Dossier sur l’après Chavez (I) : La politique internationale du chavisme

Claudio Katz, Guillermo Almeyra, Jean-Philippe Divès 28 mars 2013

La mort du président Chavez a ouvert un intense débat sur son bilan et sur l’avenir du « processus bolivarien ». Tandis que les médias dominants ont accumulé les caricatures, à gauche, certains hommages ont versé dans un culte acritique de la personnalité fort peu compatible avec le socialisme. La disparition de Chavez ouvre également un scénario de transition incertain au Venezuela, dont la première étape est marquée par les prochaines élections du 14 avril. Si la majorité du peuple vénézuélien a clairement exprimé son soutien et sa volonté de poursuivre le processus en cours, les divisions et les contradictions au sein des différents courants chavistes risquent, en l’absence du dirigeant unificateur, de prendre rapidement le dessus. Pour poursuivre l’évaluation du bilan du chavisme, nous reproduisons ci-dessous une série de textes présentant de manière constrastée les positionnements de Chavez sur les questions internationales. Nous reviendrons prochainement sur la question de la transition « post-Chavez » au Venezuela et la campagne en cours pour les présidentielles. (Avanti4.be)

Notre Chávez

Claudio Katz

Bien que la fin était attendue, il restait toujours un peu d’espoir. De nombreuses voix demandaient « qu’il tienne le coup parce que nous avons besoin de lui ». Cela n’est pas arrivé et la tristesse envahit des millions de personnes face à l’irréparable. Quelqu’un d’indispensable est parti et aucun hommage de comblera cette perte. Chaque commémoration choisit un profil : le leader, le communicateur, le tribun, le volcan d’énergie, l’audacieux. Mais certains hommages dissolvent son héritage sur le socialisme et l’ALBA (Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique, NdT)

Chávez a remis en question à haute voix le capitalisme et a récupéré un projet d’émancipation qui semblait enterré. Il a repris des concepts, rappelé des marxistes oubliés, dénoncé la bourgeoisie et déclaré son admiration pour Cuba. Il a transmis des idées d’égalité sociale et de démocratie réelle qui ont provoqué un bouleversement dans la conscience des opprimés. Il n’a pas vaguement défendu la dignité et les droits des humbles. Il a appelé à imaginer une société sans exploitation, concurrence et soif du profit.

Cette dimension ne dérange pas seulement les partisans du « capitalisme sérieux ». Elle dérange aussi les sectaires, irrités par n’importe quelle optique qui ne suit pas leurs recettes. Ils critiquent la distance entre le projet et sa concrétisation, comme s’ils avaient démontré une quelconque capacité à réduire cette brèche. Chávez a sauvé le socialisme des livres d’histoire pour le placer à nouveau parmi les possibilités d’avenir.

Il a de nouveau démontré que cet horizon est compatible en Amérique latine avec le patriotisme révolutionnaire. Il a répété la trajectoire des militaires anti-impérialistes qui se sont radicalisés en convergant avec les luttes sociales. Et il a obtenu une sintonie avec son peuple et un impact continental qu’aucun Torrijos ou Velazco Alvarado (1) n’ont pu avoir.

Il faut prendre avec plus de précaution les analogies avec le péronisme (2). Il est vrai qu’il a dirigé la même irruption des masses autrefois silencieuses et la même obtention de conquêtes sociales. Mais Chávez suivait un chemin cubain totalement opposé à l’ordre conservateur. C’est pour cela qu’il n’a jamais instauré des appareils aussi régressifs que le justicialisme (parti et mouvement du président populiste argentin Juan Péron, NdT). Au lieu de s’affronter à la jeunesse mobilisée, il encourageait l’idée d’une patrie socialiste.

