Grèce : Victoire de Syriza aux élections européennes

DEA, Sotiris Martalis 28 mai 2014

Syriza (la Coalition de la gauche radicale) a réalisé une très belle performance lors des élections locales, régionales et européennes qui ont eu lieu ce dimanche en Grèce. Syriza devient le premier parti du pays aux européennes ainsi que dans deux grandes régions du pays et rate de peu la mairie d’Athènes. Ce résultat montre la force de l’opposition, surtout dans les grandes villes, à la coalition au pouvoir, menée par la Nouvelle Démocratie, le parti conservateur du Premier ministre Antonis Samaras, avec le concours du PASOK, le parti de centre-gauche dirigé par Evangelos Venizelos, qui était autrefois la force politique dominante en Grèce.

La Grèce a été plongée dans la dépression par la crise économique qui a frappé l’économie mondiale en 2008. En échange d’un plan de sauvetage du système financier grec, les « mémorandums » imposés par la « Troïka » - l’Union européenne (UE), la Banque centrale européen (BCE) et le Fonds monétaire international (FMI) – ont imposé des conditions d’austérité drastiques qui ont réduit dramatiquement le niveau de vie de la population. Les mesures gouvernementales ont rencontré une forte résistance des travailleurs – parmi lesquelles des grèves générales d’une ou deux journées, des grèves sectorielles à durée indéterminée, des occupation d’espaces publics connues comme sous le nom de « mouvement des places », et bien d’autres formes d’action encore.

Au printemps 2012, SYRIZA a envoyé une onde de choc en Grèce et dans toute l’Europe en étant près de gagner deux élections nationales grâce à son opposition intransigeante à l’austérité. Il est devenu le principal parti d’opposition au parlement grec et espère faire un bon résultat aux élections européennes, à côté du Parti communiste et d’ANTARSYA, une plus petite coalition de la gauche anticapitaliste.

Cet article comprend deux parties. Le premier est une interview de Sotiris Martalis, qui est candidat de SYRIZA pour le Parlement européen et membre de l’organisation socialiste révolutionnaire Gauche Ouvrière Internationaliste (DEA) qui a participé à la fondation de SYRIZA en 2004. Dans un entretien avec le journal de DEA publié peu avant les élections, Sotiris décrit les objectifs de la gauche pour cette élection et les perspectives qu’une victoire électorale de la gauche pourraient ouvrir en Grèce et en Europe.

La deuxième est la déclaration que DEA a publiée au lendemain des élections. DEA joue un rôle important dans la Plateforme de Gauche de Syriza, qui réunit plusieurs composantes, les principales étant la minorité de gauche de Synaspismos, l’organisation dominante dans SYRIZA, et le Réseau Rouge qui réunit trois organisations révolutionnaires, dont DEA. (Avanti4.be)

« Une victoire de la gauche pour en finir avec le gouvernement »

Quel devrait être l’objectif immédiat de la gauche en ce moment ?

Sotiris Martalis : Faire tomber le gouvernement de coalition de Samaras et Venizelos le plus vite possible.

Le dernier programme du gouvernement - un nouveau paquet massif de mesures d’austérité et d’"ajustements structurels" néolibéraux qui a été voté tout récemment - représente une nouvelle série de mesures criminelles contre notre classe et notre peuple. Il ne faut pas leur laisser le temps de les mettre en route.

Si le gouvernement est jeté à bas, cela arrêtera le processus de mise en œuvre des politiques d’austérité. Cela permettra de créer les conditions nécessaires à leur renversement. Avec les camarades du Réseau rouge et de la Plateforme de Gauche, je fais partie de ceux qui affirment que cet objectif devrait être atteint par des tactiques de résistance sociale par le bas.

Après le grand point culminant de la résistance sociale en 2012 - et surtout clairement au cours des derniers mois - nous avons assisté à une fatigue sociale : une baisse de la participation dans les luttes de masse et une attitude qui consiste à attendre que la solution vienne de l’arène politique-électorale. Les responsables de cette évolution sont à la fois les dirigeants syndicaux et les dirigeants politiques des forces de gauche.

