Dossier Grande-Bretagne : Cela bouge à gauche !

Alan Thornett, François Coustal, Ken Loach 9 mai 2013

Depuis le début de l’année, les choses bougent dans la gauche britannique. Le cinéaste Ken Loach a lancé un appel à la création d’un nouveau parti large à la gauche du Parti Travailliste, appel qui a très rapidement recueilli l’appui de milliers de personnes. D’autre part, l’apparition de nouvelles organisations défendant la nécessité de transformer le fonctionnement et les perspectives de l’extrême-gauche ouvre la voie à des remises en question salutaires et à une recomposition sur des bases prometteuses. Dans le premier texte qui suit, François Coustal présente rapidement l’initiative de Ken Loach. Cette introduction est suivie par la traduction de l’appel tel qu’il a été publié dans le quotidien britannique The Guardian par Ken Loach, Kate Hudson, Gilbert Achcar. Enfin, Alan Thornett souligne la nouveauté et les promesses des nouvelles initiatives unitaires qui se développent actuellement dans la gauche et l’extrême-gauche britannique en les mettant en perspective avec les diverses tentatives qui ont eu lieu au cours des quinze dernières années. (Avanti4.be)

Ken Loach lance un appel pour un nouveau parti de gauche

François Coustal

The Spirit of ’45, le nouveau film de Ken Loach est un documentaire, à base d’images d’archives, qui relate la naissance de l’État providence au Royaume-Uni, à la fin de la guerre, sous le mandat du gouvernement travailliste de Clement Attlee. Cette période a été marquée par une vague de nationalisations sans précédent (et sans équivalent dans les pays occidentaux comparables) ainsi que par la création du NHS, le système national (public) de Santé, etc.

La sortie du film, le mois dernier, sur les écrans britanniques a été l’occasion d’une véritable tournée de réunions publiques : très vite, les discussions ont porté sur le bilan de l’État providence, les attaques actuelles qui visent à le démanteler, la dérive droitière du Parti travailliste. Et sur la nécessité d’un nouveau parti…

Il s’agit là d’une préoccupation qui, dans un premier temps, a été développée par Ken Loach lors de plusieurs interviews, dont celle donnée au site Open Democracy :

« Si les syndicats disent nous allons faire ce que nous avons fait il y a un siècle, nous allons fonder un parti pour représenter les intérêts du monde du travail et nous ne soutiendrons que les candidats qui défendent une politique de gauche, alors nous pourrons reprendre notre marche en avant. Mais nous avons besoin d’un nouveau parti et d’un nouveau mouvement (…) Lors de la dernière élection interne pour la direction du Parti travailliste, il n’y avait même pas de candidat représentant la gauche de ce parti. Car ce parti a subi les purges effectuées par Blair et sa bande. Les syndicats doivent couper les liens et recommencer avec tous ceux qui se situent à gauche, qui sont investis dans des campagnes militantes, en défense du NHS, pour le logement, les services sociaux. Avec tous ceux-là… »

Cet « appel » informel, repris par de nombreux sites – dont celui de Socialist Resistance, l’organisation britannique liée à la Quatrième Internationale - est rapidement devenu un véritable appel, une pétition qui a d’ores et déjà recueilli plus de 7 000 signatures. Ce phénomène a débouché sur la création d’un réseau – Left Unity - doté de groupes de base qui débattent de la création d’un nouveau parti.

La question d’un nouveau parti n’est d’ailleurs plus limitée aux discussions des cercles de la gauche révolutionnaire, où l’appel de Ken Loach ne va pas manquer de provoquer recompositions et réalignements. Elle s’est invitée dans le débat politique britannique, notamment grâce à la publication dans le Guardian d’une tribune signée par Ken Loach, Kate Hudson (secrétaire générale du CND, la campagne pour le désarmement nucléaire) et Gilbert Achcar (universitaire et essayiste) dont voici la traduction.

Source :
http://www.gauche-anticapitaliste.org/content/grande-bretagne-lappel-de-ken-loach

"Le parti travailliste nous a trahi. Nous avons besoin d’un nouveau parti de gauche"

Ken Loach, Kate Hudson, Gilbert Achcar

La Grande-Bretagne a besoin d’un parti qui rejette les politiques néolibérales et améliore la vie des gens ordinaires. Aidez-nous à le créer !

