Ukraine : contre le fascisme, quel que soit son drapeau

David Karvala 16 août 2014

Dans cet article, je ne vais pas essayer de faire une analyse globale de la situation en Ukraine, mais seulement de souligner certaines questions importantes pour le mouvement unitaire contre le fascisme.

L’un des nombreux aspects préoccupants du conflit en Ukraine est le fait que les fascistes en tirent profit pour se renforcer. La gauche constate très clairement une partie de cette menace, mais l’autre n’est absolument pas reconnue et il règne à ce propos une grande confusion.

La montée des nazis à Kiev

A ses débuts, au sein des protestations de l’Euromaidan, on pu voir comment les milices nazies du Pravy Sektor (Secteur Droit), initialement une infime minorité, ont joué un rôle sans cesse plus important. La vérité est qu’ils y sont parvenus grâce à leur disposition à faire face aux attaques brutales des forces de sécurité du gouvernement de Yanukovich, responsables de la mort de dizaines de manifestants et de centaines d’autres blessés.

Avec la chute de Yanukovich est arrivé au pouvoir un gouvernement pro-occidental, formé par trois partis dont l’un d’eux est le parti d’extrême droite « respectable » Svoboda. Il est honteux que l’Union européen n’ait eu aucun problème à l’heure de reconnaître comme interlocuteur valable ce gouvernement comprenant des fascistes. Pendant ce temps, certains groupes de l’extrême droite occidentale ont exprimé leur soutien à Euromaidan et, surtout, aux fascistes ukrainiens. Cela fait plusieurs années que les partis fascistes les plus connus entretiennent des rapports avec Svoboda.

Dans la situation actuelle de conflit ouvert dans l’est de l’Ukraine, un secteur important de la gauche européenne – dans les partis communistes et dans l’antifascisme classique – n’a pas hésité à qualifier ce conflit comme une lutte entre le fascisme et l’antifascisme. La réalité est bien plus complexe. Il est vrai que des fascistes ukrainiens ont réalisé des actes barbares, comme la brutale attaque d’un siège syndical à Odessa. Mais de même que le mouvement Euromaidan, le camp « pro-russe » comprend des éléments très divers, allant de simples gens réellement préoccupés par les décisions réactionnaires du gouvernement de Kiev jusqu’à des secteurs authentiquement nationalistes russes et même fascistes.

Le conflit en Ukraine a acquis certaines caractéristiques d’une lutte sectaire, dans laquelle les abus du secteur le plus extrême d’un côté renforcent le secteur le plus extrême de l’autre. Cela créée une dynamique qui pousse les gens de chaque camp à se rassembler autour du groupe le plus extrême et violent afin de se « protéger ». Inutile de préciser que les secteurs d’extrême droite ne représentent pas les intérêts réels des travailleurs, qu’ils soient Ukrainiens ou russophones. Les seuls qui bénéficient de cette situation ce sont les oligarques – et les dirigeants fascistes alliés à eux – de chaque camp.

Voyons le rôle joué par les fascistes au sein du camp pro-russe, prétendument antifasciste.

L’extrême droite à Donetsk

Une figure clé est Pavel Gubarev, nommé « Gouverneur populaire » de la région de Donetsk en mars 2014. Gubarev (son nom est parfois écrit Gubarov, Gubariov, Gubariev, Gubariew… ce qui complique la recherche d’informations) était un patron et aussi un militant du parti nazi « Unité Nationale Russe ». Metapedia - le Wikipedia des fascistes - présente une longue et élogieuse fiche sur Gubarev qui explique que son parti appartenait à l’ «  Union Mondiale des Nationaux Socialistes ». Elle informe également que « Le 13 mai [Gubarev] a fondé un nouveau parti politique, le Mouvement Social Politique – Parti de la Nouvelle Russie, en abrégé « Novorossiya », ou Nouvelle Russie. Ayant son siège à Donetsk, la Nouvelle Russie a célébré son premier congrès le 22 mai [2014] ». Quelques jours plus tard, Gubarev a annoncé que les « Républiques populaires » autoproclamées de Donetsk et Lougansk avaient fusionnées en un seul Etat… appelé Novorossiya. Comme le commente Metapedia, le drapeau de Novorossiya, « probablement dessiné par Gubarev lui-même », ressemble beaucoup à la bannière confédérée, celle du camp esclavagiste dans la guerre civile américaine.

