Venezuela : Elections sous haute tension

Carlos Miranda, Pablo Velasco 3 octobre 2012

Les élections présidentielles du 7 octobre au Venezuela verront certainement la victoire d’Hugo Chavez (actualisation : Chavez a obtenu 54% contre 44% pour son principal opposant), qui brigue ainsi son troisième mandat consécutif. Mais les contradictions et les déformations bureaucratiques du processus populaire bolivarien ont entraîné une division au sein de la gauche révolutionnaire. Si les constats convergent sur l’essentiel, les conclusions politiques, elles, divergent. Ainsi, certains courants marxistes révolutionnaires comme Marea Socialista ont appelé à voter pour Chavez, tout en soulignant la nécessité de combattre la bureaucratie et les dérives autoritaires dans le camp chaviste. D’autres, par contre, ont soutenus la candidature indépendante d’Orlando Chirino, un dirigeant syndical de longue date. Nous publions ci dessous des points de vue défendant ces deux options. (Avanti4.be)

Venezuela : 7 Octobre, Chavez président – 8 Octobre, débarasser la révolution de ses bureaucrates !

Carlos Miranda

Le président Chavez brigue un troisième mandat consécutif face à Capriles Radonski, le candidat unique de l’opposition rassemblée au sein de la MUD - la Table d’Unité Démocratique – et qui avait personnellement participé au coup d’Etat d’avril 2002.

Tous les sondages donnent Chavez vainqueur, mais les dernières enquêtes commencent à indiquer que la distance qui les sépare se réduit significativement. Après un début de campagne triomphaliste, les dirigeants du PSUV (Parti Socialiste Uni du Venezuela, le parti de Chavez, NdT) appellent la population à creuser l’écart d’une victoire qu’ils disent certaine pour Chavez.

La relance des Missions Sociales

La campagne de Chavez repose sur trois mesures fondamentales prises depuis un an et demi : le lancement de deux grandes Missions Sociales et la réforme de la Loi Organique du Travail, une promesse qui restait encore à accomplir depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement bolivarien il y a 14 ans.

La Grande Mission Logement, lancée il y a un et demi, a permis de construire plus de 200.000 logements décents dans tout le pays sur un objectif total de 2 millions pour la prochaine période gouvernementale. Quant à la Mission “Amor Mayor” ( “mayor” désigne les personnes âgées mais signifie aussi “plus grand”, NdT), elle a permi d’offrir une retraite digne à près d’un million de personnes qui n’avaient aucune couverture sociale. Enfin, en avril dernier fut approuvée la Loi Organique du Travail qui comprend une série de mesures sur le terrain social, comme par exemple la garantie de l’emploi, un congé parental de 6 mois pour la mère et de 2 mois pour le père, la fin de la sous-traitance et la réduction de la période d’essai de trois à un mois pour les nouveaux travailleurs engagés. Autant de mesures qui sont, parmi d’autres, vues comme très progressistes par les travailleurs.

C’est dans un tel cadre que l’opposition affirme dans son discours de campagne qu’elle maintiendra les conquêtes sociales du chavisme, tout en soulignant le Talon d’Achilles du gouvernement : les abus de pouvoir et l’inéfficacité de l’administration, ainsi que l’abandon dont souffre une partie de la population.

La bureaucratie étatique est le cancer du processus révolutionnaire

En quatorze années de gouvernement chaviste, grâce aux prix élevés du pétrole, on a pu observer d’importantes améliorations dans le niveau de vie de la population. Cependant, ces avancées restent insuffisantes.

