Dossier. Mobilisations antifascistes, arrestation des dirigeants néonazis, rumeurs de coup d’Etat : Où va la Grèce ?

Jerome Roos, Theodora Polenta 30 septembre 2013

Les événements se précipitent en Grèce, avec comme toile de fond la crise sociale sans précédent que traverse ce pays du fait des politiques d’austérité imposées par le gouvernement et la Troïka (UE, BCE, FMI). Le 17 septembre, un militant antifasciste était assassiné par les bandits nazis de l’Aube Dorée. Dès le lendemain, les manifestations antifascistes se sont multipliées ainsi que les attaques contre les sièges de ce parti fasciste, protégés par la police anti-émeute. Une semaine après le meurtre, ce sont plusieurs dizaines de milliers de manifestants qui défilaient à Athènes à l’appel de tous les partis de gauche et des syndicats. Ce 28 septembre, après le limogeage de plusieurs chefs de la police réputés proches des nazis, et alors que des rumeurs de coup d’Etat de l’armée se font insistantes, survient un événement inattendu : la police a procédé à l’arrestation de plusieurs dirigeants de l’Aube Dorée, accusés d’avoir formé une "organisation criminelle", et cela alors qu’il y a quelques jours encore les partis au pouvoir évoquaient la possibilité de former une coalition avec cette même organisation... Nous reproduisons dans ce dossier une série d’articles qui analysent ces différents moments d’une "crise dans la crise" dont les conséquences pourraient bien bouleverser la situation (Avanti4.be)

Mobilisation contre les assassins fascistes

Theodora Polenta

L’assassinat du musicien antifasciste Pavlos Fyssas, poignardé à mort mardi 17 septembre à minuit, au Pirée, près d’Athènes, par un militant fasciste, Giorgos Roupakas, a déclenché un tollé national contre les violences fascistes.

L’Aube Dorée, le parti dont Roupakas était membre, a désavoué celui-ci et fait semblant de ne pas le connaître ! Mais internet et les journaux ont publié des photos du tueur embrassant des députés de premier plan de l’Aube Dorée.

Noyaux armés et entraînés à la violence

Le chef du parti, Ilias Kasidiaris, a déclaré que celui qui oserait accuser l’Aube Dorée de responsabilité dans l’assassinat serait poursuivi. Le tueur avait demandé à sa femme de se débarrasser de sa carte de membre de l’Aube Dorée. Mais il travaillait dans un café de l’Aube Dorée tandis que sa femme était la femme d’ouvrage du bureau local de l’Aube Dorée...

Une interview donnée par un ancien membre de l’Aube Dorée au journal Ethnos (publiée les 20 et 21 septembre) et d’autres rapports ont révélé qu’existe dans les locaux de l’Aube Dorée un noyau fermé de militants organisés avec une discipline militaire. Ce sont des gens de ce noyau qui ont mené l’attaque contre Paul, ainsi que l’attaque à Perama, près du Pirée, le 12 septembre, contre un groupe de colleurs d’affiches du Parti communiste (KKE) qui s’est terminée par l’hospitalisation de neuf de ceux-ci.

Ces noyaux sont équipés d’armes, qu’ils ont pu cacher lors des descentes de police parce que le parti est averti à l’avance de ces descentes grâce aux informations données par des policiers qui sont membres de l’Aube Dorée.

Parmi les révélations récentes, on a appris que l’Aube Dorée se fait de l’argent avec les vêtements que leurs sympathisants donnent au parti au nom de la « solidarité pour les plus démunis" en vendant ces vêtements à des immigrés pakistanais qui les revendent ensuite dans les marchés de rue.

On a appris aussi que des tarifs ont été établis pour les agressions : 100 EUR pour casser un bras, 200 EUR pour casser une jambe, 1000 EUR pour brûler une voiture, de 1500 à 2000 EUR pour envoyer quelqu’un à l’hôpital pendant un mois.

