Grèce : Le péril fasciste, la gauche et Antarsya

Antarsya 17 mars 2013

Selon presque toutes les analyses politiques (qui sont confirmées par les sondages), la polarisation politique enregistrée lors des élections du 17 juin 2012 se poursuit et s’aiguise. La caractéristique de base de cette polarisation est l’effondrement total de la social-démocratie et la détérioration progressive du centre-droit. Cette crise fait que des couches sociales « se libèrent » et se tournent soit vers la gauche réformiste (Syriza), soit vers l’extrême droite fasciste.

Aube Dorée continue à augmenter son influence à pas de géants. Dans la période immédiate, tandis que les effets de la crise économique et des politiques des mémorandums affectent non seulement la classe ouvrière mais aussi la grande masse des secteurs petits-bourgeois (la base électorale « traditionnelle » du centre-droit), l’organisation fasciste sera probablement renforcée également par des secteurs organisés, comme le démontre l’exemple du soutien politique accordé à l’Aube Dorée par le Syndicat unitaire des corporations de marchands de Grèce. Le développement de l’Aube Dorée s’appuie généralement sur la dissolution du tissu social et sur l’individualisation.

Le développement de l’Aube Dorée n’est pas le résultat d’un déterminisme causé par la crise économique. Il est plutôt la conséquence de la faiblesse du mouvement ouvrier à construire une perspective politique anticapitaliste autour de laquelle pourrait s’unir les secteurs des masses petites-bourgeoises, qui s’éloignent de l’influence des partis bourgeois « traditionnels ». Le développement accéléré de l’influence de l’Aube Dorée a commencé à l’automne 2011, immédiatement l’inflexion des luttes ouvrières du cycle 2010-2011.

Ce déplacement politique des masses petites-bourgeoises de la droite vers l’extrême-droite fasciste ne peut être arrêté par les partis de l’extrême-droite populiste comme LAOS (parti orthodoxe nationaliste) et les Grecs Indépendants (scission de la Nouvelle Démocratie). La crise politique qui alimente l’influence de l’Aube Dorée prend racine dans la remise en cause d’un système politique qui est soutenu par ces deux partis. L’Aube Dorée veut exploiter cette remise en question en la transformant en renforcement du pouvoir bourgeois.

La croissance continue de l’influence de l’Aube Dorée est un facteur politique clé dans l’espace de la droite, où il aspire à l’hégémonie idéologique. En outre, son développement le rend déjà capable d’influer sur l’agenda politique des partis au pouvoir. Il représente désormais une force significative capable d’influencer le rapport de forces politique et dont il faudra nécessairement tenir compte dans les scénarios de formation de majorité gouvernementales. La possibilité que l’Aube Dorée réalise une percée sur la scène politique centrale s’accroît avec le renforcement de ses positions au sein des forces de répression (lors des dernières élections, un policier sur deux a voté pour ce parti). L’Aube Dorée aspire à passer d’une organisation contrôlée par les mécanismes répressifs à une organisation qui exerce une influence organisée sur ces mêmes mécanismes répressifs.

Ainsi, l’Aube Dorée apparaît en même temps comme une force (para-étatique) organisée de répression du mouvement ouvrier et comme telle elle acceptera toute aide et soutien possible de la bourgeoisie et de l’Etat bourgeois. Mais il s’agit également d’un parti qui veut le gérer les questions politiques de la bourgeoisie sur base de ses propres politiques. Cependant, cette dernière n’est pas décidée (du moins pas encore) à confier la gestion de son programme à un parti qui se situe en dehors du cadre politique au travers duquel s’exerce la politique bourgeoise. Mais cette disponibilité de la bourgeoisie est exprimée par les partis du gouvernement de coalition (ND-PASOK-DIMAR) quand ils « se préoccupent » des activités de l’Aube Dorée. Les « pressions » qu’ils tentent d’exercer sur ce parti ont comme objectif non pas d’empêcher les attaques contre les immigrés et les activistes, mais bien de les forcer à accepter les règles de la légalité bourgeoise existante. Mais ces pressions n’iront pas jusqu’à tenter de limiter réellement l’influence de l’Aube Dorée, non seulement parce que son rôle répressif est utile pour la bourgeoisie, mais aussi parce que ce parti est devenu un barrage de contention idéologico-politique contre l’influence de la gauche.