Mon point de vue est que la chute du gouvernement de coalition de la Nouvelle Démocratie et du PASOK et une victoire politique de SYRIZA ramèneraient le peuple (et non plus les politiciens – NdT) en première ligne du front de lutte - cela déclencherait une vague d’espoir et de revendications. Cela montrerait qu’il y a une force sociale prête à se battre pour ses revendications sous un gouvernement de gauche, mais aussi prête à défendre un gouvernement de gauche dans la confrontation inévitable avec la droite, la classe dirigeante locale et les "créanciers" internationaux.

Le mouvement de masse en Grèce a prouvé à maintes reprises qu’il n’est pas facile à contrôler. La direction de Syriza devrait garder cela à l’esprit quand elle fera dans les semaines à venir les choix cruciaux qui détermineront le caractère du gouvernement et de sa politique.

La classe dirigeante a déjà cela à l’esprit. C’est la raison - pas la seule, mais la principale – pour laquelle elle se bat pour éviter d’avoir un gouvernement de gauche. Elle sait que cela représente un danger de déstabilisation de l’ensemble de la politique qu’elle a menée au cours de la crise.

Quelles seraient les conséquences de l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement de gauche en Grèce pour l’ensemble de l’Europe ?

Un gouvernement de gauche qui tenterait sérieusement d’inverser l’austérité créerait un effet domino. La situation dans les Etats membres de l’UE est telle qu’une étincelle pourrait provoquer un incendie.

La propagation d’une rupture sociale et politique de la Grèce vers d’autres pays est donc quelque chose que nous pouvons espérer avec une possibilité sérieuse de succès. Mais cette stratégie a deux conditions préalables.

D’abord, que nous essayions sérieusement de renverser l’austérité en Grèce. Les politiques de centre-gauche - tentées, par exemple, en Italie et en France – n’ont pas mené à une remise en cause de l’austérité parce que les travailleurs partout en Europe ont réalisé que ce n’était pas un modèle alternatif.

Et ensuite que la direction de Syriza trouve la force de contester fermement l’UE et ses politiques avec un programme de gauche.

Les politiques du néolibéralisme sauvage dominent toutes les institutions européennes aujourd’hui, du traité de Maastricht qui a donné naissance à l’Union européenne en passant par le Pacte de Stabilité et de Croissance jusqu’au récent "Super-mémorandum européen" qui institutionnalise davantage les normes d’austérité et néolibérales pour l’ensemble de ses Etats membres. Tout ceci montre que l’UE ne peut pas être transformée par un processus de réforme doux et progressif.

La gauche doit s’engager à inverser l’austérité dans tous les pays où elle lutte - et par tous les moyens nécessaires. C’est ce que le slogan que nous soutenons - "Pas un seul sacrifice pour l’euro" - a tenté d’exprimer. Après l’expérience du chantage financier sauvage contre Chypre l’an dernier, je crois que le "tous les moyens nécessaires" pour inverser l’austérité doit inclure - mais pas nécessairement en tant que notre premier choix - une rupture avec la zone euro, l’euro lui-même et l’Union européenne .

Cela ne vise pas à mettre en avant une réponse nationaliste à la crise, mais fait partie de notre acharnement à inverser l’austérité - et de notre engagement pour une émancipation socialiste de la société.

Pouvez-vous parler des débats et des controverses à l’intérieur de SYRIZA ?

Les camarades du Réseau rouge et la Plateforme de Gauche soutiennent qu’il doit y avoir une deuxième vague de radicalisation dans Syriza.

Nous insistons pour qu’il y ait une politique d’alliance claire, en défendant l’unité d’action entre Syriza, le Parti communiste et Antarsya. Nous insistons sur la nécessité d’une déclaration explicite en faveur de l’objectif d’un gouvernement de gauche – en opposition à tout type de coalition avec les partis bourgeois.

Dans le débat sur la principale déclaration électorale de Syriza, nous avons appuyé les parties qui étaient radicalement de gauche et demandé que soit clarifiée la critique contre l’UE et sa politique. Dans le processus de sélection des candidats de Syriza pour les élections, nous avons soutenu aussi fortement que possible les exigences en faveur de plus de collectivité et de démocratie.

Ces problèmes au sein de Syriza sont réels et ils sont reconnus par ses membres et ses sections. Mais nous pensons que le meilleur cadre pour tenter de résoudre ces problèmes serait une grande victoire politique de Syriza. C’est l’objectif auquel nous travaillons aujourd’hui. Nous sommes sûrs qu’après les élections, le débat politique nécessaire dans SYRIZA - et pas seulement là - aura un grand potentiel.

