27 janvier 2013
Ce vendredi 25 janvier en Egypte, cela fait deux ans qu’ont commencé les révoltes qui ont débouché sur la chute d’Hosni Moubarak et le processus de transition qui est encore en cours. Plusieurs organisations politiques et sociales, comme le Mouvement du 6 avril, Kifaya, le Parti de Mohammed El Baradei, les socialistes, les nasséristes, le Wafd ou encore le Courant populaire égyptien de Hamdin Sabahi, ont appelé à des marches à partir de différents points du Caire pour converger sur la Place Tahrir. Des manifestations sont également prévues dans d’autres villes du pays.
On a déjà enregistré ces derniers jours des affrontements entre manifestants et forces de sécurité autour de Tahrir. En outre, les supporters de l’équipe de football Al Ahly, liés aux révoltes, ont joué un rôle moteur dans les protestations en face de la Bourse pour exiger le jugement des responsables du chaos provoqué en février 2012 au stade de football de Port Saïd, qui s’est soldé par la mort de 74 personnes, la majorité d’entre elles étaient des supporters de cette équipe.
Les organisations qui ont impulsé les révoltes se montrent aujourd’hui déçues par les événements dans la sphère des institutions politiques. Depuis la chute de Moubarak jusqu’à aujourd’hui, il y a eu 12.000 procès militaires contre des civils. Par contre, aucun responsable des forces de sécurité n’a encore été puni ou déclaré coupable pour la répression qui, en à peine 18 jours de révolte, à entraîné la mort de 840 personnes et plus de 6.000 blessés.
Avec le passage du pouvoir de la Junte militaire au président Mohamed Morsi, la répression a décru, mais les cas d’abus policiers et de tortures continuent. Au moins douze personnes sont mortes lors de diverses protestations. Et il n’y a pas que cela, le contrôle des médias a augmenté ces derniers mois de manière notoire.
Plusieurs groupes de défense de la liberté d’expression et des droits de l’Homme ont signalé qu’on a déjà enregistré 112 procès judiciaires pour « insulte au président », un chiffre qui dépasse tous les procès du même type depuis 1892. La majeure partie des plaintes ont été présentées au procureur général par le bureau du président Morsi lui-même.
Ce même mois, on a écarté de son poste Hani Shukrallah, jusqu’alors rédacteur en chef du journal national « Al Ahram » dans sa version online en anglais. Bien qu’il n’y ait pas d’explication officielle, ses collègues attribuent sa destitution à sa position critique vis-à-vis des Frères Musulmans qui s’est exprimée dans certains de ses articles.
« La direction de « Al Ahram », liée aux Frères, a forcé la destitution de l’écrivain de gauche et rédacteur Hani Shukralah », s’indignait il y a quelques jours sont collègue, le journaliste Hossam El-Hamalawy. Shukrallah avait déjà subi une condamnation et l’ostracisme professionnel pendant la période de la dictature de Moubarak.
Depuis deux ans, la situation de l’économie égyptienne s’est encore plus détériorée à cause, parmi d’autres raisons, de la chute du tourisme provoqué par la tension, l’insécurité et la répression que connaissent la plupart des principales villes du pays. Le gouvernement de Mohamed Morsi mène depuis plusieurs mois des négociations avec le Fonds Monétaire International pour recevoir une aide de 4,8 milliards de dollars en échange de l’application d’une série de réformes fiscales qui impliqueraient une réduction des investissements publics, des coupes dans les subventions aux matières premières comme le gaz naturel ou encore l’augmentation des taxes sur des produits de base.
De fait, juste avant la célébration du référendum sur la Constitution en décembre dernier, Morsi avait annoncé la mise en œuvre de ces mesures mais avait reculé quelques heures plus tard en disant que ce n’était pas encore le moment. Avec le référendum en vue, ses conseillers avaient craint que l’application de mesures aussi impopulaires allaient négativement influer le résultat des urnes.
Pour l’instant, et dans l’attente de la conclusion de la négociation avec le FMI, le gouvernement égyptien a accepté l’aide économique offerte par l’Arabie Saoudite et, surtout, par le Qatar, qui vient de remettre au Caire 2,5 milliards de dollars sous forme de prêts qui s’ajoutent aux 2,5 autres milliards déjà accordé antérieurement.
Les bonnes relations entre les Frères Musulmans égyptiens et la monarchie du Qatar ne sont un secret pour personne. Avec son soutien économique accordé à l’organisation islamique égyptienne, la monarchie qatarie veut accroître son influence dans la région, déjà notable du fait de ses interventions, directes ou indirectes, en Libye, en Syrie ou dans les négociations avec le Hamas palestinien.
Cette semaine, la revue étatsunienne « Time », qu’on ne peut en rien soupçonner de critique envers le modèle économique global actuel, reconnaissait que le programme du FMI peut constituer la solution « immédiate pour les problèmes économiques de l’Egypte », mais « cela n’aura comme résultat qu’une plus grande difficulté économique pour les gens ordinaires ». « Time » ajoute que le programme d’austérité du FMI impliquerait l’établissement de mesures similaires à celles appliquées par Hosni Moubarak et « profondément impopulaires » dans ce pays arabe.
La dénommée « réforme économique égyptienne » menée à bien par le régime de Moubarak au début du XXIe siècle et impulsée par le FMI et la Banque Mondiale a contribué à ce que le sociologue égyptien a appelé « l’humiliation et la dépossession de la classe moyenne égyptienne ». Dans un laps de temps relativement bref, le gouvernement de la dictature a gelé les salaires, éliminé des primes extraordinaires et coupé de manière drastique dans les investissements en services publics tels que la santé ou l’enseignement.