Parallèlement, l’existence et l’activité de l’Aube Dorée est utilisée par les partis bourgeois et les médias pour attaquer la gauche et les secteurs les plus combatifs du mouvement ouvrier, avec l’argument qu’aussi bien la gauche (principalement la gauche anticapitaliste et les groupes anti-système) que l’extrême-droite fasciste violent les lois et pratiquent la violence (la théorie des « deux extrêmes »).

Il tente par cette manière d’exercer une pression sur la gauche réformiste pour garantir sa totale soumission au parlementarisme bourgeois et la lutte à l’intérieur des institutions, tout en délégitimant dans la conscience populaire les formes de lutte combatives du mouvement ouvrier et de la jeunesse. Le plus important à souligner est que la moindre tentative de limiter l’influence de l’Aube Dorée, même s’il s’agit simplement d’une condamnation verbale, s’accompagne par contre d’une intensification de la répression contre le mouvement social.

Pour la classe ouvrière, l’augmentation de l’influence des fascistes entraîne une série de graves dangers ; soumission, répression et contrôle par la violence ouverte contre une partie importante de la classe ouvrière, les travailleurs immigrés ;

• La discipline à travers la violence, mais aussi dans les tactiques de collaboration de classe, principalement dans les secteurs jeunes de la classe ouvrière (ex : les agences de recherche d’emploi que l’Aube Dorée tente de mettre sur pieds).
• La rupture de l’unité de la classe travailleuse, en faisant s’affronter certains secteurs des masses travailleuses contre d’autres (Grecs contre immigrés, travailleurs du secteur privé contre ceux du secteur public). Mise à l’écart des secteurs des masses petites-bourgeoises, des chômeurs et de la jeunesse loin des graves affrontements du mouvement ouvrier avec la bourgeoisie, voir y compris en les faisant s’affronter ouvertement contre le mouvement ouvrier.
• Une pression forte et continue pour déplacer la scène politique vers la droite. Un processus d’autoritarisme croissant dans les institutions de l’Etat et la réduction des droits démocratiques et des libertés. Répression de la part de groupes fascistes d’assaut contre toute activité du mouvement social dans les régions où la présence de l’Aube Dorée augmente (attaques et occupations de collèges, de centres sociaux, ratonnades dans les quartiers).
• La répression contre la gauche en tant qu’expression organisée des intérêts des classes subalternes. Diffusion parmi les secteurs populaires d’idéologies racistes, nationalistes, anticommunistes et autoritaires (la fascisation des masses), provoquant la confusion idéologique et la désorientation politique.

La majorité des tactiques politiques et des approches pour affronter le péril qui ont commencé à se formuler après le double succès électoral de l’Aube Dorée sont en réalité erronées ou insuffisantes. Pour Syriza, l’Aube Dorée sera abordée dans le cadre d’une collaboration des forces politiques « progressistes » allant du KKE (parti communiste grec) jusqu’à DIMAR (scission de droite de Syriza) et le PASOK, à travers laquelle on activera les institutions démocratiques bourgeoises contre les fascistes. Cette politique, outre qu’elle occulte complètement le fait que la politique de DIMAR et du PASOK est responsable de la montée de l’Aube Dorée. La collaboration avec les forces politiques qui favorisent les politiques anti-populaires des mémorandums dans un front commun de défense du parlementarisme aura comme résultat le renforcement de l’Aube Dorée.