Mobilisation rapide

Le 18 septembre, des milliers d’antifascistes ont envahi les rues du quartier de Keratsini au Pirée et de dizaines de villes du pays. Le 21 septembre, une nouvelle manifestation a été appelée au Pirée par les syndicats des marins et des ouvriers des chantiers navals. Sous cette pression, l’Aube Dorée a reporté toutes les activités publiques qu’elle avait prévues pour le week-end.

Un grand rassemblement anti-fasciste a été appelé par les syndicats des secteurs privé et public à Athènes mercredi 25 septembre, premier jour d’une grève générale de 48 heures des travailleurs du secteur public. Car les dernières actions violentes des fascistes ont eu lieu dans un contexte de remontée de la lutte de la classe travailleuse, avec les grèves tournantes des enseignants et d’autres catégories de travailleurs du secteur public.

La classe dirigeante a d’abord espéré que l’attaque meurtrière des fascistes allait engourdir le mouvement de la classe travailleuse. L’ampleur des mobilisations est en train de leur donner tort.

La gauche divisée face aux fascistes

Pourtant, la gauche et le mouvement ouvrier ont sous-estimé le danger des néo-nazis.

Le Parti Communiste grec (KKE), en particulier, s’est moqué pendant des années des trotskistes qui jetaient leurs forces dans la lutte contre l’Aube Dorée. Il y a à peine un an et demi, un membre important du KKE, Giorgos Sifonios, président du syndicat de l’usine Greek Steel, a invité l’Aube Dorée dans l’usine occupée et a remis le micro au porte-parole de l’AD, Ilias Kasidiaris, pour qu’il puisse s’adresser aux travailleurs !

Syriza a eu une meilleure position mais, jusqu’à maintenant, elle a sous-estimé la menace de l’Aube Dorée. Des centaines de membres de base de Syriza jouent un rôle central dans la construction de comités antifascistes dans leurs quartiers, mais cela se fait sans plan et sans aucune coordination par la direction du parti. Et un certain nombre de députés de premier plan de Syriza ont envoyé le plus mauvais message en demandant une coopération au sein de l’« arc constitutionnel » (c’est-à-dire en appelant les partis de gauche à coopérer avec les partis pro Mémorandum au gouvernement - le PASOK et la ND - dont la politique a ouvert la voie pour les nazis).

Les plus petites sections de la gauche portent aussi une part de responsabilité dans cette division. La coalition anticapitaliste Antarsya et Keerfa (le Mouvement d’Unification contre le Racisme et la Menace fasciste, qui fait partie d’Antarsya) continuent, aujourd’hui encore, à agir parfois de manière sectaire et ont tendance à limiter les propositions d’action à l’organisation de marches (ce qui est bien sûr important, mais pas suffisant).

Ce n’est qu’unis et organisés que nous pourrons empêcher de nouveaux meurtres et écraser le fascisme. Organisés et coordonnés dans des comités locaux, complétés par des groupes d’autodéfense de travailleurs - c’est le seul moyen de gagner.

Quand nous disons " unis ", clarifions tout de suite une chose : ceux qui ont toléré l’Aube Dorée, qui ont attisé l’hystérie contre les immigrés et les prostituées - les partis politiques qui nous gouvernent et qui servent la Troïka l’Union Européenne, FMI et Banque Mondiale) les armateurs et les banquiers - n’entrent pas dans notre unité. Nous ne devons avoir aucune confiance, et surtout aucune dépendance, en eux ou en n’importe quelle version de l’« arc constitutionnel ».

La tâche de combattre le fascisme appartient à la gauche, aux syndicats et aux jeunes. Nous avons besoin de marches et d’actions contre les fascistes partout et tout de suite. Mais nous devons également comprendre que les protestations et les manifestations ne suffisent pas.

Une des premières priorités doit être l’organisation dans les écoles, les universités, les clubs de football et les maisons de jeunes. L’Aube Dorée a gagné du terrain dans certaines écoles secondaires et supérieures où elle est considérée comme "branchée" et à la base d’un sous-culture et d’un "mode de vie". La constitution d’une Coordination des Comités Antifascistes réunissant des groupes locaux partout dans Athènes et la région du Pirée est une étape très importante. Des avancées similaires ont lieu aussi en Macédoine et en Thessalie.