A cause du refus de rompre avec la logique du capital, c’est la bourgeoisie locale et les multinationales qui ont été les principaux bénéficiaires de la rente pétrolière. Cette bourgeoisie, associée à un nouveau secteur patronal dépendant des contrats de l’Etat et connue sous le nom de “boli-bourgeoisie” (bourgeoisie bolivarienne), travaille main dans la main avec la bureaucratie du gouvernement. Ministres, fonctionnaires et dirigeants du PSUV jouissent d’énormes et obscènes privilèges matériels. Ils agissent comme le versant étatique de la logique du capital, sur base d’un modèle d’économie mixte. Pendant ce temps, une série de questions importantes pour les travailleurs ne sont toujours pas résolues. Cela fait sept ans, par exemple, que l’on repousse la discussion sur le contrat collectif des travailleurs du secteur public et celui des travailleurs de la santé.

Aux privilèges s’ajoutent les abus de pouvoir envers le peuple bolivarien, la persécution à l’égard de dirigeants syndicaux et de syndicats indépendants, l’impunité pour des cas de “sicariat” (tueurs à gages patronaux, NdT), les cas de favoritisme dans les Missions, les promesses non tenues par rapport aux améliorations sociales, etc. Et, parmi bien d’autres choses, une inefficacité qui occulte des pratiques de corruption dans la gestion des entreprises publiques, entraînant leur crise ou leur quasi paralysie.

Telle est la base de la fatigue, de la désillusion et des très dures critiques exprimées par un secteur de la population qui fait partie des moteurs du processus révolutionnaire et de la base sociale du chavisme. L’amour exprimé par le peuple bolivarien envers Chavez est aujourd’hui terni par les agissements d’une bureaucratie protégée par le président lui-même.

Un phénomène nouveau est en train de prendre corps

Le processus social le plus dynamique dans le pays est constitué par la rupture qui est en train de se développer entre des secteurs de l’avant garde de la classe ouvrière et du mouvement populaire avec la bureaucratie. Sans cesser de défendre Chavez, il est un fait que leurs critiques à l’égard du PSUV ne cessent de croître et que ce dernier a cessé d’être le parti des combattants du processus.

Intimement associés à la bureaucratie d’Etat, les principaux dirigeants du PSUV sont, en même temps, gouverneurs, maires ou députés. Le parti a perdu son élan initial et s’est vidé de ses militants de base.

Simultannément à ce processus au sein de l’avant garde chaviste, on assiste au début d’un processus de rénovation syndicale et de renouvellement parmi les dirigeants intermédiaires des mouvements populaires et communautaires. Les critiques se font de plus en plus fortes à l’égard des méthodes antidémocratiques des dirigeants syndicaux traditionnels du chavisme et on observe de plus en plus de conflits directs entre les pratiques démocratiques de la base ouvrière et la bureaucratie. Ces derniers mois, la conquête de la majorité du syndicat de SIDOR (entreprise sidérurgique nationalisée, NdT) par l’Alliance Syndicale, de même que la conquête du syndicat de Chrysler par une équipe syndicale animée par des militants de Marea Socialista démontrent que la disposition au changement se renforce. Ces dirigeants sont même capables de remettre Chavez lui-même à sa place comme on l’a vu lors d’une activité électorale à Sidor où, devant les médias nationaux, José Meléndez, dirigeant de l’Aliance Syndicale et de Marea Socialista, a exigé du président le respect d’anciennes promesses.

La campagne de Marea Socialista

En tant que courant critique au sein du PSUV, Marea Socialista mène depuis plusieurs mois une importante campagne électorale au contenu distinct de la campagne officielle du gouvernement, du Parti et du Grand Pôle Patriotique (coalition des partis soutenant Chavez, NdT). Cette campagne s’appuie principalement sur le critique de la bureaucratie d’Etat et mobilise des travailleurs, des jeunes, des membres des communautés. Elle a mis en avant le mot d’ordre : “Le 7 octobre : Chavez président – Le 8 octobre : débarassons la révolution de ses bureaucrates !”

