, 29 septembre 2013
Dans ce dossier, nous donnons la parole à une série de figures de l’opposition progressiste au régime de Bachar Al-Assad, ceux qu’on entend rarement ou quasiment jamais, y compris dans certains médias dit « alternatifs ». Ils donnent ici leur point de vue sur la nature du conflit syrien, le mouvement anti-guerre, la « solution diplomatique », les armes chimiques et les destinées de la révolution. Quelle que soit l’opinion que l’on peut avoir sur certaines de leurs appréciations, leurs points de vue et analyses méritent une attention toute particulière. Yassin Swehat est un jeune opposant syrien, originaire de Raqqa. Il vit actuellement en Galice (Etat espagnol) et écrit régulièrement sur la situation en Syrie sur son blog ou pour des sites comme Jaddaliya. Nous reproduisons ci-dessous un entretien qu’il a accordé à la revue anarchiste galicienne « Abordaxe ». L’écrivain et journaliste syrien Yassin Al-Haj Saleh soutient depuis le début la révolution contre le régime de Bachar Al-Assad et la nécessité qu’elle aille jusqu’au bout, mais ses opinions critiques n’épargnent pas non plus l’opposition. Dans l’entretien reproduit ici et réalisé par Diana Skaini pour le site Al-Nahar, il analyse les derniers rebondissements et leur influence sur la situation syrienne. (Avanti4.be)
Yassin Swehat
La Syrie occupe la « une » de l’actualité depuis l’attaque chimique de Ghouta et l’intention exprimée par Obama de procéder à une intervention militaire punitive, ce qui a soulevé l’indignation de ceux qui y voient une ingérence des Etats-Unis. Tu nuances les choses en disant « qu’au dessus de toutes les ingérences, à côté d’elles ou en dépit d’elles, il y a le fond de la question : un large soulèvement populaire contre une tyrannie héréditaire qui fait partie du club des dictatures les plus terribles et les plus brutales de l’histoire récente de l’humanité ». Quelles sont, selon toi, les raisons qui expliquent que la situation en Syrie depuis mars 2011 jusqu’à aujourd’hui a été tellement ignorée par les médias occidentaux ?
Yassin Swehat : Je ne sais pas si on peut dire qu’elle a été ignorée, mais on peut affirmer par contre qu’elle a été racontée d’une manière très culturaliste et orientaliste. Il s’agit d’une lecture du monde arabe partant d’un préjugé identitaire où l’on ne voit ces « Arabes » ou « musulmans » que comme un tas de tribus et de confessions qui s’entretuent pour des motifs religieux, sans la moindre préoccupation (en général du moins, car il y a des exceptions) pour les contextes politiques, sociologiques et économiques de ces sociétés, sans aucune lecture des points de friction et de leur origine. C’est une vision monolithique et froide de l’ « Arabe » ou du « musulman » qui n’explique rien du tout.
Il y a en Syrie un soulèvement populaire contre une tyrannie, celle du parti Baath, née il y a déjà 50 ans. Sur ce demi-siècle, 4 décennies furent occupées par le mandat absolu du clan Assad, le père d’abord (30 ans), et le fils (13 ans, jusqu’à maintenant). Une tyrannie clanique terriblement violente (dans tous les sens du terme, à la fois concret, structurel ou symbolique). Ce n’est pas seulement une tyrannie qui réprime les libertés ou qui séquestre la « chose publique » dans le but exclusif d’aduler le leader, c’est aussi un régime qui a fortement appauvri la population. Aux maux déjà inhérents de l’économie syrienne s’est ajouté un travail systématique de destruction d’une économie productive déjà pauvre et arriérée et cela en faveur des banques, des assurances, de l’immobilier et des multinationales, concurremment à la multiplication des fortunes des membres du clan (à la fois familial et politique) d’Assad.
Rami Makhlouf, cousin du président Assad, s’est vanté lors d’une rencontre avec des journalistes occidentaux que son entreprise « pesait » 60% de l’économie du pays. C’est un exemple très clair, honteux et provocateur, mais il y en a des dizaines d’autres. Ce type (qui a plus ou moins 40 ans) a construit sa fortune dans le même laps de temps de 15 années où le taux de pauvreté absolue dans le pays a augmenté de 220% (chiffre de l’ONU et du gouvernement syrien lui-même).
