12 décembre 2012
La ville flamande d’Alost se trouve au cœur de l’attention après les élections communales de 14 octobre. La raison : la participation du parti socialiste local à la majorité avec, notamment, Karim Van Overmeire, fraichement élu pour la N-VA et ancien cadre du Vlaams Belang et du Vlaams Blok. Il y a 3 ans à peine, il était encore tête de liste pour le Vlaams Belang aux élections parlementaires. Il a quitté ce parti il y a un an et demi pour des raisons stratégiques et vient d’être nommé échevin des « Affaires Flamandes et de l’Intégration »… La question politique qui se pose en Flandre est de savoir comment se positionner face aux anciens membres du Vlaams Belang qui sont accueillis à bras ouverts par la N-VA de Bart De Wever.
Le parti socialiste (Sp.a) d’Alost avait conclu un préaccord électoral avec la N-VA en vue de former une coalition, ce qui n’a pas suscité l’indignation. Par contre, lorsque Karim Van Overmeire a été annoncé au poste d’échevin pour les Affaires flamandes et l’Intégration, les choses ont commencé à bouger. La section alostoise d’« Animo » (l’organisation de jeunesse du Sp.a) a organisé une action à la gare d’Alost le dimanche 21 octobre. Pour Bruno Tobback, président du Sp.a, faire partie du collège avec Van Overmeire, un des auteurs du fameux « plan de 70 points » du Vlaams Belang, « n’était pas un pont, mais plusieurs ponts trop loin ». Des forces de gauche (SETCa, PSL, PTB) ont également commencé à se mobiliser.
Après l’action s’est créé le groupe d’action « Noig VA » (« Noig Verontruste Aalstenaarsdes », Alostois très inquiets). Parmi les participants, des responsables et des militants syndicaux et de partis politiques (SETca, LEEF !, PSL, PTB, Sp.a, Buurtsport, Wereldhuis). C’est ce groupe qui est à la base de la mobilisation.
Une pétition, lancée par « Noig VA », obtenait très vite 500 signatures avec un écho médiatique au niveau national. Le lundi 5 novembre, une assemblée générale des membres du Sp.a devait voter la participation à la coalition. Une centaine d’activistes agitant des drapeaux rouges se sont rassemblés ce jour là devant la Maison du Peuple pour ensuite marcher vers le local du Sp.a d’Alost. L’ABVV (FGTB) de Flandre Orientale a appelé tous les partis politiques d’Alost « à aborder les vrais problèmes : investissements dans l’enseignement, dans les crèches, des mesures contre la pauvreté, pour le logement social et l’emploi et une véritable intégration sociétale. Tout cela doit prendre la pas sur le romantisme flamand. »
Au local du Sp.a d’Alost, il y avait 292 membres à l’intérieur et 150 manifestants à l’extérieur. Cela n’était pas sans rappeler une action au Limbourg lorsque de nombreux militants du Sp.a ont rendu leur carte du parti pendant un congrès de ce parti après le « Pacte des Générations ».
Les manifestants ont diffusé des tracts aux membres du Sp.a pour leur expliquer pourquoi il ne fallait pas participer à une coalition avec la N-VA. Mais le résultat du vote a été décevant : 194 votes en faveur d’une coalition, 95 contre et 3 abstentions. Selon « Noig VA », ce résultat n’était pas une surprise : « Le Sp.a d’Alost participe à la gestion de la ville depuis des lustres. Le Sp.a est devenu un endroit idéal pour des carriéristes qui ont transformé la base de ce parti en bétail électoral docile en stimulant le système de clientélisme. Les jours précédant le vote, le chantage battait son plein : les employés de la ville s’entendaient dire qu’avec le Sp.a dans la coalition, ils allaient garder leur emploi (ce sur quoi on peut avoir de sérieux doutes, puisque la N-VA d’Alost veut à tout prix tout privatiser). Une autre rumeur concernait l’hôpital communal d’Alost. Il allait perdre son caractère libéral, allait devenir catholique et l’euthanasie allait y être interdite. Tout était permis pour convaincre les membres du Sp.a d’Alost de voter pour une participation du parti à la coalition. »
Le Sp.a va donc participer à une coalition sans avoir ne serait-ce qu’une minorité de blocage. Il ne pourra même pas arrêter les propositions qu’il ne souhaite pas. Selon les signataires de l’appel contre l’entrée du Sp.a dans la coalition, le Sp.a serait beaucoup plus utile dans l’opposition en mobilisant les forces sociales à Alost. Le progrès social n’a été obtenu le plus souvent que dans la rue, par le peuple, par les travailleurs. Ce sont eux qui ont fait en sorte que les politiciens fassent voter des mesures sociales ou empêchent des mesures antisociales.
Mais pourquoi tant d’agitation ? Voyons de plus près le personnage de Karim Van Overmeire. En 1983, il était responsable des lycéens du NSV (l’Union des étudiants nationalistes) à Geraardsbergen. L’inspiration du NSV ? Des idéologues fascistes comme Julius Evola et Mussolini. Le NSV soutenait activement le système d’apartheid en Afrique du Sud et menait des actions coup de poing contre les organisations de gauche. Van Overmeire organisait des marches en faveur du caractère flamand des communes sur la frontière linguistique, et ces marches donnaient chaque fois lieu à des incidents. A Gand, Van Overmeire faisait le lien entre le NSV et le groupe fasciste Voorpost.