Au risque de me répéter, la combinaison d’une forte résistance sociale en Grèce avec la perspective d’une possible rupture avec l’austérité peut créer les conditions d’une situation dangereuse pour nos ennemis de classe - et pour offrir une chance historique à notre peuple et à la gauche.

Source : http://socialistworker.org/2014/05/22/victory-ahead-for-greeces-left
Traduction française pour Avanti4.be : Jean Peltier

La victoire électorale de Syriza doit ouvrir la voie à une victoire politique de la gauche

DEA

Le résultat des élections européennes - 1,5 millions de voix pour Syriza, soit 26,6% - est une victoire électorale claire pour la gauche radicale. Il est maintenant démontré que le gouvernement de coalition de la Nouvelle Démocratie et du PASOK est un gouvernement minoritaire - pour la première fois après une élection officielle, et pas seulement dans les sondages d’opinion.

Il n’a plus la légitimité démocratique pour appliquer les mesures d’austérité sévères qui sont incluses dans le « programme à moyen terme », la nouvelle convention passée entre la classe dirigeante locale et les "créanciers" internationaux.

Le succès de Syriza devient plus clair si nous gardons aussi à l’esprit la rude épreuve d’une triple élection - municipale, provinciale et européenne. Quand il s’agit des élections locales, les difficultés sont beaucoup plus grandes parce que les politiciens "locaux" en place sont plus résistants. La vague d’énormes bouleversements politiques, qui a été déclenchée par la crise financière et les luttes de masse de 2010-12, a atteint ces endroits avec retard et d’une manière déformée - comme l’a prouvé la surabondance de candidats « indépendants ». Mais, même sur ce terrain difficile, SYRIZA a réalisé des conquêtes importantes, comme la victoire dans la province de l’Attique (1), la province des îles de la mer Ionienne et de nombreuses grandes municipalités ouvrières.

Entre le premier et le second tour des élections locales, Syriza a prouvé qu’il n’est pas arrogant envers l’« autre » gauche. Immédiatement et unilatéralement, il a appelé à un soutien massif au second tour pour les candidats du Parti Communiste, là où ils étaient confrontés à des candidats de la Nouvelle Démocratie ou du PASOK (dans les municipalités de Patra, Chaidari, Petroupoli, Ikaria). La victoire confortable des candidats du Parti Communiste dans toutes ces municipalités prouve que les gens de Syriza, « formés » au principe de l’unité de gauche, ont appliqué cette ligne politique massivement et sans hésitations.

Heureusement, les camarades d’ANTARSYA ont adopté une approche similaire, appelant à voter au second tour pour le candidat de SYRIZA à la municipalité d’Athènes. Malheureusement, les camarades du Parti Communiste ont choisi la tactique de "se garder à égale distance" de SYRIZA et des candidats de la coalition gouvernementale, appelant leurs partisans à rester neutres. Dans la municipalité d’Athènes, G. Sakellaridis, représentant de SYRIZA, a réalisé un résultat important. Il n’a été battu que de justesse par G. Kaminis, qui était soutenu par la coalition de toutes les forces pro-austérité, le score final étant de 51,4% contre 48,6%. Cela a prouvé que "l’égale distance" n’est jamais égale à la fin.

Les victoires de la gauche dans une série de communes comme Chalandri, Philadelphia et Keratsini sont d’une importance particulière parce qu’elles ont été acquises sur un programme radical et des alliances clairement orientées vers le mouvement social. Ainsi, il a été prouvé une fois encore que la politique de la gauche radicale ne conduit pas à la marginalisation. Au contraire, dans la conjoncture de crise, il s’agit d’une condition préalable à des victoires difficiles et même inattendues.

Aux élections européennes, SYRIZA est le premier parti, devançant la Nouvelle Démocratie de 3,8%. Cela prouve que la politique et les succès électoraux de mai et juin 2012 ne sont pas un hasard, qu’ils ne sont pas seulement un "pétard" éclaté dans le contexte de la révolte anti-austérité de l’époque.

Malgré l’attaque impitoyable de la classe dirigeante et les mass media, SYRIZA préserve ses forces à un niveau très élevé, conduit la gauche à la première place et renforce la perspective d’un gouvernement de gauche. Il est important de noter que ce succès est arrivé à un moment où le mouvement de masse est confronté à une marée basse, au moins par rapport à la révolte généralisée de 2010-12.