En diffusant des centaines de milliers de tracts et en collant des dizaines de milliers d’affiches avec ce slogan, cette campagne a rencontré un écho parmi les secteurs critiques vis à vis du PSUV et du gouvernement. On peut mesurer son ampleur par la croissance des forces militantes de ce courant. Des travailleurs de différents secteurs, des membres de communautés, des participants aux Missions Sociales et des jeunes étudiants soutiennent cette campagne de dénonciation de la bureaucratie du parti et de l’Etat.

Le peuple bolivarien est confronté à de nombreux problèmes et bien qu’il ne souhaite pas revenir au passé représenté par Capriles Radonski, il votera à nouveau pour Chavez tout en rejetant ouvertement la paresse, les abus de pouvoir et les privilèges obscènes de la bureaucratie du parti et de l’Etat. Sitôt les élections finies, avec la victoire de Chavez, la lutte contre la bureaucratie s’ouvrira pleinement et elle sera la principale exigence du peuple bolivarien envers son président. La nécessité de construire une alternative démocratique et conséquement révolutionnaire est plus que jamais d’actualité dans le pays.

Soutenir la gauche indépendante au Venezuela

Pablo Velasco

Les élections vénézuéliennes du 7 octobre représentent un tournant important pour le mouvement chaviste au niveau national ainsi que pour la gauche internationale.
Hugo Chavez doit affronter non seulement la renaissance d’une opposition de droite, avec la candidature de Henrique Capriles, mais également une concurrence socialiste incarnée par Orlando Chirino. Bien qu’il ait été affaibli par sont traitement contre le cancer, Chavez est crédité de plus de 40% des intentions de votes selon les sondages les plus fiables et est encore très en avance sur Capriles. Mais c’est autour de Chirino que les forces authentiques de la classe ouvrière pourraient se rassembler.

Les forces traditionnelles de la droite se sont unies autour de Henrique Capriles, du parti « Justice D’abord », parti de centre-droit qui fait partie de la Table d’Unité Démocratique (Mesa de la Unidad Democrática, MUD). Capriles représente la fraction bourgeoise qui s’est opposée à la montée au pouvoir de Chavez en 1998 et qui était à la tête de l’Etat depuis 40 ans. Ces forces ont tenté de destituer Chavez par un coup d’Etat en 2002 et par un lock-out patronal en 2002-2003. Elles ont boycotté le processus politique pendant plusieurs années tandis que Chavez consolidait son pouvoir.

Capriles et toute la bourgeoisie vénézuélienne campent sur un programme politique néolibéral avec une orientation pro-Etats- Unis. Capriles soutient la privatisation des entreprises de propriété publiques et des services sociaux. Lui et d’autres gouverneurs d’Etats régionaux ont réprimé les combats des travailleurs. Il n’y a absolument aucune bonne raison pour que les travailleurs vénézuéliens soutiennent Capriles.

Hugo Chávez représente le Parti Socialiste Uni du Venezuela (PSUV), qui fait partie de la coalition Grand Pôle Patriotique (GPP).

Chavez s’emporte contre le capitalisme et prétend être en train de construire le socialisme, mais la plus grande partie de l’économie reste dans les mains d’intérêts privés, tandis que le secteur public s’engage dans des joint ventures avec le capital multinational. Après une décennie avec Chavez au pouvoir, la bourgeoisie vénézuélienne conserve ses propriétés, ses affaires et ses profits.

Chavez dénonce avec emphase « l’Impérialisme états-unien », mais passe des accords avec des compagnies pétrolières multinationales et avec des régimes dictatoriaux, impérialistes ou soumis à l’impérialisme. Le gouvernement vénézuélien a des accords avec Chevron, Mitsubishi, Total, Repsol, Petrobras, et d’autres compagnies norvégiennes, russes et chinoises. Il est en relation avec la multinationale suisse Glencore et avec des multinationales chinoises dans le secteur de l’acier et de l’aluminium.