L’austérité précipite la catastrophe économique qui atteint l’Europe, tout récemment la population chypriote. Mais George Osborne [Ministre de l’Économie et des Finances du gouvernement Cameron - NdT] poursuit la même politique désastreuse. Le budget annoncé la semaine dernière n’est pas une surprise : Osborne a annoncé encore de nouvelles coupes budgétaires ainsi que l’extension du blocage des salaires dans le secteur public, ce qui signifie une baisse du pouvoir d’achat en termes réels. Il nous enfonce encore plus profond dans un gouffre économique, comme le montre la révision des prévisions de croissance fournies par le Bureau de la responsabilité budgétaire : un taux de croissance de 0,6% au lieu de 1,2% initialement prévu. Cela ressemble beaucoup à un nouveau déclin et non à la croissance promise ; et ce sont les gens ordinaires qui en paient le prix. La violence des attaques économiques du gouvernement ne connaît pas de limites. Aide aux handicapés, allocations chômage, impôts locaux, taxe sur les pièces inoccupées : autant de politiques punitives dirigées contre les membres les plus vulnérables de la société.

Si l’on jugeait en fonction de ses objectifs affichés, on pourrait facilement affirmer que la politique gouvernementale est inefficace : le déficit sera supérieur de 61,5 milliards de plus que prévu. Mais, bien sûr, la vérité est que, en réalité, les politiques d’austérité ont été conçues en vue du démantèlement de l’État providence, de la baisse des salaires et de la marchandisation complète de l’ensemble de l’économie, de la destruction de tous les acquis économiques et sociaux obtenus par les couches populaires depuis la Seconde Guerre mondiale. Du point de vue du gouvernement, ces politiques sont efficaces !

Au sein de la société, la compréhension de ce que veut réellement le gouvernement progresse et, en conséquence, l’opposition grandit et l’on discute maintenant d’alternatives en matière de politique économique. Rien que la semaine dernière, le Guardian a publié un appel de 60 économistes qui expliquent que le pire est à venir : il reste encore 80% des coupes budgétaires à réaliser…

Alors que ces politiques économiques alternatives sont en débat, politiquement vers où pouvons-nous nous tourner pour qu’elles soient reprises en tant que politique de parti ? Si nous voulons combattre pour une alternative, qui est de notre côté ? Dans le passé, beaucoup s’attendaient à ce que le Parti travailliste agisse pour nous et avec nous ; mais ce n’est plus le cas. L’allocation chômage ? La semaine dernière, le Parti travailliste s’est abstenu et maintenant le gouvernement peut en exclure un quart de million de demandeurs d’emploi. La taxe sur les pièces inoccupées ? Est-ce qu’un gouvernement travailliste l’abolirait ?

Nous avons besoin de politiques qui rejettent les coupes budgétaires des conservateurs, qui régénèrent l’économie et améliorent les vies des couches populaires. Nous n’obtiendrons rien de tout cela du Parti travailliste. Cela ne fait aucun doute : par le passé, certaines réalisations travaillistes ont été remarquables, comme l’État providence, le service de Santé publique, une économie redistributive qui a rendu possibles des niveaux inégalés dans l’Éducation et la Santé. Mais ces réalisations appartiennent maintenant au passé. Aujourd’hui, le Parti travailliste s’est converti aux coupes budgétaires et aux privatisations. Il démantèle lui-même sa grande œuvre passée. Le Parti travailliste nous a trahi. Rien ne le montre plus clairement que « L’esprit de 45 ».

Le Parti travailliste britannique n’est pas isolé dans son glissement à droite et sa conversion aux politiques économiques néolibérales. Ses partis frères en Europe ont suivi le même chemin depuis deux décennies. Mais, ailleurs en Europe, des nouveaux partis ou de nouvelles coalitions – comme Syriza en Grèce ou Die Linke en Allemagne – ont commencé à occuper l’espace laissé vacant et à offrir une alternative politique, une vision économique et sociale. Il faut en finir avec l’anomalie qui laisse la Grande-Bretagne sans alternative politique de gauche pour défendre l’État providence, l’investissement créateur d’emplois, le logement et l’éducation, la transformation de l’économie.

C’est pour cette raison que nous appelons les gens à se joindre au débat pour la fondation d’un nouveau parti de gauche. La classe ouvrière ne peut rester sans représentation politique, sans défense alors même que toutes ses victoires et tous ses acquis sont en train d’être détruits.

