13 septembre 2014
Jeudi 18 septembre, la population écossaise est appelée à participer à un référendum qui est d’une importance capitale puisqu’il doit permettre de décider si l’Écosse deviendra indépendante ou non.
C’est le terme (provisoire) d’un processus entamé il y a trois ans avec l’arrivée au pouvoir à Edimbourg d’un nouveau gouvernement régional écossais, formé pour la première fois par le Scottish National Party (SNP), parti nationaliste devenu majoritaire aux élections régionales.
Très longtemps, les sondages ont donné une large victoire au Non à l’indépendance qui est soutenu par tout l’establishment et les trois grands partis britanniques (conservateur, travailliste et libéral-démocrate). Mais le Oui est en augmentation depuis des mois, et cette évolution s’est accélérée ces dernières semaines, au point que le Oui et le Non sont aujourd’hui annoncés dans un mouchoir de poche et que la panique gagne tout l’establishment politique, économique et médiatique britannique.
La possible victoire du Oui à indépendance de l’Écosse est évidemment une question qui concerne avant tout le Royaume-Uni (pour combien de temps encore ?) de Grande-Bretagne. Mais le résultat aura un impact bien au-delà. Et d’abord en Catalogne, où le gouvernement nationaliste local veut, lui aussi, organiser le 9 novembre, un référendum sur l’indépendance – mais où le gouvernement espagnol fait tout pour bloquer le lancement d’un tel processus. Et, plus généralement, c’est toute l’Union européenne qui pourrait subir l’impact d’un Oui écossais qui nourrirait des poussées autonomistes dans d’autres pays-membres.
Le référendum en Écosse est évidemment suivi de près en Belgique aussi. Le premier parti en Flandre est désormais la N-VA dont le premier point du programme est la conquête de l’indépendance de la Flandre. Même si le soutien à cette option « pure et dure » reste largement minoritaire en Flandre (de l’ordre de 15% selon tous les sondages) et si la N-VA fait actuellement passer ses revendications communautaires au second plan pour obtenir la formation d’un gouvernement fédéral de droite, une victoire des indépendantistes écossais aurait un impact certain. La N-VA souhaite évidemment la victoire du Oui jeudi prochain, même si elle n’ose pas le dire trop haut, vu sa situation délicate en Belgique et aussi son appartenance au groupe parlementaire européen créé et dominé par les Conservateurs britanniques…
Mais, ce qui est le plus frappant, c’est la similitude de situation entre l’Écosse et non pas la Flandre, mais bien la Wallonie. Ce n’est donc pas vraiment un hasard si, dans la gauche écossaise, se discutent aujourd’hui des questions de stratégie qui évoquent à bien des égards celles qui se sont discutées dans la gauche syndicale et politique wallonne pendant les années ’60, ‘70 et ’80.
Quelles sont ces similitudes ? Ces deux régions ont une identité distincte de leur « partenaire » dans l’Etat central, façonnée par un ensemble complexe de causes où se mêlent la langue (en Wallonie plus qu’en Écosse), l’histoire régionale (beaucoup plus longue en Écosse qu’en Wallonie) et les luttes de classes. Ces deux régions sont minoritaires démographiquement et donc politiquement dans cet Etat central. Elles ont été des régions industrielles prospères pendant des décennies (en gros, entre 1850 et 1950) et joué, de ce fait, un rôle de premier plan dans cet Etat. Elles n’ont donc jamais subi une véritable oppression nationale, tout en vivant (de plus en plus mal) une minorisation de fait. Dans l’après-guerre (celle de 40-45 !), cet âge d’or industriel a été peu à peu grignoté, avant que la crise économique des années ’70 et les politiques néolibérales ne conduisent à une désindustrialisation économiquement et socialement ravageuse.
Dans ces anciens bastions industriels d’Écosse et de Wallonie, le mouvement ouvrier y a été massif et très combatif. Il a façonné une identité de classe nettement plus forte et plus homogène qu’en Angleterre et en Flandre. La droite unitariste est faible et la gauche (au sens large) dominante. Cette histoire et le poids du mouvement ouvrier ont conduit à une société plus solidaire et plus ouverte – en particulier sur l’intégration de l’immigration. C’est sur cette base que le sentiment de dépossession et d’injustice - les revenus dégagés par le travail dans la région ne profitent pas suffisamment à celle-ci – n’a pas pris, en Écosse comme en Wallonie, la voie d’un nationalisme purement égoïste mais plutôt l’idée que les richesses créées devraient servir à maintenir et développer un système plus « social » que celui qui domine en Angleterre et en Flandre – et donc en Grande-Bretagne et en Belgique.
Il y a certes des différences. L’Écosse a pu rebondir dès les années ‘80 grâce à l’exploitation du pétrole de la Mer du Nord. C’est aujourd’hui une région à nouveau – relativement – riche. Cela n’était pas le cas de la Wallonie des années ’70 et ’80 – et ce ne l’est toujours pas aujourd’hui ! D’autre part, le mouvement national écossais s’appuie sur une dimension culturelle et une profondeur historique et a un fort impact dans la jeunesse – d’une manière nettement plus profonde et mobilisatrice que le mouvement wallon il y a trente ou quarante ans.