Après l’attaque chimique, il y a eu en Galice des manifestations et des déclarations de partis de la gauche, nationaliste ou indépendantiste, contre Obama, certains allant jusqu’à défendre Bachar Al-Assad car il serait le chef d’Etat du seul pays « laïc » et « socialiste » de la région. Penses-tu qu’on peut appliquer de tels adjectifs à Bachar et qu’ils sont une raison suffisante pour regarder ailleurs quand on dénonce ses agissements atroces ?
Il y a en Syrie une réalité facilement visible : 100.000 morts, des millions de déplacés, des centaines de quartiers et de villages détruits par les bombardements de l’aviation et par les missiles balistiques du régime. Cela se passe depuis 2 ans et demi et c’est Assad qui en porte la responsabilité, mais ces gens, si humanistes et tellement de gauche, ont le toupet de sortir seulement maintenant dans la rue avec le slogan « Non à la guerre ! » ou d’autres slogans pacifistes. Ces gens se positionnent uniquement face aux Etats-Unis, et tout ce qui ne sert pas à confirmer leur posture ne leur importe strictement en rien.
C’est une posture qui ne me semble pas erronée en soi, vu que je partage le même rejet de la politique américaine, mais comme elle est sortie de son contexte, elle ressemble plus à un alignement idéologique simpliste et infantile du genre « Si les Etats-Unis disent qu’Assad est mauvais, alors c’est qu’il est bon ». Ce modèle de prise de position me semble tactiquement lamentable et éthiquement misérable (oui, misérable). Cela ressemble fort au style théologique du Bien et du Mal : si nous savons où est le Mal, alors tout le reste est le Bien. Où est passée la dialectique dans tout cela ? D’après ces gens, les atrocités sont seulement commises par les « amis » des Etats-Unis et quand c’est le régime qui les commet, ils détournent le regard, ils les nient ou même les soutiennent. Cela est indéfendable.
Quant à dire que le régime est socialiste, cela me semble une insulte au socialisme lui-même. Il suffit de voir ce que le régime dit de lui-même, sur ses « hommes d’affaires entreprenants », sur la façon dont il a brisé l’économie productive et sur la manière dont il a appauvri la société syrienne en faveur de la caste dominante. Au final, ce n’est qu’une étiquette qu’on lui colle dessus pour justifier un soutien injustifiable.
C’est la même chose avec la laïcité (de quelle sorte de laïcité parle-t-on exactement concernant Assad ?) ou avec son prétendu anti-impérialisme. Je pourrais passer des heures à démontrer que le régime n’est pas anti-impérialiste ; en rappelant son intervention contre les Palestiniens pendant la guerre du Liban ; sa participation militaire et politique dans l’alliance internationale dirigée par les Etats-Unis contre l’Irak de Saddam Hussein (la fameuse opération Tempête du Désert) ou encore son rôle clé dans la « guerre contre le terrorisme » de Bush junior. Mais je me refuse catégoriquement à entrer dans ce jeu. Je ne suis absolument pas intéressé à « gagner » des gens qui sont seulement capables de condamner un assassin quand on leur démontre qu’il n’est pas du même camp idéologique ou géopolitique que le leur.
Je peux excuser les gens qui ignorent ces choses, les gens qui sont sortis dans les rues pour dire « Non à la guerre » en ayant conscience du fait que la guerre a commencé en 2011 par la répression militaire du régime. Par contre je n’excuse pas les menteurs, les manipulateurs, ceux qui avancent des slogans prétendument pacifistes alors qu’ils se moquent complètement des gens tués par leur « allié » Assad. Je condamne également les postures de certains partis et plateformes qui n’ont rien dit face aux massacres perpétrés par Assad mais qui sortent aujourd’hui dans les rues pour dire « Non à la Guerre ». Je parle ici plus spécialement du BNG (Bloc nationaliste galicien, NdT) et d’Izquierda Unida, pour lesquels j’ai voté à plusieurs reprises. Bien entendu, je ne le ferai plus.
Tu es opposé à toute intervention étrangère qui aille plus loin que la rupture des relations officielles et un blocus diplomatique qui isole le régime. Que penses-tu des déclarations du maire de Muras, membre du Parti Populaire (droite conservatrice au pouvoir, tant au niveau de l’Etat espagnol que dans la région de Galice, NdT) qui, tout en se qualifiant d’« antiguerre », s’est exprimé dans ce cas-ci en faveur de l’intervention parce qu’« il s’agit d’éteindre une guerre qui dure depuis deux ans et demi » et que « jamais un peuple n’a autant souffert ces dernières années que le peuple syrien » ?