Texte paru dans le Guardian le 25 mars 2013.
Traduction : François Coustal.
Source :
http://www.gauche-anticapitaliste.org/content/grande-bretagne-lappel-de-ken-loach

De nouvelles possibilités de recomposition à gauche

Alan Thornett

Sous l’impact de l’austérité, la politique en Grande-Bretagne est entrée dans la tourmente. Les deux partis de la coalition gouvernementale de droite au pouvoir (les Conservateurs et les Libéraux-Démocrates) viennent de connaître une lourde défaite au cours des élections locales qui se sont tenues en Angleterre la semaine dernière, au profit de l’UKIP (Parti pour l’Indépendance du Royaume-Uni), un parti de droite populiste et anti-immigration qui a réussi ces derniers mois à pousser tous les autres partis vers la droite. Les résultats du Parti Travailliste sont en progrès, mais celui-ci est limité, tant numériquement que politiquement, puisque la réponse de ce parti à l’austérité est sa propre version de l’austérité et qu’il a flatté les sentiments anti-immigrés au cours de la campagne.

La gauche n’était nulle part dans ces élections - il n’y avait rien qui permette de regrouper la gauche de la manière dont l’UKIP a rallié la droite radicale - ce qui montre à nouveau le besoin crucial d’un parti large de gauche qui puisse commencer à faire ce que Syriza a fait en Grèce : présenter une plate-forme anti-austérité claire à laquelle la classe travailleuse puisse se référer.

Syriza a démontré qu’une coalition de forces organisées démocratiquement au sein d’un seul parti peut gagner un soutien de masse et briser l’emprise des principaux partis de l’establishment, y compris la social-démocratie. Des partis similaires ont été construits dans un certain nombre de pays européens.

Quinze années d’essais... et d’échecs

Il y a quelques mois à peine, les perspectives pour la formation d’un tel parti en Angleterre semblaient extrêmement sombres. Socialist Resistance [la section britannique de la Quatrième Internationale, à laquelle appartient l’auteur de cet article - NdT] a sans cesse plaidé en faveur d’un tel parti, auprès de tous ceux à gauche qui voulaient bien l’écouter parce que nous étions fermement convaincus de la nécessité d’un tel parti. Nous avons publié un livre, organisé des forums et des séminaires sur la question et discuté avec d’autres organisations de gauche. Cela a été dur, mais l’espace pour un tel parti était toujours là et, en fait, il a même augmenté au fil des années.

Cependant, cette triste situation [de dispersion et de concurrence - NdT], c’est la gauche elle-même qui se l’est entièrement infligée. Des occasions importantes de construire un tel parti ont été gaspillées par le sectarisme au cours des 15 dernières années. Cela a produit une série de scissions dommageables qui ont sérieusement miné la crédibilité d’un tel projet.

Le facteur clé dans chacun de ces cas a été la démocratie interne - ou plutôt l’absence ou les violations de celle-ci. Chaque fois, tout a tourné autour du fait de savoir si ces nouvelles formations pourraient s’assurer un processus de décision propre qui soit indépendant des principales organisations d’extrême-gauche participantes ou de la personnalité principale à la tête de l’initiative et si ces nouvelles formations pourraient avoir leur propre vie politique interne et leur propre développement politique.

Le Socialist Labour Party (SLP) - qui a été lancé par Arthur Scargill [le dirigeant de la longue grève des mineurs en 1984-85, NdT] après que Tony Blair ait pris le contrôle du Parti travailliste en 1994 - s’est finalement déchiré à cause du fonctionnement hyper-personnalisé et strictement du haut vers le bas sur lequel Scargill a toujours insisté et du refus de celui-ci de permettre la moindre pluralité au sein du SLP.

La Socialist Alliance (SA), qui a été lancée en 2000, a réuni un moment la quasi-totalité de l’extrême-gauche, y compris le Socialist Workers Party (SWP) et le Socialist Party (SP), [les deux principales organisations de la gauche révolutionnaire britannique, représentant chacune une tendance du trotskisme britannique et international - NdT] à côté de forces significatives venant de la gauche du Parti Travailliste. La SA a éclaté lorsque le SP en est sorti parce qu’il s’opposait à l’application du principe "Un membre, une voix" lors des conférences de la Socialist Alliance.

Respect a été lancé en 2004 après que le député George Galloway ait été exclu du Parti Travailliste pour son opposition à la guerre en Irak et ce qui restait de la Socialist Alliance s’est dissous dans cette nouvelle coalition. Respect a eu un impact plus large, en particulier parmi les musulmans qui se sont politiquement radicalisés contre la guerre. Cette coalition a été en mesure de faire élire Galloway au Parlement (le premier député à gauche du Parti Travailliste à être élu depuis les années 1940 !) et des groupes importants de conseillers communaux, principalement dans l’Est de Londres et à Birmingham. Cependant, Respect s’est finalement divisé (entre le SWP et presque tous les autres) lorsque le SWP a refusé de relâcher son emprise sur le fonctionnement de l’organisation.

