18 septembre 2013
L’attitude du régime syrien par rapport à la possibilité d’une intervention militaire nord-américaine n’est en rien étonnante car, à ses yeux, l’histoire se répète pour la énième fois, même si c’est aujourd’hui de façon plus fracassante. Le régime syrien a toujours abordé ses crises avec les Etats-Unis de la même manière : avant tout en mettant sur la table une offre attirante pour les intérêts ou les craintes des Etasuniens en échange d’un adoucissement de leurs pressions.
Cette fois-ci, cela s’est traduit par son acceptation rapide et précipitée de l’habile proposition russe de placer l’arsenal chimique syrien sous contrôle international, un plan qui plaît sans aucun doute à Washington. Parallèlement, le régime menace de faire voler en l’air toute la stabilité de la région, tout en utilisant, pour un usage strictement domestique, le même ton menaçant et fanfaron de toujours en déclarant que le Hezbollah occupera tout le nord de la Palestine en cas d’attaque des Etats-Unis ; que l’armée syrienne peut couler tout navire qui oserait s’aventurer en Méditerranée orientale ; que l’Iran va fermer le Détroit d’Ormuz avant de cracher le feu et le fer contre les monarchies du Golfe… Tout un répertoire de menaces hystériques constamment répétées par les médias à la solde du régime, qu’ils soient officiels ou « privés ».
Le régime syrien craint en effet une attaque américaine qui pourrait, au minimum, réduire ses capacités d’attaque aérienne et balistique, mais ce n’est pas le seul acteur à craindre une telle intervention occidentale dans le pays. On retrouve ainsi aisément toute une rhétorique anti-occidentale dans le langage des groupes les plus intégristes qui opèrent en Syrie, tant Jabhat Al-Nusra (une milice de nature salafiste-djihadiste, manifestement alignée sur Al-Qaeda) que l’organisation « Etat Islamique d’Irak et de Syrie » (« Da’esh », pour ses sigles en arabe, est une scission d’Al-Nusra très radicalisée et violente et qui englobe la majeure partie des djihadistes étrangers. Ses rapports avec les autres groupes combattants vont de la tension à l’affrontement ouvert, comme c’est le cas avec les brigades de l’Etat-major de l’Armée Syrienne Libre - ASL). Leurs communiqués ne cessent de rappeler le péril d’une invasion occidentale destinée à empêcher leur vaste projet définitif : l’Etat islamique du califat. Ces deux groupes ne reconnaissent aucun type de division territoriale au sein de la Nation de l’Islam (autrement dit, ils ne reconnaissent pas la Syrie en tant que pays). Ils n’acceptent pas non plus le terme de « révolution » car ils considèrent que leur lutte est un « Djihad » contre le « tyran infidèle », et ne ils reconnaissent aucun des symboles nationaux (drapeaux, blasons, hymnes).
Selon la logique de ces groupes, l’Occident, Israël, l’Iran et les régimes arabes sont la même chose et ils les haïssent tous tout autant. Une bonne partie des assassinats et des séquestrations commis par ces groupes intégristes sont menés à bien sous le prétexte que leur victime était soit un agent de l’OTAN, des Etats-Unis, d’Israël, de la France, etc. Un type d’accusations et un vocabulaire pas très éloignés de celui du régime syrien.
Ce rejet des islamistes face à l’intervention étasunienne ne se retrouve pas seulement dans les groupes les plus extrémistes. Le Front Islamique de Syrie, une coalition politico-militaire qui rassemble quelques unes des fractions islamistes salafistes les plus puissantes et larges (Ahrar Al-Sham, par exemple), habituellement considérée comme plus pragmatique et politique que Al-Nusra ou Da’esh - bien qu’elle ne fasse pas partie de l’ASL et ne reconnaît pas l’autorité politique de la Coalition Nationale - a émis un communiqué pour dénoncer une possible attaque américaine qui ne répond qu’aux intérêts particulier de Washington. Son but est d’imposer un plan pour la Syrie qui n’a rien à voir avec ce que le Front considère être juste. Le communiqué s’achève par un appel à l’unité des fractions de l’opposition en tant que « seule voie pour la victoire ».
