Élections aux Pays-Bas : Une gueule de bois au lieu d’un tremblement de terre

Alex De Jong 17 septembre 2012

Le Parti socialiste (SP, gauche radicale) hollandais a remporté 15 sièges aux élections nationales du 12 septembre au Pays-Bas, soit le même nombre qu’auparavant. Avec les pronostics des deux dernières semaines en mémoire – lorsque, selon les sondages, le SP devait gagner environ 35 siège, soit plus ou moins 24% des voix, et que des médias internationaux comme « The Economist » sonnaient l’alarme sur la prochaine victoire du dirigeant du SP Emile Roemer, leader de « l’extrême gauche » - ce résultat représente une déception pour la gauche hollandaise. Mais elle ne devrait pas constituer une surprise.

Les sondages prédisaient un tremblement de terre politique. Pendant un moment, il semblait que le parti social-démocrate traditionnel, le Parti du travail (PvdA, selon les initiales en néerlandais) allait être dépassée sur sa gauche. Mais c’est au contraire la droite qui l’a largement emporté, tandis que l’autre grand gagnant est le Parti du travail. Pour comprendre ce résultat, il faut analyser attentivement quel genre de tremblement de terre ces sondages prédisaient.

Le SP n’est pas très similaire à SYRIZA en Grèce ou au Front de Gauche français, pour ne citer que les deux autres forces avec lesquelles il a souvent été comparé. Son programme électoral est un programme social-démocrate progressiste, avec des mesures telles que l’augmentation des dépenses pour les logements sociaux, l’environnement et les transports publics et une augmentation du salaire minimum. En termes de changement des rapports de propriété, il avance quelques propositions permettant (partiellement) de revenir en arrière sur un certain nombre de privatisations qui ont eu lieu durant ces deux dernières décennies (par exemple les chemins de fer et les services postaux). Par contre, il n’avance aucune proposition visant à nationaliser, par exemple, certaines parties du secteur financier.

En ce qui concerne les mesures d’austérité promues par l’Union européenne, le SP rejette l’une de ces pièces maîtresses, le Pacte européen de stabilité et de croissance, qui exige que le déficit budgétaire des pays membres de l’UE soit inférieur à 3% en 2013. Mais le SP plaide pour atteindre le même objectif, mais seulement deux ans plus tard, en 2015. Quant à l’augmentation de l’âge de la retraite de 65 à 67 ans après 2025, cela est accepté par lui comme étant inévitable.

Évolution vers la gauche des militants du Parti du Travail

Le programme du SP est à la droite de ce que le Parti du Travail hollandais défendait encore dans les années 1970 et n’est pas très différent de ce que l’on peut entendre dans les courants de gauche au sein du Parti Socialiste de François Hollande en France.

Que ce parti soit toujours étiqueté comme d’« extrême gauche » et représente clairement la force la plus à gauche force sur l’échiquier politique national aux Pays-Bas en dit long sur le climat politique général et sur les rapports des forces. Et cela montre surtout à quel point les autres partis, le Parti du Travail et les Verts, ont glissé à droite.

La SP est le seul parti présent au Parlement hollandais qui rejette le néolibéralisme. Et, malgré la tiédeur relative du programme du SP, la droite avait l’écume à la bouche quand les sondages indiquaient qu’il pourrait devenir le premier parti du pays.

Une grande partie des gens qui disaient alors qu’ils voteraient pour le SP étaient des partisans du Parti du Travail. Il existe une tendance à long terme parmi des électeurs du Parti du Travail qui, malades des trahisons de la « troisième voie » blairiste qui a transformé ce parti en force sociale-libérale, évoluent vers la gauche. Cette évolution à gauche d’une partie considérable de l’ancienne base sociale de la social-démocratie en faveur du SP constitue un développement important dans la gauche et dans le mouvement ouvrier hollandais.

Parmi les syndicalistes, par exemple, le SP est désormais plus populaire que le Parti du Travail. Comme ce dernier s’est déplacé vers la droite, les partisans déçus du PvdA trouvent dans le SP un parti prêt à jouer le même rôle précédemment tenu par la social-démocratie. Et à ces élections ci, les électeurs déçus du Parti du Travail ont encore plus affirmé qu’auparavant qu’ils voteraient pour le SP car il semblait y avoir la possibilité qu’il devienne le premier parti du pays. Si tel avait été le cas, le SP aurait empêché la victoire de la droite ultra néolibérale du Premier ministre du VVD, Mark Rutte, qui assume un second mandat.

« Roemer ou Rutte »

« Roemer ou Rutte », tel était l’un des principaux messages de la campagne du SP. Ce n’était pas la première fois que la participation au gouvernement a constitué un thème central dans une campagne électorale du SP. En 2006, le parti avait remporté un nombre record de sièges (25), dans une ambiance d’enthousiasme semblable à celle que nous avons connue il y a quelques semaines. A l’époque, les autres partis ont réussi à exclure le SP de la formation d’un gouvernement de coalition et avaient réussi à stigmatiser le SP pour sa prétendue « radicalité » et « manque de volonté de faire des compromis ». Pour éviter une répétition de ces événements, la direction du SP avait décidé que le parti devait faire un certain nombre de concessions, perdre son image radicale et montrer qu’il était prêt à gouverner. Cette approche a semblé réussir… - pendant un certain temps.

Car, puisque les gens n’étaient pas invité à voter pour le programme du SP et pour ses solutions à la crise, mais bien pour un futur Premier ministre, le vote en faveur du Parti du Travail est redevenu de plus en plus un choix logique pour beaucoup d’entre eux. Dès le moment où le Parti du Travail a dépassé à peine d’un cheveux le SP dans les sondages, les électeurs ont commencé à déserter massivement Roemer pour le leader du Parti du Travail, Diederik Samson, car il semblait être mieux placé pour éviter un retour de Rutte.