Respect Renewal (Respect - le Renouveau) a été formé après que le SWP ait fait scission. Il a également été finalement détruit quand Galloway a imposé son contrôle personnel de haut en bas de l’organisation et l’a transformé en un groupe de soutien à sa personne - même après avoir remporté de façon spectaculaire l’élection parlementaire partielle de Bradford West en mars l’an dernier, ce qui avait ouvert de nouvelles possibilités pour un parti large.

L’extrême-gauche, de l’ouverture au repli

Les perspectives pour une unité de l’extrême-gauche semblaient tout aussi sombres il y a quelques mois seulement. L’extrême-gauche avait été dominée pendant de nombreuses années par deux grandes organisations (à l’échelle de l’extrême-gauche), le SWP et le SP, auxquels s’ajoutaient de petits groupes largement marginalisés, y compris le nôtre (dans ses avatars antérieurs et actuel).

Le SP avait brisé le moule et s’était tourné vers l’extérieur quand il avait fait la promotion d’Alliances Socialistes au niveau local au début des années ’90. Le SWP (légèrement plus grand que son rival) s’était lui aussi tourné vers l’extérieur pour rejoindre la SA en 2000, rompant ainsi tout aussi brutalement avec son isolationnisme passé. Cela n’a cependant pas duré longtemps, dans les deux cas. Le SWP a de plus en plus agi dans son propre intérêt et après avoir divisé et quitté Respect, il est retourné à une position isolationniste.

Quand la lutte contre les coupes [dans les budgets des services publics, en particulier sociaux - NdT] a commencé en 2010, ces divisions historiques au sein de l’extrême-gauche se sont reproduites d’une manière destructrice dans le mouvement large. Au lieu d’un seule formation nationale, nous nous sommes retrouvés avec trois campagnes contre les coupes : le National Shop Stewards Network (NSSN - Réseau national des Délégués syndicaux) dirigé par le SP, Unite the Resistance (UtR - Unir la Résistance) dirigée par le SWP et la Coalition of Résistance, qui a été créé sur une base plus large et plus ouverte par le groupe Counterfire, une scission du SWP. (...)

Vers un nouveau parti large à gauche ?

Des développements récents ont toutefois considérablement ouvert la situation à gauche - tant au niveau de la construction d’un parti large à la gauche du Parti Travailliste qu’au niveau de l’unité de l’extrême-gauche.

Le fait le plus spectaculaire a été un appel en faveur d’un nouveau parti large de la gauche lancé par Ken Loach à l’occasion de la sortie de son nouveau film "The Spirit of 45" - qui est une défense brillante des idées socialistes et collectivistes, en particulier de la propriété publique et des services publics.

Le film a été lancé un soir à la mi-mars simultanément dans 50 salles de cinéma (dont beaucoup entièrement remplies) et la projection a été suivie par une séance de questions et réponses dans un cinéma, relayée dans la plupart des autres. Au cours de celle-ci, Ken Loach a lancé un appel pour un nouveau parti de gauche. Son appel a été ensuite repris par le site Left Unity , qui avait été créé peu avant pour plaider en faveur d’un nouveau parti et dans lequel nous sommes impliqués depuis le début.

En quelques jours, 6.000 personnes ont signé cet appel. Depuis lors, le projet a évolué à un rythme remarquable. Il y a maintenant plus de 90 groupes locaux qui en sont à des stades différents d’avancement. Un comité d’organisation a été mis en place lors d’une réunion qui s’est tenue à Londres pour administrer ces développements et soutenir les groupes locaux. La première rencontre nationale des représentants des groupes locaux va se dérouler le 11 mai afin de convenir des prochaines étapes à suivre. Les premières réflexions quant à la date pour une conférence de lancement d’un nouveau parti semblent se diriger vers février ou mars de l’an prochain.

La création d’un nouveau parti large ne sera pas chose facile, étant donné la propension de la gauche en Angleterre à gaspiller de telles occasions et l’héritage laissé par les précédents échecs - en particulier les actions des grandes organisations d’extrême-gauche. Mais le besoin pressant est toujours là et c’est la meilleure chance qui s’offre à nous depuis une longue période.

