Que reste-t-il de valide chez Léon Trotsky pour aujourd’hui ?

Guillermo Almeyra 24 février 2013

(…) Le XXe siècle fut « un siècle de guerres et de révolutions ». Il commença avec la guerre russo-japonaise qui provoqua la Révolution russe de 1905, répétition générale de la révolution de 1917 et qui fut une révolution paysanne et démocratique, anti-tsariste, d’où émergea une direction ouvrière – les conseils ouvriers (soviets) de Saint-Pétersbourg. .

Ce fut également un siècle qui s’appuya sur la diffusion des espérances et de fortes organisations socialistes dans tous les pays métropolitains (mis à part les Etats-Unis) et dans de nombreux pays dépendants, coloniaux ou semi-coloniaux d’un monde qui se caractérisait alors par une gigantesque masse paysanne et par l’oppression coloniale de l’immense majorité de l’humanité.

Les grands pays impérialistes étaient alors le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne, suivis par les empires russe et austro-hongrois. Les trois premiers s’étaient répartis l’Afrique, le Pacifique et l’Asie (où agissaient également des impérialismes mineurs). La part du lion était entre les mains des Britanniques. Les Etats-Unis, avant 1914, n’étaient qu’une puissance régionale qui émergeait à peine dans le camp des puissances impérialistes avec ses interventions aux Philippines, à Cuba, dans les Caraïbes et en Amérique centrale avec ses incursions de rapine au Mexique.

Les guerres impérialistes entre des puissances de capacités similaires étaient ainsi à l’ordre du jour depuis la seconde moitié du XIXe siècle et elles le furent pendant la première moitié du siècle suivant.

La bureaucratisation des partis ouvriers et des syndicats a ainsi accompagné la transformation des pays européens occidentaux en puissances impérialistes. L’Etat capitaliste intégra les réformistes et les socialistes étatistes d’Angleterre, ainsi que la social-démocratie en Belgique, en Allemagne et au Pays-Bas, tandis que l’anarcho-syndicalisme et le syndicalisme révolutionnaire sorélien battaient en retraite dans les syndicats. Le socialisme dit « d’Etat » s’affirma sans cesse plus. Autrement dit : la soumission du mouvement ouvrier à l’Etat, qui repose sur le caractère bourgeois du syndicat en tant que négociateur du prix et des conditions de vente de la marchandise force de travail et son intervention comme un acteur de plus sur un marché de plus en plus régulé par cet Etat capitaliste. Ce processus favorisa le nationalisme des couches ouvrières qui bénéficiaient le plus de la richesse (et des méfaits) de leur bourgeoisie et de leur Etat (comme en Allemagne) et créait aux Etats-Unis (où les socialistes étaient peu nombreux) un syndicalisme corporatiste, ultranationaliste et corrompu.

Tous les socialistes étaient alors déjà conscients depuis 50 ans que la révolution n’était pas provoquée par leur seule volonté mais qu’elle était le produit de crises du système, comme lors de la Commune de Paris. Cette crise créait pour la minorité de révolutionnaire la possibilité d’atteindre les larges masses, déjà travaillées par la lutte idéologique antisystémique que livraient quotidiennement les socialistes à tous les niveaux de la société. Avec, là où ils étaient légaux, leurs cercles de lectures, bibliothèques, organisations de jeunesse et sportives, maisons du peuple, mutualités, coopératives, sociétés philharmoniques…

Par conséquent, la révolution ne pouvait triompher selon eux sans certaines conditions révolutionnaires préalables, mais aussi sans un parti et sans une éducation socialiste des masses ouvrières et d’un petit secteur des intellectuels qui serve de charnière avec les secteurs peu cultivés.

Certains, comme Lénine ou Kautsky, attribuaient à ce petit secteur – et au parti – le rôle d’introducteur de la théorie et de la connaissance socialiste « de l’extérieur » de la classe ouvrière. D’autres, comme Rosa Luxemburg ou Trotsky lui-même, pensaient que le développement du capitalisme préparait les ouvriers les plus cultivés et avancés à penser théoriquement et, par conséquent, qu’il fallait s’appuyer sur les formes concrètes avec lesquelles le prolétariat développait un double pouvoir (comme les conseils) face à celui de l’Etat.

Pour certains socialistes, la révolution commençait alors dans les failles du capital (les grandes crises, les guerres désastreuses) en tant que mouvements démocratiques pour les libertés et la terre, dans les luttes constitutionnalistes et modernisatrice. Mais, de par sa direction et sa dynamique propre, le prolétariat, plus organisé, plus conscients et plus cultivé, jouerait un rôle dirigeant vis-à-vis de l’immense masse paysanne dispersée.