L’Egypte a également été frappée par la spéculation sur les marchés financiers internationaux, ce qui a provoqué une augmentation vertigineuse des prix de produits de base comme le pain en 2008. La pauvreté, le chômage et les salaires indignes se sont généralisés.
Le processus de privatisation des entreprises publiques, un autre élément de cette réforme économique, s’est réalisé dans un climat de corruption et de manque de transparence, avec des transactions effectuées à des prix inférieurs à la valeur réelle des entreprises mises en vente, avec des pots de vin occultes atterrissant dans les poches des intermédiaires. Des dizaines de milliers de travailleurs ont été licenciés et, dans plusieurs cas, les nouveaux propriétaires n’ont pas respecté leurs engagements en investissements dans les entreprises récemment acquises et ont choisi de les démanteler afin de vendre les terrains pour obtenir rapidement des capitaux.
Dès l’année 2008, plusieurs groupes de travailleurs ont introduits des recours auprès des tribunaux pour exiger la renationalisation des usines dans lesquelles ils travaillaient. Après la chute de Moubarak, le nombre de ces demandes a explosé.
Chose insolite, il y a eu cinq sentences de tribunaux qui ordonnent la renationalisation d’entreprises privatisées. La dernière en date a eu lieu cette même semaine : les travailleurs de l’usine textile de Shebeen el Kom, vendue en 2007 à un investisseur étranger, on gagné la bataille. La sentence judiciaire estime que cette privatisation a été marquée par la corruption et le manque de transparence et que l’acheteur n’a pas tenu ses engagements d’investir et de maintenir l’usine.
Depuis son achat, les ouvriers travaillaient sans les garanties minimums de sécurité, avec des salaires très et gelés, dans la crainte d’un licenciement immédiat. Aujourd’hui, l’Etat égyptien devra rendre l’argent obtenu avec la transaction et assumer à nouveau la propriété de Shebeen el Kom.
Après la chute de Moubarak, certains responsables de ces pratiques corrompues ont été jugés. Parmi eux figurent l’ex ministre du gaz et du pétrole, accusé d’avoir vendu du gaz à Israël à un prix inférieur à sa valeur réelle, ou encore l’ex ministre des finances du régime, Youssef Boutros Gali, accusé et condamné en son absence à 30 ans de prison pour enrichissement illicite, abus de pouvoir et trafic d’influence.
Depuis 2008, Boutros Gali partageait son portefeuille ministériel avec son poste de président du Comité Monétaire et Financier du FMI. Il fut l’un des principaux artisans des réformes de libre marché en Egypte et avant cela, dans les années 1980, il fut l’un des principaux négociateurs de la dette extérieur de son pays.
Aujourd’hui, plusieurs mouvements sociaux ont lancé une campagne exigeant la suspension de cette dette contractée en pleine dictature. Pendant ce temps, Boutros Gali, sur lequel pèse un ordre de recherche et d’arrestation par Interpol, a été vu à Londres, où il a participé en décembre 2011 à une conférence d’experts économistes à la London School of Economics.
Bien que les institutions politiques semblent solidement établies, dans la rue, ce sont des initiatives comme celles des travailleurs qui maintiennent vivantes les espérances des participants aux révoltes. Ce vendredi, les regards se fixeront à nouveau sur la Place Tahrir. Les mouvements sociaux qui appellent aux manifestations insistent sur le fait qu’il s’agit d’actes de protestation et non de célébration, qu’elles sont l’expression d’une déception et de l’exigence de voir s’accomplir toute une série de revendications encore insatisfaites.
Les inégalités sociales et les salaires indignes frappent une bonne partie de la population égyptienne. La nouvelle Constitution, approuvée dans un référendum caractérisé par un taux d’abstention élevé (68%), n’interdit pas expressément les procès militaires contre des civils, ni la discrimination basée sur le genre, le sexe, l’origine ou la religion.
Elle établit en outre l’existence d’un seul syndicat par profession, une imposition qui a suscité une grande préoccupation et indignation parmi les affiliés des plus de 300 syndicats indépendants qui se sont créés après la chute de Moubarak et qui sont les moteurs de centaines de grèves et d’initiatives telles que les demandes de renationalisations déjà mentionnées. Le contrôle gouvernemental sur le mouvement ouvrier constitue un danger majeur pour l’un des piliers de la protestation sociale égyptienne.
Bien que pendant des années les Frères Musulmans ont condamné les politiques d’occupation d’Israël en Palestine, depuis leur arrivée au pouvoir, ils ont fait le choix de maintenir le statu quo en vigueur défendu dans les coulisses par l’armée égyptienne. Mohamed Morsi sait très bien que la rupture des Accords de Camp David avec Israël aurait des conséquences importantes dans ses relations avec les Etats-Unis, pourvoyeurs d’une aide économique annuelle de 1,3 milliards de dollars pour l’armée égyptienne. Son manque d’initiative ou de critique contre Tel Aviv peut devenir l’une des principales causes de déception parmi ses électeurs.
Conscients de cela, ainsi que de la situation dramatique de l’économie et craignant de perdre leur popularité, les Frères Musulmans ont annoncé la création de groupes de volontaires et la coordination d’ONG afin de rénover 2000 écoles, planter des arbres, faciliter l’accès aux soins médicaux à un million de personnes et ouvrir des « marchés de charité » qui vendent de la nourriture à des prix accessibles.
Mais les mouvements sociaux qui animent la révolte égyptienne pensent qu’il faut bien plus que de la charité pour améliorer la situation dans un pays où 40% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et dans lequel, pour paraphraser un slogan populaire de la révolution ; le « pain, la liberté et la justice sociale » sont encore hors de porté du plus grand nombre.
Source :
http://www.eldiario.es/internacional/demandas-incumplidas-revolucion-egipcia_0_93791150.html
Traduction française pour Avanti4.be : Ataulfo Riera