Chávez a stimulé l’intégration régionale, mais il n’idéalisait pas les affaires et les profits patronaux. Il les acceptait comme une donnée du scénario actuel et les concevait comme des instruments de récupération de souveraineté. Son projet était l’ALBA : l’unité par la coopération. Il a commencé en impulsant l’échange de pétrole contre des éducateurs avec Cuba et a fini par lancer d’inoubliables campagnes de solidarité avec les démunis d’Haïti, les dépossédés d’Amérique centrale et les pauvres de Bolivie. Ces initiatives furent interprétées comme des « manœuvres de pétro-diplomatie » par ceux qui ne conçoivent les actions que menées par la cupidité.

L’ALBA tente une autre construction latino-américaine, avec moins de fonctionnaires et plus de mouvements sociaux. Chávez l’a conçue en récupérant l’expérience de Bolivar (3). Si la guerre d’indépendance s’est étendue par la libération des esclaves et en éliminant la servitude, la bataille actuelle contre l’empire exige une plus grande intervention des sujets populaires. Dans la préparation de cette confrontation, il n’a pas économisé les dénonciations contre la superpuissance étatsunienne.

L’Amérique latine a perdu la voix de la radicalité qui se détachait dans tous les forums afin de paver la voie à une stratégie anti-impérialiste. Un grand vide régional s’est créé qui n’a pas (pour le moment) de substitut. Quand on discute pour savoir si Dilma Roussef (présidente du Brésil, NdT) ou Cristina Kirchner (présidente de l’Argentine, NdT) ont le charisme suffisant pour le remplacer, on oublie le contenu du leadership disparu. Le commandant disait la vérité crue parce qu’il ne craignait pas de défier les puissants. C’est pour cela qu’il se moquait des diplomates yankees et des roitelets européens qui tentaient de le faire taire.

Chávez a su combiner la cohérence avec l’intelligence dans l’évaluation des rapports de force. Cette capacité fut très visible dans la dernière période, quand il a reorganisé le gouvernement, forgé une équipe, positionné Maduro et affaibli Capriles (leader de l’opposition vénézuélienne de droite, NdT). Il a ainsi conjuré le vide de pouvoir tant espéré par la droite. Mais, avec l’énergie déployée dans la campagne électorale, il a accéléré sa propre fin. (…)

La dispute entre l’approfondissement ou le gel du processus vénézuélien est devenue plus incertaine. Il existe une tension quotidienne avec les bureaucrates qui utilisent le masque bolivarien pour s’enrichir, en recréant l’économière rentière exportatrice et la consommation improductive. Ils bloquent la construction d’une économie industrielle, efficiente et auto-suffisante en alimentation. Ils accumulent des fortunes grâce aux devises du fonds pétrolier, creusent le déficit budgétaire et préservent le cycle des dévaluations.

Pour leur part, de nombreux opposants reconnaissent, maintenant, le grand changement effectué dans la distribution de la rente pétrolière. Ils acceptent le fait que ces ressources ont été canalisées avec profit vers l’alimentation, l’éducation, la santé et le logement populaires. Mais ils n’expliquent jamais pour quelle raison aucun président antérieur n’a concrétisé une telle transformation.

Les conquêtes engrangées sont évidentes et sont très significatives. Mais elles ne sont pas suffisantes et pourraient même être perdues si on retarde la radicalisation du processus révolutionnaire. Il n’y a plus de conducteur et le moment est venu de constituer des directions plus collectives et élues par la base. Cette évolution est possible par le caractère inattendu des processus historiques. Il y a dix ans, par exemple, personne n’imaginait le tournant qu’allait introduire le mouvement bolivarien.

Chávez entrera dans l’Histoire par la grande porte pour occuper une place à côté du Che. Guevara fut le symbole d’une révolution montante qui réveilla de grandes expectatives dans l’expansion immédiate du socialisme. Chávez est apparu dans un autre contexte. Il a exprimé les rébellions qui ont secoué l’Amérique latine au début du XXIe siècle et a incarné leurs victoires contre le néolibéralisme. Deux figures exceptionnelles pour deux moments d’un même chemin vers l’égalité, la justice et l’émancipation.

