, 12 décembre 2013
La loi draconienne anti-protestation imposée par le régime militaire issu du coup d’Etat de juillet dernier ne dissuadera pas les Egyptiens de retourner dans les rues au nom de la révolution du 25 Janvier. Ci-dessous, une lettre rédigée par des activistes égyptiens.
Le 26 novembre 2013, nous avons vu la première mise en œuvre d’une nouvelle loi égyptienne interdisant de facto toute protestation non approuvée et réglementée par le Ministère de l’Intérieur. C’est le même ministère de l’Intérieur dont les soldats ont tué des milliers de manifestants et torturé et mutilé des dizaines de milliers d’autres anonymes au cours de ces dernières années. Cet appareil de sécurité agit avec une arrogance renouvelée depuis le coup d’Etat de juillet qui a replacé l’armée égyptienne dans une position d’autorité directe.
Vers midi, le 26 novembre, la police anti-émeute a attaqué une manifestation commémorant l’assassinat de Gaber « Gika » Salah il y a un an. Décrétant que la manifestation était illégale, la police a utilisé des canons à eau, puis a chargé les manifestants avec des matraques et a arrêté plusieurs d’entre eux. Quelques heures plus tard, la campagne « Pas de procès militaires contre les civils » a organisé une manifestation contre la nouvelle loi anti-manifestation ainsi que l’inclusion des procès militaires contre les civils dans le projet constitution en cours de rédaction. Cette fois-ci, la police a frappé et arrêté des dizaines de manifestants dont certains des militants les plus connus d’Egypte ; les mêmes personnes qui ont combattu l’injustice et l’oppression sous Moubarak, sous le CSFA, le gouvernement des Frères musulmans, et maintenant le régime d’Abdel Fatah Al-Sissi et son gouvernement civil de marionnettes depuis le coup d’Etat.
L’indignation publique qui suscitée par les images diffusées montrant la violence de la police et ses agressions sexuelles contre des manifestantes a contraint les autorités à libérer tous les manifestantes femmes ainsi que des avocats, des journalistes et une poignée de détenus de sexe masculin de premier plan, tout en gardant 24 manifestants de sexe masculin en détention. Les manifestants arrêtés qui protestaient contre la même loi illégitime ailleurs dans le pays restent également en garde à vue. Avec ces événements, il est clair que le soi-disant système judiciaire en Egypte, et la loi anti-manifestation en particulier, cherchent un peu plus à supprimer toute forme d’activité politique ou de protestation.
La diabolisation des Frères Musulmans dénoncés comme des terroristes fournit le prétexte pour réprimer la dissidence de toute nature, y compris les appels continus en faveur des exigences de la révolution du 25 Janvier. Le 27 novembre, six des manifestantes libérées ont informé le Procureur que ce sont elles qui avaient appelé à la manifestation ce qui, selon la nouvelle loi, l’obligerait a les arrêter à nouveau. Le Procureur les a ignorées, tout en prolongeant de 15 jours supplémentaires la détention des 24 manifestants de sexe masculin, qui subissent la torture en continu. Devant la Cour, les détenus ont perturbé la procédure en scandant « A bas le régime militaire ! » et ont commencé une grève de la faim.
Le 28 novembre, la répression s’est poursuivie ; des policiers ont encerclé une manifestation d’étudiants en soutien aux Frères musulmans à l’Université du Caire. Empêchant quiconque de quitter les lieux, les forces de police ont tiré des gaz lacrymogènes et des balles réelles sur les manifestants et d’autres étudiants à l’intérieur. Le corps de Mohamed Reda a été retrouvé à la morgue tard dans la nuit, avec des blessures par balles. Ses amis disent qu’il n’était pas politiquement actif et qu’il ne participait pas à la manifestation. Le tribunal, à son tour, a accusé d’autres étudiants arrêtés à la manifestation de l’avoir assassiné. Quelques heures plus tard, la police a pris d’assaut la maison d’Alaa Abdel Fatah sans un mandat de perquisition. Lui et sa femme ont été battus et enlevés, tout cela pour le « crime » d’avoir participé à l’organisation de la manifestation du 26 novembre. Le lendemain matin, il a été interrogé à la Direction de la Sécurité du Caire et sa détention a été prolongée de quatre jours en attendant l’enquête.
La loi sur les manifestations, draconienne et kafkaïenne dans son essence même, n’est pas la première des lois visant à criminaliser la protestation à être adoptée depuis 2011. L’armée et les Frères musulmans ont tous deux tentés et échoués à adopter et à faire respecter ce type de lois. Cette nouvelle loi se présente sous les atours de la primauté du droit, supposé libre de toute influence politique, mais son intention est claire : écraser la dissidence et permettre en outre aux policiers de recourir à la violence et à la force meurtrière.