En 1991, il est élu parlementaire pour le Vlaams Blok. Il se concentre sur la question flamande et la justice pénale et, à partir de cette date, fait partie de la direction du Vlaams Blok. En 2005 il publie un livre intitulé « La Patrie Perdue. Le Royaume Uni des Pays Bas, 1815-1830. » Il y glorifie la brève période de 15 ans, entre 1815 et 1830, où les Pays Bas et la Flandre étaient unies dans le même cadre institutionnel. On peut y lire : « Des Wallons et d’autres forces séparatistes, soumises aux ambitions géopolitiques de la France, ont mis fin au Royaume des Pays Bas. L’Etat belge artificiel est né et les droits des Hollandais du Sud, la majorité de la population, ont été niés. ... Nous voulons soutenir toutes les initiatives pour stimuler l’intégration néerlandaise ».
En tant que théoricien du parti, Van Overmeire écrit surtout dans les années 1990 à propos des mesures à prendre pour que la Flandre devienne un Etat indépendant. Certains Flamands sont cités comme les principaux ennemis : « Ces Flamands, plein de complexes, qui nient leur propre identité et prêchent l’autodestruction ». Début des années 90, il plaide pour que la culture et les médias deviennent plus néerlandais et plus blancs : « Des rapports disent que le racisme augmente parmi la population, du point de vue des entreprises publicitaires, il n’y a donc pas de sens à montrer des nègres et des Arabes dans les publicités. »
Pendant la guerre dans l’ex-Yougoslavie, le Vlaams Blok a envoyé de l’aide aux fascistes croates Oustachis. Après une visite dans ces pays, Van Overmeire a plaidé pour des Etats balkaniques « le plus ethniquement purs possible. ». En 1996, il est co-auteur du deuxième « plan en 70 points » du Vlaams Blok. Le 24 octobre dernier, il a déclaré sur la radio publique : « A part certains points, je ne me distancie pas de ce plan. Ce n’est pas un péché de jeunesse. »
Quand le patron du Vlaams Belang, Filip De Winter, est questionné sur tous ses compères de la première heure qui ont quitté le Vlaams Belang pour joindre la N-VA, il répond : « Je les connais tous, souvent depuis qu’ils étaient étudiants. Pendant tout ce temps, nous avons partagé la même ligne idéologique. Je ne peux pas m’imaginer qu’en une seule année ils aient tous changé. Je sais comment ils fonctionnent, ce qu’ils pensent. Je connais les livres dans leur bibliothèque, je connais leurs conversations, je connais leurs maîtres à penser, parce que j’ai les mêmes. »
Dans une interview publiée dans le journal « De Morgen » du 2 novembre, De Winter va plus loin : « Des gens comme Jurgen Ceder et Karim sont convaincus qu’ils peuvent obtenir plus avec la stratégie de l’entrisme – disons, la douce infiltration – qu’en faisant de la politique ouvertement. Je suis convaincu que Karim, en tant qu’échevin, va réaliser quelques points de notre programme. Il faut savoir qu’il a le Vlaams Belang dans ses gènes. Je l’ai recruté quand il avait 15 ans. Pendant 20 ans nous avons suivi le même parcours. Nous avons lu les mêmes livres et suivi la même formation. Disons que je peux voir ce qui se passe dans sa tête. »
De Winter spécifie qui sont ces maîtres à penser : « Notre génération est profondément influencée par la Nouvelle Droite, par des philosophes comme Alain de Benoist et Julius Evola, mais aussi par des politiciens comme Jean-Marie Le Pen, Jörg Haider et Umberto Bossi. De plus, nous avons quelques expériences en commun : nous avons été reçus par le premier président croate. Et il y a notre passé commun au sein du NSV et parfois des confrontations dures avec des contre-manifestants de gauche. Tu n’effaces pas tout cela en changeant de parti. » Mais De Winter voit le côté positif : « Je connais les transfuges et je sais pourquoi ils ont changé de parti. J’espère que les anciens du Vlaams Belang dans la N-VA vont développer ensemble une stratégie pour prendre le pouvoir et pour briser le cordon (sanitaire). Je sais que certains y travaillent déjà. Dans ce cas, leur attitude est positive. »
Ces déclarations confirment ce que Van Overmeire écrit sur son site web : « La voie la plus efficace pour réaliser notre programme, ou au moins une partie, c’est de participer au pouvoir. Ceci n’est pas un but en soi. Il faut une rupture visible avec le passé et il faut briser le cordon sanitaire. » Concernant son départ du Vlaams Belang, il écrit : « Le succès de la N-VA aux élections fédérales l’année dernière montre que beaucoup de Flamands espèrent que ce parti pourra réaliser des vrais changements ».