Claudio Katz est un économiste marxiste, chercheur au Conseil National des Sciences et des Technologies (CNCT) et professeur à l’Université de Buenos Aires (Argentine). Il a récemment publié « Bajo el Imperio del capital » (Bogota 2011), une analyse renouvelée sur l’impérialisme aujourd’hui. Il est membre de l’association des Economistes de Gauche (EDI).

Source : http://www.rebelion.org/noticia.php?id=164976
Traduction française pour Avanti4.be : Ataulfo Riera

Notes :

1) Le Général Omar Efraín Torrijos Herrera est un officier panaméen. Bien qu’il n’ait jamais officiellement porté le titre de Président de la République, il fut, officieusement, le seul dirigeant du pays de 1968 à sa mort en 1981. Velazco Alvarado : militaire et homme politique péruvien né à Piura le 16 juin 1910 et mort à Lima le 24 décembre 1977. Il fut Président du Pérou entre 1968 et 1975 avec le titre de « Président du Gouvernement révolutionnaire » (Wikipédia)
2) Le « Mouvement national justicialiste », ou « péronisme » est le mouvement de masse argentin créé autour du président populiste Juan Perón, qui fut un acteur politique majeur en Argentine à partir des années 1940. Le Parti justicialiste, qui fut interdit du coup d’Etat de 1955 à 1972, représente l’organe officiel du mouvement, mais l’influence du péronisme fut aussi forte dans la CGT argentine. (Wikipédia)
3) Simon Bolivar (1783-1830) : Héros et leader de la guerre d’indépendance latino-américaine contre la domination coloniale espagnole. Né au Venezuela, il rêvait d’un continent latino-américain unifié.

Venezuela : Les ressorts d’une politique extérieure erratique

Jean-Philippe Divès

Un jour Chávez dit à Obama qu’il « veut être son ami », un autre il le traite de « clown » et de « honte pour le peuple noir », plus tard il affirme que s’il était nord-américain il voterait pour lui… Cela, tout en réitérant à intervalles réguliers ses condamnations de l’impérialisme US, « plus grand terroriste de l’Histoire du monde ». Où est la logique de telles prises de position – et d’autres, parfois encore plus surprenantes ?

Les relations entre les Etats entraînent des contraintes pour le plus progressiste des gouvernements, et chaque accord économique n’a pas nécessairement une signification politique. Il reste que les grands choix de politique étrangère entrent toujours en résonance avec les objectifs poursuivis à l’intérieur du pays. Ceux du gouvernement vénézuélien doivent donc être pris en compte pour analyser son cours politique.

Commençons par les orientations mises en œuvre en Amérique latine.

De l’ALBA au Mercosur

L’ALBA (« Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique ») visait, dans l’esprit de Chávez, à offrir une alternative continentale au projet étatsunien (mis en échec par les mobilisations populaires) d’une « Zone de libre-échange des Amériques ». C’est en avril 2005 qu’elle a été portée sur les fonts baptismaux, à travers la signature d’un « Traité commercial des peuples » entre le Venezuela et Cuba. Outre les deux pays fondateurs, l’ALBA réunit aujourd’hui la Bolivie, le Nicaragua et l’Equateur, ainsi que trois petits Etats de la Caraïbe [1].

Si elle est loin d’avoir atteint ses objectifs initiaux, l’ALBA présente des traits progressistes inédits, qui la différencient de tous les autres blocs économiques régionaux. A l’opposé du néolibéralisme dominant, elle est fondée sur des principes de coopération et de solidarité, mis en œuvre à travers une série d’accords bilatéraux ou multilatéraux qui, peu ou prou, bénéficient aux peuples concernés. Ainsi, le Venezuela met à la disposition d’autres pays ses moyens de transport et leur fournit du pétrole à des prix préférentiels, Cuba développe chez ses partenaires d’importants programmes d’aide médicale, etc. Quant au commerce interne à la zone, il s’efforce de tenir compte des inégalités de développement en appliquant des mécanismes de compensation.