Alexander Borodai, qui jusqu’il y a peu occupait le poste de Premier Ministre de la « République populaire » (il vient de démissionner à cause de sa nationalité russe, et non ukrainienne), est également un militant historique de l’extrême droite, associé à la figure d’Alexander Prokhanov et à son journal ultra-nationaliste antisémite « Zavtra » (Demain). En assumant sa fonction à Donetsk, Prokhanov a fait son éloge en le décrivant comme un « véritable nationaliste russe blanc » (les « Blancs » étaient ceux qui se sont opposés à la révolution de 1917). Le grand projet de Prokhanov est d’unir les staliniens et les fascistes. Dans le passé, il a tout autant collaboré avec Ziouganov, dirigeant du Parti communiste de Russie, qu’avec David Duke, dirigeant du Ku Klux Klan et il semble bien que dans l’est de l’Ukraine un nouveau pas important a été fait dans cette direction (il faut aussi ajouter que dans une récente interview, Prokhanov évoque « nos amis Borodai, Strelkov et Gubarev » et dénonce par la suite « les Juifs »).

Igor Strelkov, de son vrai nom Igor Girkin, est un ex-militaire russe, vétéran des opérations en Tchétchénie, en Serbie et en Bosnie, en Moldavie, etc. C’est aussi un vieil ami de Borodai. Strelkov a expliqué lors d’une conférence de presse conjointe avec Borodai le 10 juillet 2014 que, jusqu’au mois de mars dernier, il appartenait aux services secrets russes, le FSB, héritier du KGB. Pendant de nombreuses années, son passe-temps préféré était de participer à des reconstitutions d’anciennes batailles dans lesquelles son « idole » était un général contre-révolutionnaire de la guerre civile russe. Aujourd’hui, selon Borodai, Strelkov est le « Commandant en chef des forces armées, Ministre de la défense et chef du Conseil de sécurité de la République Populaire de Donetsk ».

Le plus révélateur sur Strelkov est une série de déclarations faites dans le cadre d’une table ronde sur la Syrie en juin 2013. Strelkov y a dénoncé « l’immigration massive » en Russie de personnes « étrangères  » qui ne pouvaient pas être « digérées ni en une ou deux générations » et qui constituent un « terrain fertile pour l’islamisme radical ». Il a conclu que « Par conséquent, il est essentiel de combattre avec fermeté l’extension de l’islam radical. Cette lutte (…) pourrait même aller au-delà du cadre des droits de l’Homme ».

Encore plus choquant : après avoir évoqué comment la Russie pouvait éviter une chose comme le « printemps arabe », il a ajouté qu’ « il n’y a rien de nouveau dans le nouveau type de guerre. En 1917, nous avons connu la même situation. Une partie de l’élite politique avait conçu l’idée d’un renversement. Elle a commencé à implanter cette idée, surtout avec l’aide des masses dans la rue, totalement imbibées de propagande, ainsi qu’avec les troupes qui ne voulaient pas aller au front. En conséquence, vu qu’on n’avait pas pris les mesures opportunes pour neutraliser cette élite, les autorités de Russie n’ont pas été capables d’écraser la rue et, sous la pression de cette élite, au final le pouvoir s’est effondré ». En résumé, il a expliqué et regretté l’incapacité de la dictature tsariste à réprimer la révolution de 1917. On ne peut guère être surpris que son héros soit un général contre-révolutionnaire.

Un autre secteur de l’extrême droite qui participe à cet insolite « mouvement antifasciste » est constitué par les Tchetniks serbes, impliqués dans le nettoyage ethnique – et les massacres – pendant les guerres dans les Balkans. Enfin, il est démontré que de nombreux groupes nazis de Russie soutiennent activement le camp pro-russe=42481&no_cache=1#.U-NdcGPIwT4] dans l’est de l’Ukraine, certains d’entre eux ayant même des combattants participants au conflit.

Le fascisme européen avec la Russie

Tout cela a contribué à un certain changement d’orientation de la part d’importantes organisations fascistes occidentales qui soutiennent aujourd’hui, dans leur grande majorité, le camp pro-russe. L’historique revue antifasciste britannique « Searchlight » a relaté la tenue d’un congrès international de groupes fascistes pour soutenir la « République populaire de Donetsk », avec la participation du Front National français, du FPÖ d’Autriche – représenté par son dirigeant numéro un, Heinz-Christian Strache en personne -, l’Ataka de Bulgarie, etc. Le camp pro-russe de Donetsk y était représenté par Alexander Borodai.

Y compris dans la période précédent le référendum qui a vu la Crimée revenir sous contrôle russe, l’hebdommadaire « La Directa » a rendu compte de la présence comme « observateurs », afin de légitimer le vote, d’une large délégation fasciste. Dans un autre reportage, on peut voir un exemple d’ « internationalisme » fasciste, celui du groupe espagnol Democracia Nacional qui a traduit une déclaration de l’Aube Dorée grecque en faveur de la Russie.

Il faut souligner qu’un élément important dans cette réorientation fasciste est constitué par l’attraction croissante qu’exerce sur ces secteurs la figure de Vladimir Poutine. Avec son autoritarisme, son nationalisme, son racisme et son homophobie, Poutine compte de plus en plus de fans parmi les nazis occidentaux et il cultive activement ses relations avec eux.