Il semble y avoir un consensus général sur l’idée que cette nouvelle formation devrait être un parti anti-austérité, à la gauche du Parti Travailliste, large, pluraliste et qui ne soit pas dominé de manière non démocratique par une organisation d’extrême-gauche. En outre, ce parti devrait être fondé sur des adhésions individuelles, et non pas être une fédération d’organisations.

La stratégie électorale n’a pas encore été discutée mais il est clair que l’approche de la Trade Union and Socialist Coalition - qui consiste à parachuter des candidats dans des circonscriptions sans avoir de travail militant de terrain au préalable et sans rien faire entre les élections - sera rejetée [la TUSC est la dernière tentative unitaire en date, lancée en 2011 par le SP et le RMT, une centrale syndicale des Transports publics, et rejointe ensuite par le SWP - NdT]

Ni le SWP ni le SP ne sont impliqués - à part quelques personnes au niveau local. Il n’y a pas non plus un grand leader charismatique. Ken Loach continuera très certainement à soutenir le projet, mais le rôle de « grand dirigeant » est un anathème pour lui. Il n’y a pas de personnalités du calibre de George Galloway ou de Tommy Sheridan [principale personnalité publique du Scottish Socialist Party , une initiative d’unité de gauche en Ecosse, qui a connu un succès important au milieu des années 2000 avant d’exploser suite aux difficultés créées par le comportement de Sheridan face à des révélations de la presse à scandales sur sa vie privée - NdT]. Cette absence de personnalités de premier plan peut être un inconvénient quand il s’agit des élections, mais cela a aussi un côté positif, étant donné les ravages que ces personnages ont provoqués dans un passé récent.

Cela signifie que le parti lui-même devra établir sa propre réputation par son travail et les résultats qu’il obtiendra.

Vers un regroupement à l’extrême gauche ?

La première évolution positive en ce qui concerne l’unité de l’extrême-gauche a commencé avec la naissance de l’ Anticapitalist Initiative (ACI) en avril de l’an dernier, à l’initiative de jeunes militants ayant rompu avec le petit groupe trotskiste Workers Power, d’une autre scission antérieure de ce même groupe et de gens issus de milieux autonomes et alternatifs. A la fin de l’an dernier, l’ACI a lancé un appel en faveur d’un type plus ouvert et plus démocratique d’organisation d’extrême-gauche. Deux des têtes pensantes de l’ACI, Luke Cooper et Simon Hardy, ont publié un livre intitulé "Au-delà du capitalisme ? L’avenir de la politique radicale" pour défendre cette approche.

Ce livre marquait une rupture claire avec un passé sectaire et nous nous sommes engagés aussi fortement que nous l’avons pu pour tenir des discussions et des réunions publiques avec l’ACI à Londres, à Manchester et dans d’autres endroits où nos deux groupes sont présents ensemble. Nous avons travaillé avec eux dès les premiers pas de Left Unity, avant même l’initiative de Ken Loach, et nous avons continué à travailler avec eux dans ce cadre depuis lors.

La seconde évolution s’est produite lorsque la crise dans le SWP (ou une nouvelle étape de celle-ci) a éclaté au grand jour en janvier de cette année lors du congrès annuel de ce parti. Une énorme controverse - dont les grandes lignes sont maintenant bien connues - s’est développée à propos de la manière dont ont été traitées (ou non traitées) les accusations de harcèlement sexuel envers un dirigeant de premier plan du parti.

Certains membres du SWP avaient déjà été expulsés avant ce congrès sous l’accusation d’avoir voulu former une fraction. Peu de temps après la conférence, un groupe d’environ 200 membres du SWP a démissionné de l’organisation en désaccord avec la manière dont la direction du parti a défendu son action sur cette question et avec les méthodes politiques qu’elle a utilisées pour le faire. Ils ont formé l’ International Socialist Network (ISN - Réseau Socialiste International) qui a tenu sa première réunion au niveau national le 13 Avril en invitant tant SR que l’ACI à assister à titre d’observateurs et à présenter leur point de vue.

Quelle que soit la manière dont on peut analyser le déclin du SWP, qui a longtemps été une force majeure à gauche, cette crise a considérablement bouleversé le paysage de l’extrême-gauche et a ouvert un nouvel espace de recomposition au sein de celle-ci. En fait, il était clair dès le départ que ce nouveau groupe avait une approche très différente - et même spectaculairement différente - de ceux qui ont quitté le SWP au cours des dernières années. Il régnait dans la réunion de constitution de l’ISN une atmosphère de recherche en commun remarquablement non-sectaire et ouverte vers l’extérieur.