Cependant, un an après la fondation de l’ALBA, Chávez présentait également la candidature du Venezuela au Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay et – à l’époque – Paraguay). Après une longue attente, il a fini par l’intégrer en juillet 2012 [2]. Et là, c’est tout autre chose, car ce marché commun sud-américain est fondé sur les mêmes principes que l’Union européenne ou que l’accord de libre-échange de l’Amérique du Nord : la libre circulation des marchandises et des capitaux. Un membre du Parti communiste argentin, pourtant pas un critique forcené, estime que « face au modèle d’ouverture, de concentration et d.exclusion imposé par le néolibéralisme, le Mercosur n’a pas été un mur de contention de l’avancée libérale mais plutôt une forme idiosyncratique ou ‘‘autonome’’ pour administrer l’austérité » [3]. En termes moins ampoulés : c’est un espace néolibéral autonome et relativement indépendant de la superpuissance étatsunienne, dominé par la puissance montante du capitalisme brésilien.

D’où des interrogations, pour le moins, sur l’impact que cette adhésion aura sur l’économie vénézuélienne. Chávez parle d’une « bénédiction » qui permettrait de créer des centaines de milliers d’emplois, grâce à l’installation d’entreprises brésiliennes et argentines, attirées par l’énergie et les matières premières bon marché mises à leur disposition aux portes de la Caraïbe. Mais d’autres observateurs, y compris certains chavistes de gauche, estiment que la faible structure industrielle du pays pourrait ne pas y résister et que le gagnant sera dans tous les cas le grand capital brésilien. Beaucoup s’interrogent aussi sur le sort des accords passés dans le cadre de l’ALBA et craignent que celle-ci ne soit désormais menacée.

Les mauvaises fréquentations

Le 13 septembre dernier à Caracas, Chávez adressait « (son) salut et (ses) vœux au président Bachar al-Assad et au peuple syrien qui résistent à une agression impérialiste ». Le 9 octobre, il rendait d’abord hommage à Khadafi : « J’étais très ami avec Mouammar Kadhafi, le chef de l’Etat libyen. Il a été torturé, assassiné. Les derniers mots de Kadhafi ont été : « Je mourrai comme le Che. Je vais au martyr » (Où a-t-il trouvé cela ?)

Puis il revenait sur la Syrie en déclarant : « Est-ce que quelqu’un peut être d’accord avec l’agression que subit la Syrie (…) J’aimerais bien faire quelque chose mais que peut faire le Venezuela ? (…) Nous devons défendre la souveraineté de tous les pays (…) Comment ne pas appuyer le gouvernement si c’est un gouvernement légitime (…) Le monde est entré dans une nouvelle guerre impériale. C’est lamentable. »

Mais la relation la plus « spectaculaire » est sans doute celle engagée de longue date avec le régime des mollahs. Chávez s’est rendu treize fois en Iran depuis le début de sa présidence, tandis qu’Ahmadinejad a été reçu six fois à Caracas depuis 2005. Et ils ne parlent pas que de commerce ou de coopération technique. L’un et l’autre s’apprécient et se qualifient réciproquement de « frères ». Lors de leur avant-dernière rencontre, en janvier 2012, Chávez a rappelé sa « volonté de continuer à travailler ensemble pour freiner la folie impérialiste qui se déchaîne aujourd’hui comme jamais depuis longtemps avec un pouvoir terrible, menaçant (…) L’une des cibles que vise l’impérialisme yankee est l’Iran, et c’est pourquoi nous montrons notre solidarité. »

Un seul objectif

L’un des supporteurs français de Chávez les moins critiques, François Delapierre, le secrétaire national du Parti de Gauche (qui fait partie du Front de Gauche français -NDT), relevait récemment que « pour le Venezuela, les relations internationales ne sont pas un à côté de la politique gouvernementale. Elles sont une condition matérielle de l’indépendance nationale visée par le pouvoir bolivarien. » [4] Mais une chose est de combattre les ingérences et menaces impérialistes, autre chose, totalement différente, est d’accorder son soutien politique et son amitié à des directions bourgeoises qui figurent parmi les dictatures anti-ouvrières les plus féroces de la planète.