La gauche et les nazis pro-russes

Tout cela est logique et cohérent entre des fascistes. Ce qui ne l’est pas c’est le large soutien montré envers le camp russe au sein de la gauche occidentale, surtout parmi les partis communistes. Il y a même, selon le titre d’un site internet proche de ces milieux, des « Brigadistes internationaux espagnols qui rejoignent les milices antifascistes d’Ukraine » :

« Des activistes de divers pays, parmi lesquels on trouve outre l’Espagne ; l’Italie, la Russie, la France, le Canada et la Pologne, ont gagnés la ville de Donetsk, capitale de la République Populaire de Donetsk pour se joindre à ses milices ou pour apporter un soutien logistique et humanitaire, selon a informé sur sa page Facebook Paul Gubariov, gouverneur de la région rebelle. Selon Al-Manar, un groupe d’information libanais, les volontaires, qui pourraient prendre part aux combats contre les troupes ukrainiennes, seraient sous les ordres d’Igor Strelkov, chef des Forces armées de la République Populaire de Donetsk. Les autorités de la région ont directement appelé à la formation de ‘Brigades Internationales’ ».

Il s’agit des mêmes Gubariov/Gubarev et Strelkov évoqués ci dessus.

Une page Facebook qui promeut ces « Brigades Internationales », et qui se nomme « Internacionalistas36 », cite Gubarev sans la moindre critique ni commentaire ; « C’est pour cela que je fais cette ferme prédiction : non seulement nous atteindrons Kiev, mais nous irons même jusqu’à Lviv et nous étranglerons cette scorie pour que les Ukrainiens oublient Bandera, Shukhevych et fondamentalisme nationaliste ukrainien pendant 300 ou 400 autres années » [Traduction tirée de la source italienne]. Tout cela étant dit avec la bannière confédérée en toile de fond.

Disons le clairement : une page « antifasciste » diffuse les déclarations d’un nationaliste russe, d’un nazi qui annonce sa volonté de conquérir tout le territoire de l’Ukraine au profit de la Russie et d’éliminer pendant 3 ou 4 siècles les aspirations nationales du peuple ukrainien. Ce type de déclarations creuse les divisions au sein de la population d’Ukraine et renforce les fascistes de Pravy Sektor en les aidant à se présenter comme la seule force capable de défendre les ukrainophones des autres fascistes. La gauche ne doit pas fomenter ces déclarations et encore moins lutter les armes à la main pour les concrétiser.

Les prétendus brigadistes internationaux se sont placés sous les ordres militaires d’un fan de la contre-révolution russe de 1918-1919 et qui a participé aux atrocités commises par la Russie contre le peuple tchétchène, ainsi que sous le contrôle politique d’un nazi.

Un exemple récent de la confusion régnante est celui du groupe italien « Banda Bassotti » qui a annoncé son intention de réaliser une tournée « antifasciste » dans la région et qui cherche des soutiens économiques pour la rendre possible. Cette tournée serait impossible sans l’approbation de la «  République populaire de Donetsk », c’est-à-dire du nazi Gubarev. Ce serait une folie que de dénoncer dans ces concerts les nazis du camp pro-russe et il n’y a aucun indice que telles soient les intentions de ses organisateurs. L’effet politique de ces concerts ne sera pas de combattre le fascisme mais bien de soutenir un camp dirigé par des fascistes face à un autre.

Contre tout fascisme, quel que soit son drapeau

Un mouvement antifasciste cohérent se doit de s’opposer au fascisme, quel que soit son drapeau. « Unitat Contra el Feixisme i el Racisme » (mouvement antifasciste catalan, NdT) a clairement indiqué qu’il ne s’oppose pas seulement au fascisme espagnoliste mais aussi aux groupuscules fascistes catalanistes. Même si les nazis ne constitueraient qu’un élément marginal dans le camp pro-russe, une position antifasciste cohérente par rapport à l’Ukraine implique de dénoncer le fascisme présent dans les deux camps. Et, comme on l’a vu, l’influence de l’extrême droit dans la « République populaire de Donetsk » n’est en rien marginale.

Rien de tout ceci ne doit nous faire oublier le péril incarné par les groupes nazis de Pravy Sektor et les fascistes en cravate de Svoboda dans le camp de Kiev. Il y a encore des nazis occidentaux qui soutiennent celui-ci. Mais rien n’indique par contre que quiconque dans la gauche ou dans le mouvement antifasciste lui apporte un soutien. Par contre, avec les nazis du camp pro-russe, il y a de graves et dangereuses confusions au sein de la gauche occidentale.

Nous devons être capables de dénoncer tous les secteurs fascistes impliqués et ne pas prendre parti en faveur de nazis contre d’autres nazis.

David Karvala est membre de l’organisation anticapitaliste En Lucha dans l’Etat espagnol.

Source :
http://davidkarvala.blogspot.com.es/2014/08/ucrania-contra-el-fascismo-bajo-todas.html
Traduction française : Ataulfo Riera