La révolution démocratique et nationale intégrait ainsi des revendications sociales ouvrières et anticapitalistes avec une orientation socialiste : telle était la thèse de la théorie de la révolution permanente de Trotsky et Parvus, née de l’expérience de la révolution russe de 1905. En outre, tout comme une révolution qui éclate dans une ville doit soit s’étendre au niveau national ou périr, de même, si une révolution éclate dans un pays arriéré, elle doit se propager à d’autres pays plus avancés ou bien connaître l’asphyxie, la dégénérescence et la mort. Ce fut là la grande discussion de Trotsky avec Lénine et les bolcheviques, qui défendaient dans une première phase la thèse d’une révolution strictement démocratique et paysanne. Mais en juillet 1917, Lénine adopta la thèse de Trotsky et l’histoire donna momentanément raison à la théorie de la révolution permanente.

Cependant, s’il est vrai que la révolution socialiste russe menaça tous les pays vaincus dans la Grande Guerre de 1914-1918 (l’Allemagne et les Etats issus de l’ex empire austro-hongrois) où des conseils ouvriers se constituèrent, ni les ailes gauches des partis socialistes, ni les partis communistes naissant, ni les syndicats révolutionnaires ne purent diriger une révolution victorieuse. Dans les pays coloniaux, la révolution nationale, démocratique et anti-impérialiste, par manque de directions ou de noyaux socialistes, fut menée par des directions nationalistes, comme au Mexique ou en Chine.

L’Union soviétique resta donc isolée alors que tous ses espoirs de survie avaient été placés dans la victoire de la révolution mondiale. De plus, à cause de l’erreur commise par l’invasion de la Pologne (1920), où les armées soviétiques furent vaincues, l’URSS perdit sa frontière avec l’Allemagne en pleine crise révolutionnaire. Cet isolement fut, comme le dit Trotsky, la base principale de la bureaucratisation du régime.

Dans ses derniers écrits, Lénine combattit la bureaucratisation du parti bolchevique et de l’Etat, où le pouvoir était de plus en plus concentré dans les mains de Staline. Mais celui qui étudia et lutta le plus contre ce phénomène, surtout après la mort de Lénine, ce fut Trotsky, d’abord avec l’Opposition de gauche de 1923 et ensuite jusqu’à la fin de sa vie. C’est à lui et à son livre « La Révolution trahie » que l’humanité est redevable non seulement de l’analyse des causes de l’émergence de la bureaucratie dans les pays modernes, mais aussi des principaux remèdes pour la réduire (l’incorporation de la jeunesse ouvrière et des femmes au parti, sa politisation, la démocratie des partis avec le droit de tendance, la lutte contre le nationalisme et le verticalisme…). Pour lui, comme pour son camarade et ami Christian Rakovsky qui rédigea « Les dangers professionnels du pouvoir », la bureaucratie trouve une base objective dans la misère, la pénurie, l’arriération culturelle et matérielle, ainsi que dans la démoralisation et l’usure de ceux qui ont fait la révolution. Mais elle a également une base subjective dans le manque de préparation théorique dans le parti, dans le conservatisme de ses cadres ainsi que dans la fusion entre le parti – qui devrait être anti-étatique – et l’appareil d’Etat qui administre le fonctionnement d’une économie capitaliste dans un monde capitaliste.

Pour Trotsky, comme pour Lénine, le socialisme avait comme base fondamentale l’étatisation des moyens de production, la planification économique et le monopole d’Etat du commerce extérieur. Ils surestimaient ainsi les transformations des rapports de propriété (l’étatisation) et la capacité de l’Etat à contrôler bureaucratiquement une société sans cesse plus complexe à mesure qu’il reconstruisait les bases d’une économie croissante et diversifiée.

Ils sous-estimaient en même temps la subsistance du régime salarial et des vieux rapports de production (dans lesquels le patron avait été remplacé par le directeur nommé par le parti) et la carence de toute forme de contrôle de la part des ouvriers, ainsi que la nécessaire modification de leur subjectivité. La formule « le socialisme, c’est les soviets plus l’électricité » exprimait une plus grande confiance dans la technologie (l’électricité) que dans les soviets. Ces derniers avaient d’ailleurs cessé d’être des organismes de pouvoir ouvrier et paysans pour devenir de simples courroies de transmission du parti. A la suite de la Guerre civile, ce dernier allait en outre interdire les fractions qui lui donnaient sa vitalité et se transformer en parti unique.