L’absence dans la diplomatie vénézuélienne de tout critère de classe, le fait qu’elle ne se préoccupe en rien du combat des travailleurs iraniens ou chinois, ni même de celui des peuples en dehors du continent latino-américain, confirment en tout cas que le discours socialiste de la direction chaviste est purement rhétorique. Delapierre, à sa manière, à raison : de l’ALBA et du Mercosur aux relations avec la Chine, la Russie, l’Iran ou la Syrie, le seul objectif poursuivi est l’indépendance nationale.

Encore faut-il signaler que les relations avec les Etats-Unis ne sont pas exactement ce qu’il en est dit. Chávez a beau dénoncer périodiquement l’impérialisme US comme le mal incarné (que certainement il est), les relations avec lui empruntent des chemins plus tortueux... et pragmatiques.

Des rapports tendus mais pragmatiques

Il est prouvé, de notoriété publique, que l’administration Bush avait au moins soutenu (si ce n’est encouragé ou provoqué) le coup d’Etat de 2002. Mais aujourd’hui, et contrairement à ce que la gauche chaviste se plait à répéter, ce n’est plus la politique des Etats-Unis. Parce que la mobilisation des peuples latino-américains les a fait reculer, que la puissance impériale a d’autres sujets de préoccupation, prioritaires (Moyen-Orient, Asie…), mais aussi parce que ses dirigeants considèrent désormais qu’ils peuvent s’accommoder pour un temps de Chávez. Après tout, celui-ci ne s’en est pris que marginalement aux intérêts de leurs entreprises. Le Venezuela reste un pays capitaliste où elles continuent de faire leurs affaires, la situation n’y a rien à voir avec les expropriations sans indemnités et la nationalisation totale de l’économie cubaine, il y a maintenant plus de 50 ans.

Les relations commerciales n’ont jamais été interrompues. En lui livrant un peu un peu moins de 10 % du total de ses importations, le Venezuela est le quatrième fournisseur de pétrole des Etats-Unis. Et, quand bien même le pays caribéen tente de réduire cette dépendance (en particulier par de nouveaux contrats avec la Chine), ses livraisons à l’Oncle Sam représentent toujours la majeure partie de ses exportations. De même ce dernier reste-t-il, et de loin, le principal fournisseur du Venezuela. [5]

La page Internet du Département d’Etat (ministère des affaires étrangères) étatsunien sur le Venezuela rend compte de cette approche plus apaisée : « Indépendamment des tensions dans les relations bilatérales, les Etats-Unis continuent de rechercher avec le gouvernement vénézuélien des engagements constructifs, en se concentrant sur les domaines dans lesquels la coopération est de l’intérêt des deux nations. Des exemples de tels intérêts communs sont la coopération dans la lutte contre le narcotrafic et le terrorisme, ainsi que les relations commerciales. » [6].

Notes :

[1] Qui, curieusement, ont en commun d’être à la fois des pavillons de complaisance et des paradis fiscaux. Il s’agit de la Dominique, de Saint-Vincent-et-les-Grenadines et d’Antigua-et-Barbuda.
[2] Le Sénat paraguayen dominé par la droite avait mis son veto à l’adhésion du Venezuela. Cet obstacle a été levé de fait lorsque les trois autres pays membres du Mercosur ont suspendu la participation du Paraguay suite au coup d’Etat institutionnel ayant renversé le président Fernando Lugo.
[3] http://www.nuestrapropuesta.org.ar/Numerosanteriores/782/PAG4A.htm Le petit PC argentin soutient le gouvernement de Cristina Fernández.
[4] http://www.francoisdelapierre.fr/ou-il-est-question-du-venezuela-et-de-deux-journalistes/
[5] En 2011, les marchandises étatsuniennes ont représenté 32 % des importations du Venezuela, suivies par celles en provenance de l’Union européenne (14 %), de Chine (9 %), du Brésil (9 %) et de Colombie (5 %). Inversement, les Etats-Unis ont été destinataires de 40 % des exportations vénézuéliennes, devant la Chine (8 %), l’Inde (8 %), Singapour (5 %) et Cuba (5 %).
[6] http://www.state.gov/r/pa/ei/bgn/35766.htm