Le gouvernement Chavez se définit lui-même comme étant de gauche mais refuse de soutenir les révolutions arabes contre les dictatures. Chavez a défendu des dictateurs meurtriers comme Khadafi en Lybie et Bashar Al Assad en Syrie, en les décrivant comme des gouvernements anti-impérialistes. Il a été jusqu’à affirmer aux travailleurs iraniens de l’automobile qu’Ahmadinejad était leur ami, tout en couvrant différents despotes un peu partout dans le monde.

Chavez se présente comme un ami des travailleurs vénézuéliens, mais le syndicat indépendant Union Nacional de Trabajadores (UNT) est actuellement au point mort parce que ses partisans ont tout fait pour le subordonner au gouvernement.

Chavez a mis en place une nouvelle loi du travail en mai dernier, qui réduit le temps de travail à 40 heures/semaines (au lieu de 44), il a interdit la sous-traitance pour les travaux en cours et a augmenté la durée du congé de maternité. Cependant, son gouvernement ne respecte par les accords collectifs passés avec les travailleurs syndiqués et ignore souvent le droit de grève. Il ne respecte pas l’autonomie des syndicats et criminalise les manifestations en accusant les secteurs de travailleurs en grève d’être « contre-révolutionnaires ». Ruben Gonzalez, secrétaire général du Syndicat des Métallos de l’entreprise Sintraferrominera a passé plus d’un an en prison pour avoir mené un grève.

Chavez a également menacé d’utiliser la Garde Nationale contre les travailleurs de Mitsubishi. Il a soutenu la démission de presque tous les syndicalistes lors de ce combat. Il a soutenu la répression contre les travailleurs des secteurs miniers et pétroliers travaillant pour les intérêts des consortiums russes et chinois.

Bien que le gouvernement de Chavez ait dépensé beaucoup d’argent pour des programmes de développement social, il a aussi mis en œuvre des mesures d’austérité très dures depuis 2008, en ce compris l’augmentation de la TVA d’un tiers et le gel des accords collectifs avec les travailleurs du secteur public et des secteurs de l’aluminium et de l’acier.

Orlando Chirino, candidat du Partido Socialismo y Libertad (PSL, Parti du socialisme et de la liberté), a une longue histoire de soutien à l’indépendance politique de la classe ouvrière.

Il a dirigé le courant syndical de base CCURA (Corriente Clasista, Unitaria, Revolucionaria, Autónoma) déjà avant l’arrivée de Chavez au pouvoir. Lors de la fondation du l’UNT, il a soutenu l’autonomie des syndicats face aux tentatives bonapartistes pour les contrôler.

Chirino s’est opposé aux changements constitutionnels de Chavez, y compris la possibilité de briguer indéfiniment des mandats. En représailles, il a été illégalement licencié de la compagnie nationale pétrolière PDVSA. Il s’est exprimé contre les mesures d’austérité du gouvernement vénézuélien, avec le slogan : « Faisons payer la crise aux capitalistes, pas aux travailleurs ».

Chirino a soutenu les printemps arabes et dénoncé les massacres perpétrés par Assad en Syrie. Voter pour Chirino et soutenir sa campagne permettront de renforcer la construction d’un mouvement des travailleurs politiquement indépendant ainsi que d’une gauche socialiste révolutionnaire.

Les chavistes accusent Chirino de créer la division et de servir Capriles et ils agitent la menace du danger d’un retour de la droite au pouvoir. Mais c’est la faute de Chavez si la vieille droite revient, après avoir fait aux travailleurs vénézuéliens des promesses sans lendemain pendant 13 ans.

Orlando Chirino est appuyé par des petits groupes socialistes au Venezuela, ainsi que par une frange importante de syndicalistes et de militants dans toute l’Amérique latine. C’est un candidat sérieux et crédible pour représenter politiquement la classe ouvrière et il mérite la solidarité et le soutien des marxistes partout dans le monde.

Source : www.workersliberty.org/story/.../support-independent-left-venezuela
Traductions françaises pour Avanti4.be : Syvia Nerina et Ataulfo Riera