La caractérisation que fit Trotsky de l’Union soviétique en tant qu’Etat ouvrier dégénéré, qui suivit celles, successives, de Lénine sur « l’Etat bourgeois sans bourgeoisie » et d’« Etat ouvrier avec de fortes déformations bureaucratiques », était formaliste parce que les ouvriers avaient déjà été expropriés par les bureaucrates qui, en leur nom, développaient des valeurs et des rapports bourgeois qui n’avaient pas besoin de la propriété privée des moyens de production pour garantir leur statut de caste-classe privilégiée.

Cette acceptation du caractère encore « ouvrier » de l’Etat non capitaliste issu de la Révolution d’Octobre amena pendant de nombreuses années Trotsky à une lutte perdue d’avance pour la régénérescence du parti et de l’Etat soviétique et l’empêcha de construire à temps et avec les méthodes adéquates – la clandestinité dans le parti et dans ses institutions – une direction révolutionnaire, ce qui facilita la répression stalinienne. Celle-ci se fit de plus en plus cruelle et brutale à mesure que les erreurs internationales de Staline isolaient encore plus l’URSS d’une révolution mondiale enlisée, mettant le pays en danger face au nazisme et à la contre-révolution mondiale qui furent renforcés par ces mêmes erreurs.

Peu avant d’être assassiné, Trotsky affirma que le capitalisme – qui à ce moment préparait une nouvelle guerre mondiale inter-impérialiste au milieu de sa stagnation productive – avait épuisé ses possibilités de croissance. Il organisa la IVe Internationale afin qu’un parti mondial de la révolution puisse diriger la nouvelle vague révolutionnaire qu’il pensait voir surgir de la guerre et régénérer l’Union soviétique par une révolution politique qui extirperait la bureaucratie tout en maintenant les conquêtes de la Révolution russe. Il soutint également que si le prolétariat mondial ne pouvait pas mener à bien une révolution socialiste après la guerre, une période de barbarie allait s’ouvrir, l’URSS disparaîtrait et il faudrait alors imaginer les bases d’un nouveau programme pour la reconstruction de la civilisation.

Le monde dans lequel nous vivons

L’URSS a disparue et le prolétariat s’est transformé et s’est différencié en de nombreuses couches. Ce processus a renforcé la tendance toujours existante, mais auparavant plus faible, à développer dans de vastes couches une mentalité de petits producteurs similaire à celle des classes moyennes pauvres et à accepter comme naturelles l’idéologie et la domination du capital.

Nous vivons aujourd’hui la plus grande, la plus profonde et la plus vaste crise que le capitalisme ait jamais connu mais, à la différence des crises du passé, il n’y a plus d’alternative socialiste visible, ni de partis socialistes de masse. L’idée même du socialisme ne vit plus dans les masses comme un espoir. Pour des millions d’êtres humains dans toute l’Europe orientale, dans l’ex Union soviétique, en Corée du Nord, en Chine, au Vietnam, au Cambodge et même à Cuba, elle est au contraire identifiée avec le souvenir d’atrocités et de terribles souffrances ou avec la pénurie et les restrictions de tous types.

Des conditions révolutionnaires peuvent pourtant apparaître - et elles apparaîtront - mais ce ne seront pas les révolutionnaires socialistes, quasi inexistants aujourd’hui mis - à part au niveau de petits groupes - qui en bénéficieront, du moins dans un court terme prévisible.

C’est pour cette raison que le Printemps arabe - écho lointain du Printemps des peuples de 1848 en Europe qui impulsa ensuite le socialisme et le mouvement ouvrier - voit aujourd’hui son élan démocratique, nationaliste et anti-impérialiste enlisé dans le bourbier des conflits religieux, régionaux et ethniques d’où surgissent des régimes bonapartistes qui s’appuient sur les forces armées qui tentent de l’écraser.

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, il y a eu une énorme croissance de la capacité productive du capitalisme, qui étreint aujourd’hui toute la planète. Le capital financier s’est internationalisé et dirige tout le processus en soumettant les Etats à son service. Le prolétariat s’est profondément transformé. Dans les pays industrialisés, le taux de syndicalisation est extrêmement bas et les travailleurs industriels ne représentent plus que 12% de la population active (moins que ceux qui travaillent dans les services et encore moins que les précaires, sans cesse plus nombreux et plus mal payés).

Près de la moitié d’entre eux, comme en France ou en Italie, votent pour des partis xénophobes et chauvins d’extrême droite tandis que la majorité écrasante des ouvriers (sociaux-démocrates, socialistes et nationalistes dans des pays comme l’Argentine, la Bolivie, le Venezuela ou le Brésil) n’espèrent plus qu’un « capitalisme plus humain ».