Publié dans : Revue Tout est à nous ! 38 (décembre 2012).
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?page=article_impr&id_article=28087

Les efforts d’intégration latino-américaine à l’ère post-Chavez

Guillermo Almeyra

Hugo Chávez était, même avec ses erreurs et carences aussi grandes que sa figure historique, le plus radical et le plus ferme de tous les chefs d’Etats « progressistes » d’Amérique latine et de tous les politiciens de ce secteur dans notre continent. Il était capable d’évoluer, de sentir l’influence populaire, de répondre aux adversités par la lutte et la ténacité et, même s’il s’appuyait sur un appareil – en particulier sur les forces armées – il ne dépendait pas de lui, ni pour mener la politique qu’il se traçait, ni pour faire de la politique tout court. Dans un continent de caudillos, et étant lui-même un caudillo qui mesurait tout en référence à sa personne et voyait l’organisation des travailleurs comme une émanation propre (c’est pour cela qu’il disait que « les syndicats sont contre-révolutionnaires »), il n’était pas seulement un caudillo.

A la différence de Rafael Correa, de Cristina Fernández Kirchner, de Dilma Rousseff ou de José Mujica, il était anticapitaliste et tentait, à partir du pouvoir, de produire – et de contrôler – un encore bien vague « pouvoir populaire » (que les forces armées et l’appareil d’Etat se chargaient d’asphyxier). A la différence d’Evo Morales, il n’était pas l’édificateur d’un Etat capitaliste plus moderne, développementiste et extractiviste car, bien qu’il appliquait une politique où tout repose encore sur l’exportation du pétrole aux Etats-Unis et bien qu’il promouvait l’industrialisation, il cherchait à tâtons et sans beaucoup de résultats à construire un Etat non capitaliste, sur des bases plus démocratiques et qu’il appelait de manière floue le « socialisme du XXIe siècle ». Son modèle se différenciait à la fois du néo-développementisme et du système bureaucratique soviétique, cubain, chinois et vietnamien. C’est pour cela que sa disparition se fera ressentir non seulement au Venezuela mais aussi dans toute l’Amérique latine et, en particulier, dans les organisations et institutions qu’il a impulsées.

Le Mercosur (1), à moitié freiné par les intérêts rivaux d’un grand pays – le Brésil – qui voit un autre plus faible – l’Argentine – comme un marché et non comme un partenaire, mais aussi par les vains efforts de Buenos Aires pour le contrecarrer, pourrait sortir de son enlisement si le Venezuela et ses excédents pétroliers jouent en son sein un rôle important. Et cela malgré la réticence de Brasilia face au projet chaviste de BancoSur (Banque du Sud, NdT), qu’elle voit comme un concurrent à sa propre Banque de Développement.

Si, pour consolider son pouvoir, la nouvelle équipe, qui dépend du chavisme nationaliste et conservateur des forces armées, opte pour un renforcement du clientélisme et de la dépendance totale envers la rente pétrolière (qui sont des tares de l’économie vénézuélienne que Chavez combattait) pour mener une politique de subsides, d’assistentialisme et d’importations indiscriminées, il est possible que ce secteur parvienne à préserver une certaine popularité que Chavez cherchait à obtenir, par contre, par des mesures rénovatrices. Mais cette voie ne pourra que renforcer la bolibourgeoisie et la corruption et mettra en sourdine les efforts d’intégration sur le plan latino-américain.