Notre lutte contre le fascisme est aussi une lutte contre le système capitaliste qui engendre et nourrit le fascisme. Un front anti-fasciste dirigé par Syriza et la gauche devrait être complété par une réponse globale à la crise et à la Troïka et par l’objectif d’un gouvernement de la gauche. La gauche doit revendiquer le pouvoir sur la base d’un programme qui élimine le pouvoir des capitalistes et ouvre la voie pour le contrôle des travailleurs.

Dans le cas contraire, la crise du système capitaliste dans lequel nous vivons aujourd’hui continuera à régénérer la menace fasciste, d’une manière ou d’une autre.

Pavlos Fyssas continuera à vivre parmi nous

Pavlos Fyssas, tué par un fasciste au Pirée le 17 Septembre, a grandi dans les quartiers ouvriers de Keratsini. Fils d’un ouvrier de chantier naval de Perama, il a lui aussi été travailler dans ces chantiers.

Depuis ses années d’école, il aimait le hip hop et d’auditeur il s’est rapidement transformé en artiste. Il a continué à travailler de temps en temps dans les chantiers navals, était membre du syndicat des métallos au Pirée et a toujours participé à ses mobilisations. Pavlos diffusait sa musique gratuitement via internet. " Il était l’une des cibles de l’Aube Dorée en raison des paroles antifascistes de ses chansons ", a reconnu un ancien membre de la section locale de ce parti.

Pavlos n’était pas membre d’un parti politique de gauche en particulier mais il participait régulièrement à des mouvements sociaux. Un soir d’hiver glacial, il a mobilisé tous les artistes hip hop pour aider les sans-abri dans les zones difficiles.

Mardi 17 septembre à minuit, trente voyous du mouvement fasciste de l’Aube Dorée l’attendaient devant le café où il regardait un match de football. Ils avaient été mobilisés par téléphone mobile. Trente contre un ! Même au moment de l’attaque, la première préoccupation de Pavlos a été de protéger ces amis. Il s’est détaché sur la foule, a regardé les voyous dans les yeux et leur a demandé s’ils avaient le courage de venir un par un. Ils ont préféré s’en remettre à un des leurs, Giorgos Roupakas, pour le poignarder à mort.

Bien que certains essaient de nous faire croire que c’était là un choc des « deux extrêmes », ce sont en fait deux mondes différents qui se sont affrontés dans la nuit. Celui de l’altruisme, du courage et du militantisme de la classe travailleuse telle qu’elle est exprimée par Pavlos Fyssas, et celui de la pourriture des nazis et du système qui les engendre.

D’après deux articles publiés le 25 septembre sur le site www.workersliberty.org

50.000 manifestants marchent sur le siège de l’Aube Dorée à Athènes

Jerome Roos

Alors que la gauche antifasciste vient de réussir une impressionnante démonstration de force, le gouvernement s’est finalement résolu à lancer une opération répressive tardive contre le parti néo-nazi.

Une semaine après que le chanteur antifasciste de hip-hop Pavlos Fyssas ait été assassiné de sang froid par un gang de voyous de l’Aube Dorée, des dizaines de milliers de manifestants antifascistes ont organisé un rassemblement impressionnant avant de marcher sur le siège de l’Aube Dorée à Athènes pour affronter face à face la menace grandissante du fascisme. Des affrontements ont éclaté brièvement après que la police anti-émeute ait empêché les manifestants d’atteindre les bureaux du parti et ont commencé à tirer des grenades lacrymogènes pour disperser la foule. Quelques cocktails Molotov ont été lancés, quelques poubelles brûlées et quelques vitrines de banque brisées, mais dans l’ensemble la marche est restée essentiellement pacifique.