L’approche privilégiée lors de cette réunion a été d’aller vers un modèle d’organisation d’extrême-gauche beaucoup plus ouvert et démocratique. Ils ont certes décidé de créer une nouvelle organisation/coordination, mais avec un objectif de regroupement de l’extrême-gauche, et les organisations qu’ils ont mentionnées à cet égard étaient SR et l’ACI. Plusieurs orateurs ont déclaré que si, dans un an, ce regroupement ne s’est pas réalisé, cela voudra dire qu’ils auront échoué dans leur projet.

Les participants à la réunion ont aussi manifesté un fort soutien à l’initiative de Ken Loach, qui a été considérée par la plupart des orateurs comme un développement distinct, mais tout aussi important.

Une réunion des femmes s’est tenue séparément pour discuter ; elles ont ensuite présenté un rapport de celles-ci devant l’assemblée et présenté des propositions statutaires relatives à la protection des femmes et à la manière de traiter cette question d’une façon très différente du SWP.

Un groupe de pilotage comprenant 50% de femmes a été élu. Une des tâches confiées à ce groupe de pilotage a été d’organiser dans l’année qui vient une "fête politique" [réunissant débats politiques, ateliers de formation, activités cultuelles,... dans le style de ce que le SWP organise chaque été sous le nom de "Marxism" - NdT] et d’approcher SR et l’ACI pour l’organiser ensemble.

Selon eux, la crise du SWP continue toujours et ils s’attendent à ce que de nouveaux groupes quittent ce parti dans des conditions similaires aux leurs. Et, de fait, il y a quelques jours, la plus grande section locale des étudiants du SWP [celle de Manchester] vient également de démissionner et elle appelle de ses voeux, elle aussi, un nouveau type de politique à l’extrême-gauche, sortant du moule de la tradition SWP.

Quand j’ai présenté les salutations de SR à cette réunion de constitution de l’ISN, j’ai accueilli très chaleureusement leur approche et j’ai déclaré qu’en ce qui nous concerne, nous ne voyions pas pourquoi les trois organisations - l’ISN, l’ACI et nous - devraient continuer comme des organisations distinctes et que nous étions en faveur de les réunir, à court ou moyen terme, en une seule organisation.

Heureuse coïncidence, notre propre congrès de Socialist Resistance a eu lieu le week-end suivant, les 20 et 21 Avril. Nous avons placé ces nouveaux développements - l’initiative de Ken Loach et les possibilités de regroupement à l’extrême-gauche - au centre du congrès et adopté des résolutions en faveur d’une pleine participation aux deux.

Les camarades ont évoqué la possibilité, si les choses se déroulent bien des deux côtés (le parti large et le regroupement d’extrême-gauche) qu’une nouvelle organisation recomposée d’extrême-gauche puisse travailler d’une manière organisée dans un nouveau parti large pour s’attaquer à la question de la représentation de la classe travailleuse.

Tant l’ACI que l’ISN ont assisté à notre Congrès et y ont adressé leurs salutations. Ils ont été très positifs vis-à-vis de la perspective d’un regroupement de nos trois forces. Par ailleurs, Kate Hudson, l’une des organisatrices de Left Unity, a apporté les salutations de cette initiative et s’est félicitée de la participation de SR à celle-ci.

En ce qui concerne l’unité à l’extrême-gauche, le sentiment du Congrès a été résumé par un camarade qui a dit que si nous existions encore au terme de l’année qui vient, cela voudra dire que nous aurons échoué.

Depuis notre Congrès, les choses ont continué à progresser avec la proposition de tenir une première réunion pour discuter du regroupement le 12 mai - c’est-à-dire au lendemain de la première réunion nationale de Left Unity.

Tout ceci reflète un changement profond au sein de l’extrême gauche en Angleterre, dont l’ampleur n’est pas encore claire. Ce qui est clair, par contre, c’est qu’à la même époque l’an prochain, les choses pourraient se présenter de manière très différente à l’extrême-gauche.

Rien de tout cela ne va être facile, en particulier la création d’un nouveau parti large après l’impact négatif laissé par les diverses tentatives au cours de l’histoire récente. Socialist Resistance est cependant pleinement engagée dans les deux projets et nous ferons tout notre possible pour les conduire à une conclusion réussie.

Publié le 4 mai 2013 sur www.internationalviewpoint.org/
Traduction française pour avanti4.be : Jean Peltier