Comme à l’époque de Marx au XIXe, les révolutionnaires anticapitalistes constituent partout une minorité absolue. Dans les prochaines élections italiennes (en février) par exemple, les sondages donnent entre 1,5 et 2,5% aux groupes qui se disent socialistes – dont certains ont cependant fait partie de gouvernements capitalistes.

Le capitalisme a intégré à son arsenal des centaines de millions de travailleurs aux salaires très bas et aux conditions de travail dignes de l’époque de Dickens qui, dans l’ex URSS, en Chine et dans tout l’Orient, « acceptent » le capitalisme comme cadre social unique et naturel.

Les agressions néocolonialistes de l’impérialisme (comme en Irak, en Afghanistan, en Libye ou avec l’occupation de la Palestine par Israël) sont quotidiennes et ne suscitent déjà plus la solidarité internationale dont bénéficièrent les combattants de Corée du Nord dans les années 1950 ou du Vietnam dans les années 1960. Ces guerres néocoloniales localisées alimentent les industries de guerre, renforcent le poids du complexe militaro-industriel dans les différents Etats et font partie d’une lutte sourde entre les puissances pour la redistribution du contrôle des ressources vitales et stratégiques (combustibles, eau, mers).

Les différents impérialismes ont toujours des intérêts propres et des divergences continues avec leurs alliés, comme le démontrent les guerres coloniales de la France en Afrique. Mais une guerre inter-impérialiste est aujourd’hui impensable (les pays occidentaux européens, par exemple, fabriquent en commun leur armement) et il est même très improbable, à court ou à moyen terme, d’assister à une guerre entre l’un de ces impérialismes contre la Chine, qui les soutient par sa croissance et qui est le principal partenaire commercial de leurs multinationales.

Les ouvriers d’industrie n’ont plus de vision propre et différenciée à l’échelle mondiale car chaque contingent joue un rôle secondaire à l’échelle nationale et ne se sent pas faire partie d’une seule classe mondiale. Ils luttent seulement pour des réformes qui améliorent leur niveau de vie ou pour freiner quelque peu sa détérioration.

Le parti mondial de la révolution socialiste rêvé par Trotsky n’existe même pas à l’état embryonnaire et n’a ni base matérielle ni même une revue théorique qui puisse analyser le monde actuel et formuler des alternatives crédibles. Il n’atteint que le niveau d’échanges d’informations et d’interventions politico-organisationnelles à peine ponctuelles. Il n’y a donc pas de construction progressive d’une conscience socialiste par une éducation socialiste à partir du bilan des luttes et des expériences, certes limitées, d’auto-organisation et d’autogestion ou de développement d’éléments de double pouvoir (…)

Il n’existe nulle part dans le monde une situation révolutionnaire. Nous sommes en effet partout face à des luttes défensives des travailleurs contre une offensive capitaliste mondiale qui continue à leur arracher des conquêtes historiques, comme la journée des huit heures, l’interdiction du travail des enfants, la sécurité sociale, les lois de protection du travail. Cette offensive capitaliste s’accompagne d’une déprédation sans limites des biens communs et des ressources naturelles qui ne rencontre, sauf cas exceptionnels comme à Cajamarca, au Pérou, une résistance sociale d’une telle ampleur qu’elle puisse freiner le grand capital.

L’alliance entre les ouvriers d’industrie - réduits à un poids minimum et encore réformistes et sous la domination capitaliste - et les secteurs non capitalistes des zones rurales - subjugués par le capital et en processus d’émigration vers les villes ou vers d’autres pays - ne semble pas possible dans les conditions actuelles. Les premiers espèrent améliorer un peu leur situation dans le cadre du capitalisme, tandis que les seconds voient le capitalisme comme le seul système possible et préfèrent émigrer là où ils pourront gagner un peu plus ou s’enfermer dans l’utopie de l’isolement.

Là où la crise d’hégémonie de l’impérialisme étatsunien a laissé une plus grande marge de manœuvre au développement des faibles bourgeoisies nationales, ces dernières sont malgré tout subordonnées au capital financier international. Les tâches démocratiques qu’elles auraient du accomplir ne sont pas menées à bien par le prolétariat national en tant que dirigeant de toute la nation opprimée et exploitée mais bien par des appareils d’Etat nationalistes redistributifs et assistantialistes. Ces derniers, tout en s’appuyant sur un « peuple » indiférencié, freinent l’organisation indépendante des ouvriers et, à partir de l’Etat, veulent réanimer et alimenter ces mêmes bourgeoisies nationales. Ces gouvernements bonapartistes « progressistes » ne rompent pas avec les politiques néolibérales qui les enchaînent au capital financier international. Ils se donnent comme objectif un capitalisme utopique, selon eux juste et productif, et non un changement révolutionnaire de système. Des profondeurs des bureaucraties étatiques et partidaires qu’ils fomentent surgissent des secteurs capitalistes spéculateurs et corrompus qui infectent l’appareil d’Etat capitaliste à tous les niveaux.