Campagne médiatique de droite

La campagne droitière des médias contre le SP a sans doute également joué un rôle, mais une telle campagne était parfaitement prévisible. Le fait que les fables des médias sur la manière dont le « maoïste » Roemer allait « transformer les Pays-Bas en Grèce » et sur le radicalisme irresponsable du SP semblait crédible à beaucoup de gens, y compris pour bon nombre de ceux qui se considèrent de gauche, ne fait que démontrer l’enracinement de l’idéologie néo-libérale dans ce pays. Cette campagne a non seulement permit de rallier la droite derrière le VVD, mais elle a aussi suscité la peur parmi de nombreux électeurs potentiels du SP et les a de nouveau jetés dans les bras soi-disant « plus responsables » du Parti du Travail.

Il était tout aussi prévisible que le Parti du Travail, sous la pression du SP, allait adopter un discours beaucoup plus à gauche que celui qu’il a utilisé pendant des années, afin d’essayer de regagner de nombreux électeurs. Dans le même temps, il a attaqué de manière vicieuse le SP. Ce dernier a eu du mal à répondre à ces attaques, car il était entré en campagne en soulignant qu’il avait beaucoup de choses en commun avec le Parti du Travail, le parti qui serait le partenaire le plus logique du SP dans une future coalition. Le choix d’un profil et d’un programme électoral modérés a coûté cher au SP car il a perdu son attrait comme le parti de la protestation sociale sans pour autant lui permettre de battre le Parti du Travail à son propre jeu en se présentant comme le choix « responsable » et « réaliste » pour un gouvernement progressiste.

Des racines plus profondes

L’échec de la tentative du SP de devenir le premier parti de gauche du pays a des racines plus profondes que les erreurs dans sa stratégie électorale. Les 35 ou 37 sièges parlementaires - sur un total de 150 - qu’on lui accordait dans les prévisions les plus optimistes ont montré un parti dont la popularité électorale temporaire ne s’est pas traduite par un déplacement correspondant vers la gauche dans la société. Au cours de la dernière décennie, le nombre total de sièges pour la gauche au Parlement (Parti du Travail, Verts et SP) a fluctué entre 35 et 43%. Avec la seule exception des élections de 2002, lorsque le pays avait connu un véritable séisme politique avec la percée de l’extrême droite populiste et islamophobe, aujourd’hui représenté par Geert Wilders, et la gauche avait été réduite à 42 sièges.

Bien que le pays a connu quelques grèves de grande envergure ces dernières années, notamment celle des enseignants et du secteur du nettoyage, le nombre de jours de grève en 2011 était le plus bas depuis 2003. La tendance pour cette année semble être un peu différente. Les autres mouvements sociaux ont également été très faibles. Malgré la popularité persistante de l’extrême droite (Wilders perdu beaucoup d’électeurs ce 12 septembre, mais a tout de même réussi à remporter 15 sièges), il n’y a eu que très peu de protestations anti-racistes. Et malgré l’implication hollandaise continue à l’occupation de l’Afghanistan, le mouvement anti-guerre est pratiquement inexistant, et il était déjà très faible même lorsque les troupes hollandaises étaient encore à la fois en Afghanistan et en Irak. En résumé, peu de gens sont passés par un processus de politisation et de lutte qui aurait pu correspondre au déplacement vers la gauche que les sondages semblaient prédire, pas plus que le débat politique dans la société n’a montré un virage brusque vers la gauche.

Gouvernement de droite

Le grand gagnant des élections du 12 septembre est le VVD. Ce parti a participé au gouvernement le plus à droite que le pays ait connu depuis la Seconde Guerre mondiale et il est le partisan le plus acharné des coupures budgétaire et d’une stricte austérité. Il a gagné environ 10 sièges supplémentaires, devenant ainsi le plus grand parti au Parlement. De fait, il n’a jamais pesé aussi fortement au sein de ce Parlement. Lorsque le PvdA s’est profilé « à gauche », le VVD a adopté un ton de droite très agressif, attirant un nombre considérable de partisans de Geert Wilders en mettant en avant des thématiques anti-immigrés et pour « la loi et l’ordre ». Le deuxième lauréat du scrutin est le Parti du Travail qui a progressé de huit sièges, et n’a seulement que trois sièges de moins que le VVD. Le scénario le plus probable est donc une coalition du Parti du Travail et du VVD, et au moins un autre parti supplémentaire.

Pour la gauche, maintenant la principale question est quelles leçons le SP va-t-il tirer de son bilan. Avant les élections, le SP s’est déplacé vers le centre sur des questions telles que l’âge de la retraite afin de devenir « acceptable » aux yeux du Parti du Travail et des autres partis de droite en tant que partenaire potentiel dans une future coalition gouvernementale. En raison du système électoral hollandais, tout gouvernement doit être formé par une coalition de plusieurs partis, généralement trois ou plus, afin d’avoir une majorité parlementaire.

Est-ce que le SP va tirer comme conclusion qu’il doit aller encore plus loin vers le centre, ou bien, au contraire, revenir à ses sources en tant que parti protestataire anti-néolibéral ? Les deux options sont encore ouvertes. Malgré la déception des élections, le SP est encore un parti ayant une certaine force, avec une large représentation au sein du Parlement et des milliers de membres actifs. S’il combat de manière conséquente le consensus néolibéral dans la politique hollandaise, il pourra jouer un rôle majeur et indispensable dans les luttes sociales aux Pays-Bas.

13 Septembre 2012

Alex de Jong est rédacteur en chef de Grenzeloos, journal de la section hollandaise de la IVe Internationale.

Publié dans en anglais dans : http://links.org.au/node/3026

Traduction française pour Avanti4.be : G. Cluseret