Le Parti communiste, en s’appuyant sur sa force et ses capacités organisationnelles, a réussi à regagner du terrain de manière limitée par rapport aux élections de juin 2012, mais il est toujours en dessous du niveau de soutien qu’il avait obtenu à celles de en mai 2012. (2) Il a obtenu aujourd’hui 341.748 voix (6,09%), à comparer aux 277.227 voix (4,5%) de juin 2012 et aux 536.072 voix (8,48%) de mai 2012.

De la même manière, ANTARSYA a obtenu aujourd’hui 40.396 voix (0,72%), contre 20.396 voix (0,33%) en juin 2012 et 75.416 voix (1,19%) en mai 2012.

Mais la retraite relative du mouvement - malgré les luttes héroïques des femmes d’ouvrage, des enseignants, des infirmières, et d’autres encore - fournit au gouvernement un espace dégagé pour manoeuvrer et tenter de regrouper ses forces.

Le principal point d’appui dans cet effort est le pourcentage obtenu par le centre-gauche. Le vote combiné des différents partis de centre-gauche montre que l’espace politique du social-libéralisme garde un certain potentiel de survie. Le point de départ de cet effort est les 450.000 voix (8,03%) obtenues par "L’Olivier" (3), les 370.000 voix (6,6%) de "La Rivière" et les 67.000 voix (1,2%) de la Gauche démocratique. Bien sûr, ce soutien, même combiné, est bien en dessous de la force qu’avait jadis le tout-puissant PASOK. Et, bien sûr, la perspective d’un regroupement de centre-gauche dépendra de la question de sa position à l’égard du gouvernement de Samaras – s’il le soutiendra ou s’il tentera de suivre sa propre voie indépendante.

Pour l’instant cet « espace » politique - qui prétend démagogiquement avoir une certaine "sensibilité sociale" - est le pilier qui soutient la direction de droite de la Nouvelle Démocratie, dans la mise en œuvre de la politique d’austérité la plus impitoyable de l’histoire contemporaine. Il est le pilier qui permet à Samaras de rêver au maintien de son gouvernement jusqu’en 2016.

La tache sombre des résultats électoraux, c’est les 527.000 voix (9,39%) récoltées par l’Aube Dorée. DEA défend avec insistance l’idée que, pour écraser les néo-nazis, nous devons lutter pour inverser l’austérité, nous devons mener la bataille des idées autour de l’antiracisme, nous avons besoin d’une mobilisation généralisée du mouvement antifasciste qui exclura les nazis des espaces publics. Et enfin nous avons besoin d’un effort renforcé pour couper le cordon ombilical qui relie l’Aube Dorée à l’Etat et à ses diverses « agences ».

Avec tout cela à l’esprit, il y a de précieuses leçons à tirer de ses élections pour les militants du mouvement de résistance et pour la gauche. Le succès électoral de SYRIZA est réel et il crée un nouvel environnement politique. Mais le renversement de la coalition gouvernementale, la rupture des accords avec la Troïka et l’UE, l’abandon de l’austérité sont des tâches bien plus complexes et difficiles qu’une « simple » bataille électorale.

Nous avons besoin d’un mouvement massif, organisé par en bas, dans les rues et dans des actions de grève. Nous avons besoin d’une escalade de la lutte politique avec des initiatives de la gauche. Nous avons besoin d’une alliance basée sur Syriza, le Parti Communiste et Antarsya qui sera en mesure d’organiser plus fermement l’essentiel des militants « non affiliés ».

Et enfin, nous avons besoin d’un programme clair et radicalement de gauche, qui pointe dans une direction anticapitaliste et socialiste.

Source : http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article32015
Traduction française pour Avanti4.be : Jean Peltier

Notes du traducteur

(1) L’Attique est la région qui comprend la capitale Athènes et les municipalités environnantes.
(2) Les élections de mai 2012 ayant bouleversé l’ancien équilibre des partis sans permettre de former une majorité, de nouvelles élections ont été organisées le mois suivant
(3) L’Olivier regroupe le PASOK et ses alliés plus petits (NdT)
(4) La Rivière est un parti « antipolitique » et « branché » formé tout récemment sous le parrainage des médias