Mis à part ces deux positions, une vidéo diffusée sur Internet il y a quelques jours exprime le rejet de l’intervention américaine par un conglomérat de groupes combattants islamistes de la périphérie de Damas. La déclaration, lue par un combattant entouré de compagnons d’armes au milieu d’une scène de destruction, rappelle le « comportement criminel » des Etats-Unis et de ses alliés en Palestine, en Irak, en Afghanistan, en Tchétchénie, etc. et appelle les groupes favorables à l’intervention américaine à se ressaisir, faute de quoi ils seront considérés comme « traîtres à Dieu, à son Prophète, et aux sang des martyrs ».
Les groupes islamistes de tendance salafistes n’ont aucune confiance dans l’action occidentale car ils se considèrent eux-mêmes comme faisant partie des objectifs d’une telle intervention, tout autant, si pas plus, que le régime de Bachar Al-Assad. L’exemple des attaques de drones au Yémen et au Pakistan constitue une raison logique pour motiver leur crainte.
Ces groupes comptent sur des réseaux indépendants et solides de financement et d’armement dans lesquels on ne peut que voir la main des services secrets arabes régionaux et occidentaux. Le régime syrien lui-même a une solide expérience dans ce domaine, avec un historique qui va du début des années 1980 au Liban jusqu’à la dernière décennie en Irak. L’ASL, par contre, dépend bien plus des décisions politiques des puissances régionales ou internationales pour pouvoir s’armer, et les longues hésitations occidentales sur la question d’armer ou non « l’opposition » a favorisé les groupes islamistes, mieux armés et préparés, et leur a fait gagner du terrain.
La Coalition Nationale de l’opposition s’est prononcée en faveur de l’intervention américaine, tout comme l’a fait également l’Etat-major de l’ASL, qui représente un certain nombre de brigades et de bataillons de la résistance armée et qui compte sur une certaine forme de reconnaissance régionale et internationale. Mais ils ne représentent pas réellement, et de loin, ni l’ensemble, ni même la majeure partie de la résistance armée au régime. Ces deux organismes sont, économiquement et politiquement, essentiellement maintenus grâce à leurs liens avec des régimes ou des puissances arabes régionales qui n’ont, en général, aucun bon rapport avec les fractions islamistes salafistes.
Dans l’imbroglio des couches successives de liens, d’affrontements et d’alignements qui s’accumulent pour former la « question syrienne », on peut distinguer un affrontement triangulaire composé par les Etats-Unis et leurs alliés ; le régime syrien et ses alliés et l’islamisme intégriste. Chaque pointe de ce triangle espère tirer les marrons du feu pendant que les deux autres s’affaiblissent en luttant entre elles. Et tout cela avec, comme arrière-fond, un soulèvement populaire contre une tyrannie extrêmement violente et une infinité de foyers insurrectionnels répartis dans un panorama post-apocalyptique.
Ce petit schéma triangulaire est plus utile pour expliquer les différents positionnements actuels que le discours simpliste selon lequel « les Etats-Unis vont faire la guerre au côté d’Al-Qaeda » : une simplification qui devient carrément démagogique quand on attribue à celui qui l’affirme une connaissance prétendument excellente du Proche Orient (*).
Source : http://www.syriangavroche.com/2013/09/el-islamismo-combatiente-y-la.html
Traduction française et intertitres pour Avanti4.be : Ataulfo Riera
Note d’Avanti :
(*) L’auteur fait sans doute référence ici à un article de Robert Fisk, intitulé « Obama sait-il qu’il se bat au côté d’Al-Qaïda ? »
http://www.independent.co.uk/voices/comment/does-obama-know-hes-fighting-on-alqaidas-side-8786680.html