Le rejet d’une politique mondiale qui réduit constamment les marges de la citoyenneté et les droits démocratiques et sociaux conquis au cours du dernier siècle grâce à la crainte des capitalistes face à la possibilité du socialisme ne dépasse pas encore le niveaux des mouvements démocratiques de masse ; les dénommées « révolution civiques » dans lesquelles les ouvriers ne sont qu’une composante mineure et non différenciée. A cela s’ajoute, comme en Bolivie, la bureaucratisation et la cooptation par l’Etat des directions des mouvements sociaux et des syndicats et la transformation de ces forces sociales en base d’appui pour réaliser une politique capitaliste de modernisation du pays. Il s’agit d’un néo-développementisme qui repose sur l’extractivisme et la déprédation des ressources naturelles qui confond la croissance économique avec le développement social et qui sape les bases mêmes du soutien populaire envers ces gouvernements « progressistes » de la petite-bourgeoisie. (…)

Trotsky avait raison quand il disait que les tâches démocratiques-bourgeoises ne pouvaient déjà plus être accomplies par les bourgeoisies « nationales », tant elles sont intégrées dans le capitalisme financier mondial de manière subordonnée. Mais, comme ces révolutions ne peuvent encore être dirigées aujourd’hui par les travailleurs dans le sens le plus large du terme, elles sont simplement postposées. Il se créé ainsi une situation de crise sociale et économique permanente et prolongée qui ouvre la possibilité d’une catastrophe écologique mondiale, ou celle d’aventures militaires qui échappent à tout contrôle. Autrement dit, une longue période sans cesse plus barbare.

Des grands apports de Léon Trotsky subsiste en premier lieu la vision internationaliste et la confiance dans les travailleurs, dans la jeunesse et dans les femmes ainsi que dans la nécessité de s’appuyer sur cette vision et de construire sur elle, quels que soient les délais.

Tout aussi actuelle également est la nécessité de combattre partout l’ignorance, la misère culturelle, la brutalité, le mépris pour les idées, autrement dit les bases subjectives de la bureaucratisation des groupes et des partis. Ces derniers doivent à leur tour combattre la bureaucratisation des syndicats, en tant qu’institutions réformistes et les bureaucraties d’Etats « progressistes ».

La lutte pour la démocratie la plus large possible dans les partis qui se donnent pour objectif le socialisme est toujours inséparable de l’affirmation de la démocratie comme terrain de maturation du prolétariat.

Le concept du parti bolchevique, né dans la lutte clandestine contre le tsarisme et développé dans la phase de montée révolutionnaire des années 1918-1920 est, par contre, obsolète dans les nouvelles conditions mondiales, de même que celui d’un parti révolutionnaire mondial. Mais ce n’est pas le cas de la nécessité d’un parti engagé dans une lutte à mort contre le capitalisme et, par conséquent, obligé d’assurer sa permanence et sa survie avec des mesures d’autodéfense et, si nécessaire, de clandestinité.

La vision mondiale, planétaire, de la lutte des classes et de la construction du socialisme qui, comme le soutenait Trotsky, est impossible dans un seul pays, est fondamentale. Une bonne partie des erreurs et des désastres subis par l’Union soviétique ou même Cuba sont dus à la vision étroite et nationaliste des dirigeants de ces Etats, ce qui démontre une fois de plus l’importance de Trotsky comme théoricien marxiste de notre époque.

Trotsky ne nous suffit plus aujourd’hui pour répondre à tous les défis théoriques auxquels nous sommes confrontés – comme l’élaboration de programmes de transition précis pour la reconstruction de l’indépendance de classe des travailleurs et des opprimés.

Mais, sans lui et sans ses conceptions sur le développement inégal et combiné - qui démontre comment agissent en interaction dans un seul processus différentes révolutions et luttes culturelle - (…) et sans son internationalisme, nous manquerions d’instruments pour tenter de comprendre la réalité afin de la transformer.


Source : http://www.rebelion.org/noticia.php?id=162731
Traduction française pour Avanti4.be : Ataulfo Riera