Pour le KKE, la croissance du fascisme constitue une évolution naturelle de la crise économique qui sera arrêtée avec le développement du mouvement ouvrier (sous la direction de son syndicat, le PAME). Ce point de vue ignore complètement le fait que le développement d’un mouvement ouvrier capable de modifier le rapport de forces entre les classes a comme présupposé préalable et indispensable la capacité du mouvement ouvrier à attirer les secteurs individualisés de la classe ouvrière, de la jeunesse et des secteurs des masses petites-bourgeoises que les fascistes tentent aujourd’hui de contrôler. De cette manière, l’Aube Dorée tente d’apparaître comme l’expression de la radicalisation des masses petites-bourgeoises tout comme des secteurs individualisés de la classe ouvrière et de la jeunesse, en canalisant leur radicalisation contre le mouvement ouvrier et contre l’unité de la classe ouvrière.

Le développement du mouvement ouvrier dépend également de la capacité des secteurs organisés de la classe travailleuse à répondre au terrorisme exercé par les organisations fascistes afin, précisément, d’empêcher ce développement.

Presque tout l’ensemble des secteurs anti-système continue à croire que le traitement du fascisme se résume à des affrontements bien organisés de groupes antifascistes contre les bandes fascistes. Cette tactique, malgré tout le charme qu’elle pouvait avoir dans une période antérieure, ne peut constituer une stratégie pour aborder une organisation de masse fasciste, qui compte avec le soutien absolu de la police contre chaque attaque menée par les antifascistes. Cette pratique politique ne prend pas en compte les contradictions sociales et la nécessité de mobiliser des secteurs de masse face au fascisme.

La voie sans issue des tactiques de la gauche réformiste et des anti-système ne peut être surmontée qu’à partir de la tactique politique antifasciste proposée par la gauche anticapitaliste. A ce propos, le rôle que peut jouer Antarsya est décisif. Jusqu’à présent, notre organisation a sous-estimé la nécessité de former un front antifasciste en transférant essentiellement ce devoir à la lutte politique centrale de la classe ouvrière face à la classe dirigeante.

Le traitement jusqu’ici fragmentaire du problème par Antarsya a pris la forme de la mobilisation de ses militants pour l’organisation d’initiatives antifascistes dans les quartiers dans tout le pays, ou du soutien de certains secteurs d’Antarsya aux initiatives antifascistes du mouvement KEERFA (Unis contre le racisme et la menace fasciste). Ces deux formes d’actions antifasciste-antiraciste sont exceptionnellement importantes mais elle suffisent cependant pas pour la constitution d’une politique unitaire, appliquée par Antarsya dans son ensemble, afin d’affronter le fascisme.

En outre, la fragmentation de ces interventions n’aide pas à la formation d’une expérience collective des actions antifascistes menées à bien jusqu’ici. La coordination centrale d’Antarsya devra ouvrir un débat dans l’ensemble de l’organisation afin d’éclaircir la question et d’élaborer une tactique unitaire.

La traitement du fascisme requiert l’unité de toutes les forces du mouvement ouvrier et populaire et Antarsya devra jouer un rôle moteur dans cette direction, en faisant un appel ouvert à tout le spectre de la gauche (Syriza, KKE, organisations de la gauche anticapitaliste) et des secteurs anti-système, ainsi qu’aux syndicats et aux forces organisées du mouvement ouvrier, pour une tactique d’action commune dans les quartiers (création et soutien d’initiatives antifascistes) et de mobilisation antifascistes communes.

Antarsya devra élaborer les termes et les cadres nécessaires pour que l’action commune contre le fascisme puisse être un succès. Aucune tactique antifasciste ne peut être efficace si elle ne dénonce pas ces politiques et ces partis qui sont responsables de la misère des masses populaires et de la création des conditions pour le développement du fascisme. Il faut lier la lutte antifasciste avec la lutte contre la politique des gouvernements UE-FMI et vice-versa, c’est-à-dire affronter le fascisme en tant qu’instrument pour l’imposition d’une politique antipopulaire.