Je ne connais pas le maire de Muras. Je ne peux pas juger de ses intentions et je préfère parler des gens de Syrie bien plus que des déclarations d’un maire galicien. Il faut être conscient de cette réalité : de nombreux Syriens veulent que le régime reçoive une bonne raclée. Les gens qui vivent sous les bombes et les missiles d’Al-Assad ne voient pas d’un mauvais œil qu’on attaque leurs bases de lancement. Moi je tente de juger la réalité et d’analyser les choses à partir de ma position et j’ai manifesté mon opposition à l’intervention (qui, entretemps, a été écartée).
Mais je ne vais pas jouer les inquisiteurs en pointant du doigt ceux qui veulent une attaque ou ceux qui ne le veulent pas, parce que je ne peux que comprendre ceux qui veulent que le régime subisse une raclée, même si c’est le diable en personne qui l’administre. Le régime est également coupable pour cette situation : il a entraîné le pays dans un tel chaos qu’une intervention américaine est aujourd’hui l’objet d’une discussion et d’opinions partagées dans un pays comme la Syrie, où le rôle des Etats-Unis a toujours été synonyme de soutien à Israël et de collaboration avec les tyrannies arabes.
L’opposition à Bachar est diverse et complexe, cela va des Frères Musulmans, que certains médias (y compris « alternatifs ») relient de manière intentionnelle avec Al-Qaeda et le terrorisme islamique, jusqu’à l’Armée Syrienne Libre, formée initialement par des déserteurs de l’armée (dont on parle rarement dans les médias), en passant par les dissidents kurdes, etc. Pourrais-tu nous dire si chacun de ces groupes agit pour son compte ou s’ils agissent parfois de manière commune pour renverser le régime ?
Je n’ai aucune tendresse envers les Frères Musulmans, que du contraire, mais les lier à Al-Qaeda serait aussi démagogique que de dire qu’Izquierda Unida, par exemple, c’est les « Khmers Rouges ». Dire cela exprime une mauvaise foi, tout comme une grande ignorance des courants islamistes du 20e siècle et des rapports qu’ils entretiennent entre eux.
Il est pratiquement impossible de dresser une cartographie « facile » de ceux qui sont contre Bachar Al-Assad, parce que le facteur principal c’est une masse populaire, essentiellement formée de populations rurales et appauvries ainsi que d’habitants des banlieues des villes. Ces masses ne savent pas grand-chose des idéologies mais elles ont très clairement en tête ce qui est juste et ce qui ne l’est pas. Telle est la partie clé. C’est une majorité « silencieuse » en ce qui concerne son expression politique, mais qui a une grande radicalité sentimentale contre le régime et une ferme position de rupture avec lui.
Il y a ensuite l’Armée Libre, qui regroupe une série de bataillons coordonnés et placés sous un commandement plus ou moins « professionnalisé », mais aussi essentiellement des groupes locaux formés dans l’idée de « défendre » tel quartier ou tel village. Ces groupes ont peu d’armes et d’expérience et très peu de coordination entre eux, au-delà des groupes des zones adjacentes.
Puis il y a les djihadistes, qui sont un mélange diabolique de germes opportunistes qui envahissent le panorama post-apocalyptique laissé par le régime dans de nombreuses régions de Syrie. Il y a là le djihadisme international, qui cherche toujours un espace où s’installer et se nourrir aussi d’une radicalisation d’une partie de la société face la violence continue du régime. Il y a aussi le travail de nombreux services secrets régionaux et internationaux (et il est plus que probable que les services secrets du régime aient également infiltré les djihadistes car ils ont une expérience éprouvée dans ce domaine). Les groupes djihadistes sont passés d’une attitude isolationnistes par rapport à la société et à l’Armée Libre à une hostilité manifeste. Les combats entre fractions djihadistes et groupes de l’Armée Libre sont quasiment quotidiens.
Les Kurdes, d’autre part, sont plongés dans un processus propre en tant que peuple. Le PKK est l’acteur clé car il possède une milice armée et un pouvoir, mais il y a des complications internes dans le panorama kurde qui s’ajoutent aux frictions inquiétantes avec leurs voisins arabes, qu’ils soient islamistes ou pas.
