Grèce : Une nouvelle étape commence

Antarsya, Stathis Kouvelakis 28 janvier 2015

Les événements se sont emballés en Grèce depuis dimanche : la victoire de Syriza, nette mais qui ne permet pas d’obtenir une majorité absolue au parlement ; l’alliance passée par Syriza avec le parti de droite souverainiste Les Grecs Indépendants afin d’assurer cette majorité, la prestation de serment d’Alex Tsipras comme Premier ministre et l’annonce de la formation d’un gouvernement (dans lequel les Grecs Indépendants ont obtenu le ministère de la Défense !).

Nous publions ci-dessous deux courts textes qui tranchent avec l’enthousiasme – parfois un peu débridé – qui a saisi la gauche radicale européenne dimanche soir. (Avanti !)

Stathis Kouvelakis est professeur d’université et membre du comité central de Syriza. Il analyse les nouveaux contours du vote pour Syriza et souligne à quel point la marge de manoeuvre est étroite.

D’autre part, la coalition anticapitaliste Antarsya, qui a obtenu 0,64% dimanche, insiste sur la nécessité de construire une « gauche de renversement du système ».

Lendemain(s) de victoire

Par Stathis Kouvelakis

La victoire de Syriza est un espoir et une opportunité immense pour la gauche radicale et le mouvement ouvrier européen. On peut le dire aussi de façon inverse, un échec aurait des conséquences incalculables.

Quelques rapides commentaires sur les premières difficultés et problèmes.

Tout d’abord, Syriza a frôlé mais en fin de compte échoué à obtenir la majorité absolue. Son résultat final (36,3%) s’est situé dans la fourchette basse de ce qu’annonçaient les sondages de sortie des urnes, celui de la Nouvelle Démocratie dans la fourchette haute. D’où un certain retournement d’ambiance dans le local de campagne et devant les Propiléa hier. Par ailleurs, pour avoir vécu beaucoup de soirées électorales dans le centre ville d’Athènes, je dois dire que celle-ci a mobilisé assez peu de monde, comparée aux soirs de victoire du Pasok dans les années 1980-1990.

Même si les 8,5% d’écart avec la ND sont un résultat important, il faut rendre compte des raisons de cette dynamique de moindre ampleur qu’espérée. Les résultats laissent voire une tendance frappante : si, au niveau national, Syriza progresse de près de 10 points par rapport aux dernières législatives de juin 2012, ou aux européennes de 2014, sa progression est nettement moindre dans les grands centres urbains (avant tout Athènes et Thessalonique) où elle est de l’ordre de six points. Ainsi, alors qu’en juin 2012, mis à part le département de Xanthi (où il avait bénéficié de l’appui massif de la minorité turcophone), son meilleur résultat était dans la très ouvrière et emblématique pour la "gauche rouge" 2e circonscription du Pirée, cette fois ce sont sept départements (dont d’anciens bastions du Pasok, notamment en Crète et dans le nord du Péloponèse) qui surclassent la ceinture industrielle du Pirée (où Syriza passe quand même de 37 à 42%).

La poussée de Syriza s’est donc avant tout effectuée dans les zones rurales et semi-urbaines ainsi que dans les villes moyennes de province, dans une Grèce plus conservatrice et "légitimiste" dans son comportement politique. Son influence est maintenant plus homogène dans le pays, il apparaît comme un "parti de gouvernement" légitime, mais il lui a manqué cette dynamique qui aurait creusé l’écart dans les grandes villes et permis d’arracher les sièges manquants dans les méga-circonscriptions d’Athènes et de Thessalonique. Son profil électoral est désormais celui d’un parti plus "transclasse", sans les "aspérités" de 2012, moins nettement ancré dans les salariat des grandes centres urbains, même si son influence se situe à un très haut niveau et qu’il y obtient la plus grande part des ses voix.

Ce fait est sans doute à mettre en parallèle avec le fait que le KKE enregistre une progression, certes limitée (+1% par rapport à juin 2012), ainsi qu’Antarsya (qui passe de 0,33 à 0,64%), progression qui concerne essentiellement les grands centres urbains. Syriza a donc bien subi des pertes "sur sa gauche", pour une modeste part, et, surtout, n’a pas su mobiliser d’importantes réserves parmi les abstentionnistes (le taux de participation national reste modeste, de l’ordre de 64%).

Le nouveau gouvernement, dont la composition n’est pas connue à l’heure om j’écris ces lignes, se trouvera confronté à des difficultés proprement hallucinantes. Les caisses sont vides, plus que prévu, les recettes de l’Etat s’effondrent. Il apparaitra très vite que le financement prévu du "programme de Thessalonique" reposaient sur des estimations largement surévaluées, ou fausses, dont le but était de laisser croire qu’il était réalisable en réorientant (pour moitié) des crédits européens (qui sont fléchés, pour une part déjà attribués et dont le versement dépend de toute façon du bon vouloir de l’UE), et pour l’autre moitié par une meilleure collecte de recettes fiscales, sans réforme de la fiscalité et sans avoir recours à des déficits. L’orientation stratégique du gouvernement par rapport à l’UE reste également floue. Tsipras hier soir a voulu rassurer l’UE et les marchés, il a parlé de "dialogue sincère" et de "solution mutuellement avantageuse". Le mot "dette" n’a pas été prononcé.