Ce danger menace également l’ALBA, les relations avec les pays caribéens, le soutien à Cuba pour qu’elle obtienne du combustible meilleur marché et qu’elle puisse acheter des aliments. Surtout parce que, dans l’ALBA, aucun pays n’est en condition de remplacer le Venezuela dans son rôle de locomotive, et aucun leader politique n’a la taille ou le prestige nécessaires pour remplacer Chavez comme animateur politique de cette organisation.

La même chose peut arriver avec l’UNASUR (2) qui repose surtout sur le trio Brésil-Argentine-Venezuela et qui perdrait ainsi l’un des pieds de ce tripode s’il se réduit à de simples accords bilatéraux. Dans l’UNASUR, Rafael Correa, et surtout Dilma Rousseff, sont ceux dont le pouvoir est le plus affermi. Mais le premier a une économie très faible et, en outre, dollarisée, et la seconde dépend beaucoup trop d’une bourgeoisie très forte qu’elle satisfait continuellement (ce qui fait que certains parlent, stupidement, d’un sous-impérialisme brésilien alors que le Brésil a des accrochages constants avec Washington pour préserver, justement, sa propre marge d’action capitaliste).

Quant à Cristina Fernandez Kirchner, il est très probable qu’elle ne pourra pas obtenir la modification de la Constitution qui l’autoriserait à exercer un troisième mandat consécutif. Son gouvernement semble déjà « has been » et un probable sucesseur surgi du sérail sera très probablement plus à droite qu’elle. En outre, avec un gouvernement paraguayen de droite, mais constitutionnel, et ainsi réadmis dans le concert des nations sud-américaines, avec le Chili en crise politique mais sans grands changements et avec une crise politique en Colombie qui gêne le président Juan Manuel Santos - qui a opté pour prendre des distances avec le Venezuela - dans son combat pour éviter le retour de l’ultra-réactionnaire Álvaro Uribe, le panorama de l’UNASUR changera beaucoup par rapport à ce qui dominait quand Chávez en était la force impulsive.

Tout dépend donc, dans une grande mesure, de l’évolution du post-chavisme officiel au Venezuela et, surtout, de la réaction populaire pour défendre pied à pied les conquêtes et la participation des travailleurs et des pauvres, pour créer et élargir le pouvoir populaire en donnant de la force et des idées à l’autogestion, à la lutte pour l’unité syndicale, à l’organisation de communes qui administrent le territoire pour couper ainsi l’herbe sous le pied à la droite oligarchique et pro-impérialiste et aux secteurs verticalistes et bureaucratiques du chavisme officiel, qui chercheront à faire des concessions à cette même droite et à la boligourgeoisie.

Passé le moment de deuil profond, le meilleur de l’héritage de Chávez – oser et s’insubordonner - sera à l’ordre du jour, ainsi qu’une discussion-bilan sur ce qu’il faut changer et sur quelle doit être la stratégie pour l’avenir proche. Seule la préparation des bases du socialisme pourra préserver l’indépendance nationale et les progrès matériels réalisés au temps d’Hugo Chávez.

Source : http://www.rebelion.org/noticia.php?id=164955
Traduction française pour Avanti4.be : Ataulfo Riera

Notes :

1) Mercosur : Le « Marché commun du Sud », né en 1991, est une communauté économique qui regroupe plusieurs pays de l’Amérique du Sud.
2) Union des nations sud-américaines, né en 2008, anciennement connue sous le nom de Communauté sud-américaine des Nations, est une organisation intergouvernementale intégrant deux unions douanières présentes dans la région : le Marché commun du Sud (Mercosur) et la Communauté andine (CAN), dans le cadre d’une intégration continue de l’Amérique du Sud. Son objectif est de « construire une identité et une citoyenneté sud-américaine et [de] développer un espace régional intégré ». Elle est composée des douze États d’Amérique du Sud (Wikipédia)