20 février 2015
Manuel Valls a lancé le grand mot. Il y a des courants régressifs et sectaires, se réclamant de l’Islam, et qui portent un projet totalitaire, violent et meurtrier. Cela devrait suffire à justifier le syntagme d’islamo-fascisme. Il ne va pourtant pas de soi, pour deux raisons au moins, qui tiennent à l’inadaptation des deux mots qui le composent.
La première partie de ce syntagme prend comme acquis que ces courants relèveraient de l’Islam. Mais ce n’est pas parce que ses protagonistes le disent qu’on doit les croire sur parole et épouser leur point de vue. Lorsque les attentats de Paris sont condamnés par des courants aussi peu susceptibles d’être tenu pour représentant un « Islam modéré » que le Hamas palestinien ou le Hezbollah libanais, qui qualifient les assassins de « pires ennemis du Prophète », il n’appartient certainement pas à des non-musulmans de répondre que si, quand même, en un sens, si l’on veut, dans le fond, leur acte est un acte inspiré par l’Islam. Laissons les musulmans en décider.
En outre, faire autrement fait toujours courir le risque que ceux et celles qui parmi les musulmans (soit leur quasi totalité) qui condamnent ces actes aient un juste sentiment d’amalgame, le sentiment (peu importe qu’il soit ou non justifié ou que l’on ait pris toutes les précautions oratoires imaginables) qu’une fois de plus on parle d’elles et d’eux.
La deuxième partie du syntagme présente l’inconvénient qu’elle suppose que l’on donne du fascisme une définition purement formelle, en l’identifiant à la violence totalitaire, et que l’on rende de ce fait plus confuse les mécanismes historiques ayant conduit à la formation du fascisme dans les années 20 et tout au long du XXe siècle, avec le rôle décisif des questions de classe, la manière dont le fascisme a été le moyen trouvé par la bourgeoisie pour casser le mouvement ouvrier et pour faire prendre le dessus à certains secteurs du capital dans la résolution de ses contradictions internes.
Sans analyse de classe, le fascisme devient incompréhensible. Et les mouvements sectaires, violents et totalitaires se réclamant de l’Islam ne relèvent pas de cette analyse – sauf à se livrer à des approfondissements des réalités concrètes des pays concernés, approfondissements qui n’ont pas encore été faits, et qui n’aboutiraient sans doute pas à justifier cette adaptation d’un vocabulaire construit en d’autres lieux et en d’autres temps pour répondre à d’autre phénomènes.
Reste qu’il est utile de donner des noms aux choses, dès lors qu’elles constituent des réalités identifiables, comme c’est le cas de ce que le premier ministre a désigné ainsi. C’est plus vrai encore lorsqu’il s’agit de désigner un ennemi à combattre. Et ce dont on parle ici est assurément un ennemi à combattre.
Lors de la discussion de sa résolution politique, à l’occasion de l’Assemblée constitutive d’Ensemble !, ce débat a été tranché par l’adoption du terme « djihadisme », mis entre guillemets. Les guillemets sont ici l’expression de la conscience qu’en avaient ceux qui l’ont proposé du caractère imparfait de cette qualification. Mais toute imparfaite qu’elle soit, elle est sans doute la meilleure que nous ayons à nous mettre sous la main.
Son inconvénient est le maintien d’une référence religieuse musulmane – étant observé que pour de nombreux musulmans, le mot « Djihad » ne désigne pas la « Guerre Sainte », la violence, les attentats, le feu et le sang, mais l’effort que chacun accomplit sur soi-même pour se comporter de façon convenable.
Par ailleurs, dans de nombreux pays arabo-musulmans, le mot « Djihad » a été employé d’une manière plus ou moins déconnectée de préoccupations expressément religieuses, quel que soit le sens effectivement religieux du mot : c’est ainsi que les combattants du FLN algérien luttant pour l’indépendance de leur pays se désignaient eux-mêmes et étaient souvent désignés comme les « Moudjahidines », c’est à dire les combattants du Djihad, et que El Moudjahid, c’est à dire le combattant du Djihad, est depuis l’origine le nom de l’organe du FLN.
Mais il est certain qu’en dehors des milieux musulmans, et même au sein de nombre d’entre eux, ce mot a désormais pris le sens que nous lui donnons, et désigne ces courants qui se réclament de l’Islam dans la tentative d’imposer par la violence de masse une société totalitaire. Parlons donc, pour le combattre du « djihadisme ».
Laurent Lévy est un militant anticapitaliste français, auteur notamment du livre « La gauche », les Noirs, les Arabes (Editions La fabrique 2010 / 142 pages / 13 euros). Il milite au sein du mouvement Ensemble, qui regroupe l’aile gauche du Front de Gauche.
Article paru le 16 février 2015 sur le site français Ensemble.
Source : https://www.ensemble-fdg.org/content/islamo-fascisme-ou-djihadisme