L’action antifasciste devra défendre les conquêtes démocratiques du mouvement ouvrier et même y compris utiliser les institutions et les mécanismes de l’Etat bourgeois. Mais elle ne devra aucunement être menée à bien au nom de la défense du système politique bourgeois, dont la décomposition crée également les conditions préalables à la croissance du fascisme. L’objectif de l’activité antifasciste doit être également de mener la lutte contre les mécanismes répressifs de l’Etat, et principalement de la police, qui constitue le pilier et le bouclier de défense de la politique et de l’action des capitalistes.

L’objectif de la tactique antifasciste doit être de mobiliser les masses ouvrières et populaires afin d’empêcher que les fascistes ne s’imposent par la violence dans les quartiers des villes et dans les zones rurales. C’est ainsi qu’on brisera l’image d’invincibilité et de puissance qui accompagne l’action des organisations fascistes. En conséquence, l’action antifasciste inclus l’affrontement dans la rue, mais un affrontement qui doit toujours avoir une forme et un caractère de masse afin de faire face à la violence fasciste.

Une exigence préalable pour un traitement efficace de l’action et de la propagande fasciste, mais aussi pour la constitution d’un large front ouvrier contre le fascisme, est la défense la plus ferme et déterminée des travailleurs immigrés, le soutien à leurs efforts d’auto-organisation et d’auto-défense et leur intégration au sein du mouvement ouvrier et antifasciste. Il est indispensable pour ce faire de défendre les droits des immigrés et les revendications (politiques, sociales, droit du travail) qu’ils mettent eux-mêmes en avant. Dans ce processus, l’implication active des syndicats dans la lutte antifasciste est fondamentale afin d’assurer une participation massive des secteurs organisés de la classe ouvrière, mais aussi pour qu’on mette un frein à l’objectif principal de la politique fasciste : la liquidation du mouvement ouvrier organisé.

Dans la lutte contre le fascisme, il est également crucial de poursuivre les efforts de mobilisation de la jeunesse étudiante et sans emploi, des secteurs où le fascisme trouve un terrain fertile, mais où se développent également les formes d’action antifasciste les plus combatives. Il est en outre nécessaire de mener un travail idéologique dans la société qui montre le rôle historique du fascisme, en maintenant vivantes les traditions antifascistes et révolutionnaires de la classe ouvrière en Grèce.

Antarsya devra élaborer proposer au mouvement social un cadre anticapitaliste d’action antifasciste dans lequel pourront se coordonner les revendications et les actions des initiatives antifascistes qui se créent dans tout le pays. L’action antifasciste devra finalement poser comme objectif non seulement l’expulsion des fascistes des quartiers dans les villes mais aussi la création, à partir des masses ouvrières et de la jeunesse, de structures d’auto-organisation et de solidarité de classe afin de contrecarrer les conditions qui favorisent le développement du fascisme.

La constitution de structures de solidarité est importante, non seulement du point de vue de l’altruisme, mais aussi de la création d’un réseau social qui englobe tous les secteurs sociaux exploités, et aussi les plus opprimés, qui les implique dans des pratiques communes et collectives et qui réponde aux phénomènes de l’individualisme et du cannibalisme social.

En conclusion, Antarsya doit discuter de manière organisé sa pratique politique antifasciste tant au niveau central que dans les comités sectoriaux et locaux afin de déterminer un plan d’action qui devra être appliqué de manière coordonnée et unitaire dans la prochaine période.

Source : http://antarsya.gr/node/969

Traduction française réalisée pour Avanti4.be à partir de la traduction espagnole réalisée par Tomás Martínez pour Izquierda Anticapitalista :

http://anticapitalistas.org/spip.php?article28109

Note du traducteur (T.M) : quelques jours avant de traduire ce texte, on a appris que l’Aube Dorée a remporté sa première victoire politique en obtenant que le gouvernement de Samaras exige la « pureté de la race » pour appartenir à l’armée et à la police…