Cette impressionnante démonstration de force s’est déroulée au milieu d’une vague croissante d’indignation populaire contre l’insistance du gouvernement à persister dans l’austérité et sa réticence délibérée à endiguer la montée d’un fascisme violent que sa politique a produite. Elle suit aussi immédiatement une grève de 48 heures du secteur public contre de nouvelles coupes budgétaires qui mèneront au licenciement d’au moins 12.500 fonctionnaires dans un pays où le chômage est déjà de 28% - plus encore que le pic de 25% observé aux Etats-Unis pendant la Grande Dépression en 1933.

La nouvelle vague de mobilisation sociale déclenchée par l’assassinat de Pavlos Fyssas semble avoir finalement poussé la coalition au pouvoir dans une répression très tardive contre le parti ouvertement néo-nazi et ses sympathisants au sein de l’appareil d’Etat. Le gouvernement a annoncé son intention de poursuivre tous les politiciens impliqués dans les attaques en vertu de la législation anti-terrorisme et a proposé de couper le financement public de leurs partis. Il a également ordonné à l’unité anti-terrorisme et aux services secrets d’enquêter sur l’infiltration de l’Aube Dorée dans la police et de l’armée.

Huit officiers supérieurs de la police ont déjà été licenciés pour garantir « l’objectivité » de l’enquête - certains d’entre eux sont accusés de ne pas avoir délivrer des ordres d’arrestation des membres de l’Aube Dorée à la suite de leurs attaques violentes - et deux autres ont démissionné en invoquant des "raisons personnelles". Pendant ce temps, les sympathisants fascistes au sein des forces armées spéciales sont maintenant accusés d’avoir clandestinement entraîné des milices de l’Aube Dorée dans les montagnes et des zones rurales. Dans une interview récente, un ancien membre de l’Aube Dorée a affirmé que le parti avait au moins 3.000 hommes en veille - entièrement formés et équipés d’armes "pour le moment venu."

Mais tout ceci soulève des craintes sur ce qui se passerait si le gouvernement devait aller de l’avant dans sa répression. Même si la criminalisation des actions violentes de l’Aube Dorée - commises avec l’assentiment, et peut-être même sous les ordres directs, du chef du parti Nikolaos Michaloliakos - peut en fin de compte conduire à la dissolution légale du parti, la question est de savoir ce que les partisans de celui-ci vont faire. Sur les 500.000 personnes qui ont voté pour l’Aube Dorée aux élections de l’an dernier, la plupart voteront probablement pour le parti conservateur au pouvoir du Premier ministre Samaras ou l’autre parti d’extrême-droite, les Grecs Indépendants, mais certains partisans du noyau dur pourraient refuser de laisser tomber sans combattre.

A mesure que les enquêtes officielles de l’Unité des Crimes Financiers montrent que la l’Aube Dorée est en fait financée par un groupe de riches hommes d’affaires, armateurs et dirigeants du clergé, le soutien populaire du parti est en train de s’effondrer rapidement. Un sondage récent indique un soutien ramené à 5,8% dans le sillage immédiat de l’assassinat la semaine dernière - à comparer avec le pic de 15% atteint il y a quelques semaines. Pendant ce temps, l’Aube Dorée a également été rejetée sur la défensive dans son combat sur le terrain pour le contrôle des rues et des quartiers. Elle a été contrainte de reporter le lancement de ses nouveaux locaux à Drama et Kavala, tout en fermant ses locaux à Ierapetra et en cachant ses enseignes d’autres locaux à travers le pays.

La manifestation antifasciste massive d’aujourd’hui et la récente convergence des luttes syndicales dans le secteur public semblent marquer le début d’une nouvelle vague de résistance populaire à la fois au néo-nazisme et à l’État néolibéral de plus en plus autoritaire dans lequel il s’est développé. Mais la lutte contre le fascisme est loin d’être terminée et des développements impossibles à prévoir sont encore à venir. Avec Athènes en flammes et le gouvernement de plus en plus sous pression, il est clair que certains des pires effets de la crise prolongée de la Grèce - qui avait déjà été envoyée à la poubelle par certains - sont peut-être encore à venir.