Le site « alasbarricadas » a publié un article sur le penseur anarchiste syrien Omar Aziz et son influence sur les Conseils Locaux organisés par la population dans les zones libérées. Penses-tu que le mouvement d’opposition à la base est resté dynamique et innovateur ? Est-il imbibé d’un esprit libertaire comme le pensait Aziz ? Est-il exact que de nombreux jeunes jouent un rôle actif sans être affiliés à une idéologie politique traditionnelle et qu’ils sont motivés par leur soif de liberté, de dignité et que leur principal objectif demeure le renversement du régime ?
Les Conseils Locaux qui existent aujourd’hui en Syrie et qui fonctionnent avec un succès inégal selon les zones ne sont pas exactement ce que pensait Omar Aziz (qui est mort sous la torture dans une prison du régime il y a plusieurs mois), mais il avait tout à fait raison dans le fait qu’il existe un fort esprit « libertaire » chez les activistes des zones libérées du régime, sans qu’ils l’appellent ainsi et probablement sans que la majorité de ces jeunes immergés dans des processus de création et d’activité aient jamais entendu parler de l’anarchisme.
Les informations concernant les affrontements armés font le plus de bruit, mais il y a en dessous tout un travail de fourmis réalisé par des milliers de jeunes qui ont soif d’occuper et de construire l’espace public, non seulement contre la tyrannie d’Assad, mais aussi contre tout type de projet de tyrannie future. Le fait de connaître leurs activités, créées à partir de faibles ressources matérielles mais avec une farouche volonté d’essaimer, c’est le meilleur antidote contre le désespoir qu’on ne peut éviter de ressentir en suivant les événements. (…)
Source :
http://www.syriangavroche.com/2013/09/entrevista-sobre-siria-la-intervencion.html
Yassin Al-Haj Saleh
Comment évalues-tu la posture étasunienne par rapport à l’attaque chimique contre Ghoutta et vis-à-vis de l’initiative russe ?
Yassin Al-Haj Saleh : Les Etasuniens ont tout fait pour ne pas intervenir dans la question syrienne. Ils n’ont aucun intérêt direct et depuis l’apparition des djihadistes, leur politique est plutôt marquée par la volonté d’éviter la chute du régime et de faire pression sur les acteurs régionaux qui aident les révolutionnaires dans le but de réduire leur soutien, tout en maintenant le régime sous pression.
Au lieu de conspirer pour intervenir en Syrie et s’accrocher aux causes de cette intervention, comme ils l’ont fait en Irak il y a 10 ans, ils ne sont pas intervenus et ont « conspiré » pour mettre fin à l’intervention des autres, en leur ordonnant de ne pas intervenir. Je crois que la base de la politique des Etasuniens depuis un an au moins est d’empêcher la chute du régime. Ces impérialistes ont cette fois-ci conspiré contre les révolutionnaires syriens et non contre le régime. Ceux qui se sont comportés comme un impérialisme de facto, en inventant des prétextes pour intervenir – de la protection des sanctuaires religieux à l’intervention des autres – ce sont les Iraniens et leur bras libanais du Hezbollah.
Le résultat de la politique étasunienne, c’est le prolongement de la guerre et une vaste destruction de la société syrienne, de sa civilisation et de ses âmes, ce qui va alimenter un climat encore plus propice pour la croissance des djihadistes. Je ne connais pas de politique plus contradictoire ni d’une telle courte vue. Les Etasuniens sont-ils réellement inquiets de la montée des islamistes ?
Ce n’est pas l’utilisation d’armes chimiques qui a poussé les Etats-Unis à modifier leur politique au cours de ces trois dernières semaines, parce qu’ils savent très bien que ces armes ont été employées à plusieurs reprises auparavant. Mais cette fois-ci, cependant, elles ont été utilisées de manière cruelle, comme de véritables armes de destruction massive et non comme des armes tactiques, ce qui représente un camouflet pour les Etats-Unis et met en doute la crédibilité de ses « lignes rouges ». S’ils avaient continué à ignorer la réalité, cela aurait ébranlé leur domination sur leurs alliés bien plus que leur capacité dissuasive face à leurs ennemis et encouragé certains acteurs à élargir les marges de leur jeu personnel.
Mais ce changement s’est fait avec mauvaise volonté et à reculons ; la prédisposition du régime à se défaire des armes chimiques sur base de l’initiative russe a peut-être été insinuée par Kerry afin d’éviter la honte et de parvenir à protéger l’image d’Obama en tant qu’« artisan de la paix ». Une intervention des Etats-Unis contre Bachar Al-Assad parce que ce dernier a tué des Syriens avec des armes interdites ? Ce n’est pas vraiment dans les habitudes de la politique étasunienne de faire quelque chose pour des raisons justes et éthiques. C’est pour cela qu’ils avaient besoin du prétexte adéquat pour ne pas faire ce qu’ils ne voulaient pas faire depuis le début. L’initiative russe est tombée à point nommée pour cela.