J’ai entendu hier avec sidération des camarades me faire l’éloge de Mario Draghi (le président de la Banque centrale européenne – NdT), en le présentant comme un grand adversaire de Merkel et de Schauble et quasiment comme un allié de Syriza. Aujourd’hui le seul dirigeant européen dont le visage souriant orne la "une" du site officiel du parti www.left.gr est celui de M. Schulz, qui se propose de rencontrer Tsipras immédiatement. Il semble que des cercles du parti en soient arrivé à se persuader eux-mêmes de la validité de slogans de campagne du type "L’Europe change", au sens de "L’UE est prête à un compromis honorable avec nous". Mais la perspective qui se dessine de ce côté est, dans le meilleur des cas, celle de contourner le Troïka pour "négocier" (ah, ce mot "magique" !!) directement avec les institutions de l’UE une version adoucie à la marge des Mémorandums.

Last but not least, M. Kammenos et son parti de droite souverainiste ANEL, qui sont certes un moindre mal comparé à des formations de type Potami, dont l’objectif affiché était de forcer Syriza à se mouvoir dans le strict cadre fixé par l’UE et les mémorandums. Néanmoins c’est un mal. Sa participation au gouvernement, fut-ce avec un seul ministère, signe la fin symbolique de l’idée du gouvernement de la "gauche anti-austérité". Par ailleurs c’est un parti de droite, soucieux notamment de protéger le "noyau dur" de l’appareil d’Etat (il faudra suivre avec attention le portefeuille qui lui sera attribué). Nul hasard si ses premières demandes étaient le ministère de la Défense ou de l’Ordre public. Il semble néanmoins qu’il ne les obtiendra pas.

La marge de manoeuvre est donc étroite mais les ambigüités n’ont qu’un temps. La société reste pour l’instant passive, mais les attentes sont très concrètes et très fortes. Une tâche redoutable attend les forces qui sont conscientes des dangers et déterminées à défendre les points clés du programme de rupture avec l’austérité qui est celui de Syriza. Plus que jamais il deviendra clair qu’entre la confrontation et le reniement, l’espace est proprement inexistant.

Le moment de vérité est imminent.

Athènes, le 26 janvier 2015

Source : https://www.facebook.com/stathis.kouvelakis/posts/10152982612265470?fref=nf

Déclaration du Comité Central d’ANTARSYA sur les résultats des élections en Grèce

1. Le résultat des élections est une lourde défaite pour les partis gouvernementaux réactionnaires de la ND et du PASOK. En condamnant ces partis et avec eux toutes les forces qui ont pris part aux attaques (KIDISO, DIMAR, LAOS) et en votant pour SYRIZA, le peuple a exprimé son indignation contre la brutalité de ces attaques, son dépassement de la peur et sa décision de tourner la page sur ceux qui ont amené la Grèce à ce point limite.

2. La troisième position gagnée par les criminels organisés de l’Aube Dorée est un résultat extrêmement négatif qui montre qu’il est nécessaire de faire front en permanence contre les idées et les pratiques fascistes, non seulement pour que ces nazis soient condamnés à vie, mais également pour déraciner le soutien qu’ils reçoivent dans la police et l’Etat. Il faut se battre pour éradiquer le poison raciste et fasciste de nos quartiers, de nos écoles et de nos lieux de travail.

3. Le résultat de la collaboration politique entre ANTARSYA et MARS est positif. Il reflète l’influence d’une autre voie, celle d’une rupture avec la dette, l’euro, l’Union Européenne et les forces du Capital. Une voie qui a plus d’importance que ce que ne laissent entendre les élections. Elle rassemble les protestations et les mises en garde contre le tournant à droite de SYRIZA. Cette collaboration politique a donné un élan supplémentaire aux résultats des élections et renforce la perspective de poursuivre et approfondir le projet. Enfin, ce résultat nous donne la force d’intervenir de manière plus décisive dans le futur.

4. Dans un futur proche, SYRIZA testera, à partir des positions gouvernementales, la politique visant à « soulager » les gens dans le contexte de l’Eurozone et des traités européens. ANTARSYA insiste sur le fait que sans mettre fin au payement de la dette, sans rompre avec l’Euro et l’Union Européenne, sans nationaliser les banques et les grandes entreprises sous le contrôle des travailleurs, les espoirs du mouvement des travailleurs et du peuple ne pourront pas être satisfaits. Sans attendre et sans accorder de période de grâce, ANTARSYA contribuera à la contre-attaque ouvrière et populaire et se battra pour que des mesures en faveur du peuple soient imposées, pour que les Mémorandums soient annulés, pour que les luttes soient liées à un programme de renversement du capitalisme dans un contexte d’opposition de gauche, ouvrière et populaire.

5. Le Comité Central d’ANTARSYA salue les camarades et les amis d’ANTARSYA-MARS qui se sont battus avec abnégation. Nous avons atteint ce résultat et réalisé cette expérience de manière collective et dans un esprit de camaraderie. Nous préparons l’étape suivante en insistant sur l’importance d’une coopération ouverte avec les forces qui souhaitent une gauche de rupture et de renversement du système. Nous interviendrons avec une détermination encore plus importante en cette période de remontée des luttes sociales et politiques qui nous attend.

Déclaration publiée le 26 janvier sur le site de la coalition anticapitaliste Antarsya
Source : http://www.antarsya.gr/node/2901
Traduction française pour Avanti4.be : Sylvia Nerina