Mais ces ressemblances aident à comprendre le raisonnement qui est majoritaire dans la gauche écossaise (non seulement dans la gauche radicale et anticapitaliste, mais aussi, plus largement, dans les secteurs de gauche du Parti Travailliste, du Parti National Ecossais et du mouvement syndical et du monde associatif, social et culturel) tout comme il était majoritaire dans les secteurs combatifs de la gauche wallonne.
Ce raisonnement est assez simple : une Écosse/Wallonie majoritairement à gauche est bridée par sa minorisation dans un État dominé par une Angleterre/Flandre globalement plus à droite. Il n’est pas/plus possible d’espérer que les choses changent de l’intérieur des structures de cet Etat. Ce n’est qu’en conquérant une autonomie véritable - par un fédéralisme poussé pour la Wallonie des années ’60-’80 ; par une (quasi-)indépendance pour l’Écosse aujourd’hui – qu’une politique plus conforme aux intérêts de la population et des travailleurs pourra être mise en place. Pour certains, ce but était/est l’horizon de leur démarche. Pour d’autres, une Wallonie/Écosse mettant la barre à gauche et menant une politique socialiste aurait pu/pourrait devenir un pôle positif et un exemple, permettant de pousser à gauche les travailleurs des régions et pays voisins et de recréer ainsi une unité entre travailleurs par-delà les « frontières » sur une base qualitativement et politiquement plus forte.
L’échec de la gauche combative wallonne – politique et syndicale – à structurer et proposer une orientation politique clairement alternative au réformisme plat dominant, sa soumission (voulue ou impuissante) au PS, son incapacité à aller plus loin que le terrain économico-politique traditionnel et à s’engager sur le terrain culturel et idéologique,… l’ont empêchée de mener une politique nouvelle et enthousiasmante. Il n’y a donc eu ni fédéralisme radical ni « réforme de structures anticapitalistes ». Lorsque la Belgique s’est, pas à pas, fédéralisée à partir des années ’80, c’est dans le cadre d’une politique néolibérale devenue dominante, que ce soit au niveau européen, belge ou wallon.
L’Écosse de 2014 et après suivra-t-elle le même chemin que la Wallonie des années ’80 ? Une Écosse indépendante sera-t-elle une Écosse capitaliste, même si un peu plus sociale ? La gauche radicale pourra-t-elle peser dans le mouvement national pour faire évoluer l’Écosse vers une rupture plus profonde avec le néolibéralisme et le capitalisme ? Ou va-t-elle se diluer dans la « mouvance « nationaliste de gauche » en y perdant son projet alternatif et son tranchant ?
Cruciaux pour la gauche écossaise, ces débats ne relèvent pas pour la gauche wallonne uniquement d’un passé plus ou moins révolu. L’évolution en cours en Belgique pourrait en effet redonner vie aux mêmes questions chez nous aussi. La nouvelle coalition gouvernementale qui se négocie aujourd’hui déboucherait sur une alliance doublement déséquilibrée – nettement plus à droite et nettement plus dominée par la Flandre. Car, si cette majorité fédérale voyait le jour, elle serait certes l’exact prolongement de la majorité politique au Nord mais elle serait par contre en porte à faux très net avec les orientations dominantes au Sud.
Ce n’est pas s’avancer beaucoup que de penser que les mesures d’austérité prises par ce gouvernement fédéral seront systématiquement perçues et vécues en Wallonie et à Bruxelles sous ces deux angles – imposées par la droite, imposées par la Flandre. Il n’est donc pas du tout impossible que cela suscite dans les prochaines années un renouveau – limité ou plus large - d’un courant de gauche, en particulier dans le mouvement syndical, luttant pour que les avancées du fédéralisme soient utilisées pour mener une politique plus à gauche en Wallonie.
Seul l’avenir répondra à ces diverses questions, tant en Écosse qu’en Wallonie. En attendant, pour éclairer les enjeux et les débats qui se sont développés en Écosse au cours de cette campagne référendaire de très longue durée – Avanti vous propose quelques textes et analyses provenant de la gauche écossaise et britannique.
Dans le premier article, Neil Davidson, historien marxiste auteur de plusieurs livres et militant de la nouvelle organisation Revolutionary Socialism in the 21st Century (RS21) explique la situation générale en Écosse aujourd’hui, les enjeux du référendum et les raisons pour lesquelles lui et la quasi-totalité de la gauche radicale écossaise appellent à voter Oui à l’indépendance.
Dans un deuxième article plus analytique, il passe en revue tous les arguments mis en avant par la gauche pour ou contre l’indépendance et propose une perspective générale pour la gauche.
Enfin, nous présenterons une série de prises de position – y compris polémiques – au sein de la gauche britannique face à la perspective indépendantiste.