Nommer Van Overmeire comme échevin des Affaires flamandes n’est certainement pas une exception pour la N-VA en Flandre. L’idée d’une réunification entre la Flandre et les Pays Bas ne fait certainement pas l’unanimité dans l’extrême droite. Mais ils sont tous d’accord sur le fait que Bruxelles constitue une menace pour la Flandre rurale. « Bruxelles déborde et à cause du train, de plus en plus de gens viennent habiter à Alost » déclare ainsi Christoph D’Haese, le nouveau bourgmestre d’Alost. Dans le programme de la N-VA d’Alost, on peut lire que « Bruxelles est en proportion la ville ayant la plus grande croissance de l’Europe occidentale, et cela à cause d’une politique d’immigration défaillante. » Le parti promet « de freiner au maximum l’immigration et l’importation de la pauvreté et de l’arriération. Avant qu’un immigré soit inscrit dans la commune, il faut un contrôle approfondi de son domicile et sur ses conditions de résidence. »
Selon un journaliste de « De Wereld Morgen », Christophe Callewaert, des Bruxellois plus pauvres et souvent d’origine immigrée quittent la capitale parce qu’elle est trop chère et ils cherchent un logement abordable. « Si les villageois flamands sont honnêtes dans leur combat contre l’exode de Bruxelles, alors ils devraient donner plus d’argent à Bruxelles pour y construire des milliers de logements sociaux. » Selon Eric Corijn, professeur de géographie à la VUB, l’Université Libre flamande de Bruxelles, la N-VA surfe sur les sentiments anti-urbains des habitants de la périphérie : « La N-VA a partiellement repris le rôle du Vlaams Belang dans son discours anti-urbain. La N-VA est maintenant en mesure d’appliquer son programme dans les communes où elle a obtenu la majorité. En chassant les pauvres, nous n’allons pas résoudre les problèmes, mais les déplacer. La politique (de la N-VA) est axée sur la création d’un climat favorable pour les entreprises : une ville "propre" avec des gens qui ont un pouvoir d’achat pour consommer. Et les pauvres, on va les éloigner d’une façon répressive. »
La question d’Alost montre bien comment des points de programme du Vlaams Belang sont aujourd’hui introduits dans des accords politiques de coalition dans les communes par le truchement de la N-VA. C’est justement la raison pour laquelle « Noig VA » considère que ce qui se passe à Alost dépasse largement le territoire de la commune. Selon le Front Antifasciste, 60 membres locaux du Vlaams Belang ont fait le pas d’intégrer la N-VA. « De ces 60 anciens membres du Vlaams Belang entrés à la N-VA, 50 se trouvaient sur les listes électorales de la N-VA le 14 octobre. De ces 50 sur les listes, 21 ont été élus comme conseillers communaux et 4 sont élus comme premier suppléant. ». Seize se trouvent dans l’opposition.
L’exemple d’Alost est mentionné par d’autres membres de la N-VA qui viennent du Vlaams Belang : « Il faut briser le cordon sanitaire pour pouvoir participer à des coalitions dans une majorité. »
A Alost, ceux qui ont organisé la mobilisation contre la participation du Sp.a dans une coalition avec la N-VA s’indignent à l’idée que les socialistes d’Alost participent activement à ce qui constitue le laboratoire pour une politique de droite dans une ville en Flandre. Aux partisans de la participation du Sp.a dans une telle coalition, les activistes de « Noig VA » répondent : « Une société démocratique implique plus que de prendre des décisions et voter. La démocratie est un processus sans but final. Nous organiserons des débats publics aussi avec des gens en dehors du Sp.a et en dehors d’Alost ».
La bataille n’est pas perdue et la question de savoir si l’extrême-droite en Flandre va atteindre ses objectifs dépendra de la façon dont les activistes vont poursuivre le processus démocratique à travers la mobilisation des forces sociales.
Références :
http://www.socialisme21.be/binnenland/de-aalsterse-kwestie/
http://www.uilekot.org/node/699
http://www.socialisme21.be/binnenland/oproep-coalitievorming-schepencollege-aalst-wat-staat-er-op-het-spel/
http://www.uilekot.org/node/701
http://aff.skynetblogs.be/archive/2012/10/24/karim-van-overmeire-van-die-boer-geen-eieren.html
http://aff.skynetblogs.be/archive/2012/10/31/dewinter-knackt.html
http://aff.skynetblogs.be/archive/2012/11/02/karim-van-overmeire-van-je-vrienden-moet-je-het-hebben.html
http://aff.skynetblogs.be/archive/2012/10/22/na-de-vlaamse-onafhankelijkheid-de-dietse-volksstaat.html
http://www.dewereldmorgen.be/artikels/2012/10/20/de-kracht-van-verandering-vendelzwaaien-tegen-brusselaars
http://www.dewereldmorgen.be/artikels/2012/10/16/n-va-teert-op-antistedelijke-gevoelens-van-randstadbewoners-zegt-eric-corijn
http://www.roodlinks.be/index.php?option=com_content&view=article&id=22472:spa-gaat-in-zee-met-karim-van-overmeire-en-de-rest-van-n-va-&catid=22:lokaal&Itemid=127