Nous n’appelons pas à réformer la loi sur la protestation. Il s’agit de rejeter toutes ces lois et tout le système derrière la loi - un système qui n’est rien d’autre qu’un nouveau visage de celui que nous avons combattu le 25 janvier 2011. Après le coup d’Etat militaire du 3 juillet, le chef de l’armée a nommé un gouvernement composé de libéraux, d’anciens responsables de la police et de généraux de l’armée ainsi que quelques individus considérés comme ayant participé à la révolution du 25 janvier. Dans leur tentative d’interdire toute opposition dans la rue, le rôle des libéraux et des prétendus « révolutionnaires » est de légitimer la violence d’un régime autoritaire. Ces figures sont les marionnettes d’une tentative de recréer un régime pré-25 janvier en Egypte, où l’assassinat et la torture étaient la norme. Leur rôle est d’éviter l’indignation dans la rue. La justification utilisée pour revenir au régime d’avant le 25 janvier est la lutte contre la « terreur » et la nécessité d’imposer la « stabilité » et l’ « ordre ».
Nous ne descendrons pas dans la rue pour le bon vouloir et la convenance d’un régime contre-révolutionnaire et de ses forces armées. Malgré la tentative des généraux de neutraliser la révolution en détournant les mobilisations du 30 juin afin d’assouvir leur propre soif du pouvoir, la Révolution du 25 Janvier retrouve le chemin de la rue. Nous nous opposerons à ce système partout où c’est possible. Restez à nos côtés. Ce système doit tomber.
Des camarades du Caire.
Source :
http://roarmag.org/2013/12/comrades-from-cairo-we-dont-need-permission-to-protest/
Traduction française pour Avanti4.be : G. Cluseret.
Jacques Chastaing
Le 5 décembre 2013, 5000 des 13.000 ouvriers de l’usine de la Société égyptienne pour le fer et l’acier (HADISOLB) de Helwan (banlieu du Caire), ont entamé leur deuxième semaine de grève.
Ils exigent le paiement de 16 mois d’arriérés de participation aux profits annuels qui devaient être payés pour moitié en novembre 2013 et qui complètent de manière importante les salaires des ouvriers. Ils exigent également la réembauche des ouvriers licenciés précédemment, l’amélioration des conditions de travail, mais aussi le limogeage des dirigeants de l’entreprise, accusés de corruption. Ce qui montre que la révolution est toujours dans les esprits, puisque cela reprend une revendication commune à une grande partie des grèves depuis la révolution de 2011 qui a « dégagé » Moubarak, celle de « dégager » également tous les pouvoirs économiques, patrons et directeurs d’entreprises, un pas vers la révolution sociale.
La grève a démarré après que le président du syndicat d’État, Abdel Fattah Ibrahim, qui a visité l’usine fin novembre, avait annoncé un paiement des primes dans les 48 heures. Un sit-in puis la grève ont démarré en réaction au non-respect de cette énième promesse.
Conscients d’être au cœur d’une bataille politique qui dépasse leurs revendications économiques, les ouvriers ont déplacé la contestation hors de l’enceinte de l’usine en ayant organisé une manifestation à Helwan, alors qu’ils n’avaient pas obtenu l’autorisation du ministère de l’Intérieur, comme l’exige la nouvelle loi répressive mise en place à la fin du mois de novembre.
Alors que le pouvoir réprime violemment tous les révolutionnaires qui tentent d’occuper la rue pour dénoncer cette loi, il n’a pas osé intervenir contre les ouvriers d’Helwan, et a, au contraire, promis qu’il allait répondre positivement à leurs revendications.
Il faut dire, d’une part, qu’Helwan est une cité sensible du Caire, très ouvrière, d’environ 1 million d’habitants, comprenant de nombreuses usines importantes du textile ou du ciment et, d’autre part, que les tensions sociales montent puisque cette grève suit celle des 18’000 salariés des cristalleries d’Asfour pour des revendications semblables, toujours au Caire. Par ailleurs, enfin, le syndicat des médecins des services publics hospitaliers vient d’annoncer une grève générale le 1er janvier 2014, où les médecins assureraient gratuitement les soins, pour gagner la sympathie de la population. Or cette annonce de grève a immédiatement obtenu le soutien des personnels ouvriers des hôpitaux qui ont déclaré qu’ils allaient s’y associer.
Le pouvoir a tout à craindre qu’une répression trop violente des grèves et des manifestations ouvrières n’aboutisse à une jonction de ces luttes avec les protestations actuelles des démocrates et révolutionnaires contre le régime militaire qui interdit, de fait, grèves et manifestations puisqu’il les soumet à autorisation préalable.
Or le nombre de grèves ne cesse d’augmenter régulièrement, ainsi que les protestations populaires contre la pénurie et l’augmentation du prix des bonbonnes de gaz, que là aussi, le pouvoir hésite à réprimer violemment.
Tout annonce la marche vers une nouvelle explosion sociale à dynamique politique. La question n’est pas tant de savoir quand elle aura lieu, car c’est inéluctable. Mais elle est de savoir si les révolutionnaires socialistes sauront donner une expression politique coordonnée à cette volonté de dégager tous les petits dictateurs économiques dont témoignent les grèves ouvrières. Dictateurs économiques qui sont aussi politiques, puisque les militaires possèdent environ 25% de l’économie égyptienne.