organisation Anticapitaliste partagent la perspective de l’unité de la gauche mais dans l’indépendance organisationnelle par rapport à Die Linke. Unité dans des campagnes de luttes avec toute la gauche, mais indépendance organisationnelle face à la prétention de Die Linke d’absorber afin de neutraliser tout ce qui sort de la politique professionnelle.

Un autre aspect à tenir en compte quant à la force potentielle de ce projet, c’est l’absence de tradition de lutte dans la classe ouvrière allemande aujourd’hui. Les directions syndicales se consacrent depuis une décennie à la collaboration de classe la plus absolue tandis qu’un important secteur de la classe ouvrière soutien Merkel dans son néo-nationalisme chauvin et qu’un autre secteur – plus minoritaire – voit l’extrême droite avec sympathie. Ce sont ces facteurs difficiles de la réalité quotidienne que doit affronter tout projet de gauche alternatif dans un pays qui se trouve au centre de l’impérialisme mondial.

Quoiqu’il en soit, ce n’est qu’une question de temps pour que les luttes commencent à démarrer dans le pays, comme on a déjà pu le constater dans certains cas encore isolés : grèves dans les aéroports, dans les hôpitaux et dans certains secteurs d’industries et de services, à cause du gel, de facto, des salaires depuis dix ans. L’économie allemande entre depuis quelques temps en récession selon les données macroéconomiques de l’OCDE et le mirage d’une Allemagne ayant une culture du travail supérieure à celle des « pays de la sieste » du sud de l’Europe s’écrase contre la dure réalité.

Les luttes et les conflits sociaux se rapprochent donc du centre de l’Europe néolibérale et un projet politique ayant une stratégie anticapitaliste de non collaboration de classe devient d’une importance vitale. Une période passionnante et pleine de périls également va prochainement commencer en Allemagne, bastion du capital européen.

D’après un article de Fritz « der Spanier » traduit et résumé pour Avanti4.be

Plus d’infos (en Allemand) sur : http://nao-prozess.de/