Avec l’écartement de l’attaque étasunienne et l’acceptation du plan russe par le régime, quelles seront les équilibres des forces militaires et politiques dans le conflit syrien ? Sommes-nous proches d’un Genève II ?
Je crois que le fait en lui-même d’écarter l’intervention étasunienne ne provoque aucun changement important dans les rapports de forces, mais c’est un élément qui a en partie un effet contradictoire sur la situation en Syrie. La disparition d’une arme importante aux mains du régime réduit sa capacité de dissuasion acquise dans les zones de Ghoutta au cours de ces derniers mois. Cela est une bonne chose pour les révolutionnaires mais, d’un autre côté, la fin de la menace d’une intervention adresse un message clair au régime : il peut continuer à tuer ses citoyens, mais avec d’autres moyens.
En outre, il y a un recul du moral dans les formations combattantes qui avaient recommandé une intervention aérienne étasunienne. Mais il se peut aussi que l’annulation de l’intervention se traduise par un soutien militaire plus fort de la part des Etats-Unis et d’autres à certaines formations de la résistance armée, ou un amoindrissement de leur pression sur les acteurs régionaux afin qu’ils cessent de les armer. Il y a déjà des indices qui pointent dans cette direction, mais je ne suis pas sûr que cette « compensation » va durer longtemps.
Je crois que si des armes sont fournies, ce sera de manière occasionnelle et que cela s’inscrira dans une volonté d’accentuer la pression sur le régime mais non dans la volonté de le renverser. Est-ce que nous approchons d’un Genève II ? J’en doute, du moins s’il s’agit de faire quelque chose de plus que des photos pour la galerie et d’offrir un service en relations publiques aux Russes. La politique du régime, c’est la guerre, il n’en n’a pas d’autre : sans guerre, il meurt.
Ces dernières semaines ont mis en lumière le rejet par la majorité de l’opinion publique occidentale d’une intervention militaire en Syrie. Quelle en est la raison et quel rôle jouent l’opposition et l’extension du djihadisme dans cela ?
Je pense que c’est le résultat d’un ensemble de situations à plusieurs niveaux. D’une part, il y a le souvenir amer des aventures irakienne et afghane. Le coût humain et matériel irréparable, la perte stratégique dans le chaos irakien, etc. D’autre part, il y a la montée des djihadistes en Syrie et l’attraction qu’ils suscitent dans les médias occidentaux, qui soulignent leurs crimes plus qu’il n’est nécessaire et qui décrivent la lutte en Syrie comme un conflit entre deux camps, aussi mauvais l’un que l’autre.
Il y a aussi la faible capacité de l’opposition syrienne en Occident à expliquer la situation en Syrie, tandis que le régime est plus habile dans sa manière de s’adresser à l’opinion publique occidentale et de provoquer sa paranoïa et ses craintes face aux conséquences d’un changement en Syrie. En outre, la prolongation et la complication du conflit en Syrie et la difficulté de le comprendre exercent aussi une influence. Les gens s’en fatiguent après un certain temps, ils préfèrent éviter de s’impliquer et souhaitent que les choses redeviennent comme elles étaient avant.
Il y a aussi, selon moi, un élément culturel prolongé dans le temps et qui s’incarne dans la lutte sectaire contre l’Islam en Occident, et concrètement contre l’islam sunnite parce qu’il est majoritaire et identifié avec l’histoire impériale de l’Islam. Les luttes nihilistes et terroristes d’aujourd’hui parlent dans sa langue.
Tous ces facteurs font que l’Occidental doit faire un effort spécial pour comprendre quelque chose à la Syrie et à la révolution syrienne, un effort qui doit dépasser l’impressionnisme ambiant, et un effort spécial aussi pour sympathiser avec la révolution. Il n’a besoin de rien, par contre, pour ne pas comprendre et ne pas sympathiser. Pourquoi faire un tel effort alors ?
Source :
http://traduccionsiria.blogspot.be/2013/09/entrevista-yassin-al-haj-saleh.html
Traductions françaises pour Avanti4.be : Ataulfo Riera