Publié le 26 septembre sur le site roarmag.com

Le chef de l’Aube Dorée arrêté mais les questions sur la répression subsistent

Jerome Roos

L’Etat grec réprime le mouvement néo-nazi mais on peut se demander s’il souhaite et s’il est capable de vraiment éradiquer la menace fasciste qu’il a créée.

C’est assez incroyable de voir la différence que peuvent faire deux semaines. Il y a à peine 10 jours, des responsables gouvernementaux et des membres de la coalition au pouvoir en Grèce discutaient ouvertement des possibilités d’un futur gouvernement avec le parti ouvertement néo-nazi de l’Aube Dorée. C’est alors qu’un groupe de voyous de l’Aube dorée a assassiné sans vergogne le rappeur antifasciste Pavlos Fyssas - et soudain tout a semblé changer.

Tandis que des dizaines de milliers de manifestants antifascistes descendaient dans les rues, des responsables gouvernementaux et des médias grand public ont pour la première fois ouvertement dénoncé ce parti comme étant une « organisation criminelle ». Des enquêtes ont été lancées, des officiers de police suspendus et l’Aube Dorée s’est effondrée dans les sondages.

Une répression et des questions

Aujourd’hui, la répression soudaine de l’Etat contre les extrémistes violents a pris un tour spectaculaire avec l’arrestation du leader incontesté du parti, Nikolaos Michaloliakos, par l’Unité nationale de Lutte contre le Terrorisme. Trois autres députés, ainsi qu’un dirigeant du parti pour la banlieue athénienne de Nikaia et 12 autres membres du parti ont également été arrêtés, tandis que de nouveaux mandats d’arrêt ont été émis pour plusieurs députés et membres du parti. Une bonne indication de la détermination du gouvernement à enfin balayer la base institutionnelle du mouvement néo-nazi est donnée par le fait que la répression actuelle se marque, pour la première fois depuis la chute de la junte militaire en 1974, par l’arrestation de députés, sans compter le chef officiel d’un parti.

Malheureusement, la répression institutionnelle et les accusations d’actions criminelles se sont fait attendre longtemps, car le gouvernement (avec la bénédiction de l’Europe) a toléré volontiers la prolifération de la violence néo-nazie contre les immigrés et les gauchistes pendant des années. Il y a donc de bonnes raisons de rester profondément sceptique sur les intentions réelles du gouvernement et sur les implications plus larges des arrestations pour l’avenir de la lutte antifasciste.

L’arrestation de ses dirigeants pourrait sans aucun doute paralyser l’organisation hiérarchique de l’Aube Dorée et paralyser temporairement les actions officiels du parti, mais elle ne supprimera pas la pénétration du fascisme dans le tissu même de l’État et de la société grecque. Plus important encore, un très grand nombre de policiers grecs et les principaux éléments des forces armées du pays continuent à soutenir et à adhérer à l’idéologie violente et ouvertement raciste de l’Aube Dorée.

Ce fait a été souligné lorsque, il y a quelques jours, un groupe de réservistes des forces spéciales a publiquement demandé au gouvernement de démissionner et a appelé ouvertement à un coup d’Etat militaire si celui-ci refusait de le faire. Comme l’Aube Dorée revendique le soutien de près de 60% des forces de police du pays, et comme la plupart de ses députés et de ses voyous ont jusqu’ici échappé à l’emprisonnement grâce aux penchants à droite du système judiciaire, il est également difficile de savoir à quel point la répression juridique sera vraiment efficace. Les charges actuelles peuvent mettre en route la criminalisation du parti mais on ignore jusqu’où les institutions étatiques sont vraiment désireuses et capables d’aller dans leurs efforts pour éradiquer le spectre du néo-fascisme.

Ces limites institutionnelles sont aggravées par le fait que l’Aube Dorée a toujours été soutenue par une section puissante de l’élite capitaliste oligarchique de la Grèce, dont les intérêts financiers ont été parfaitement servis par le discours anti-immigrés de l’Aube Dorée et par ses attaques violentes contre les militants anarchistes et communistes. Il y a quelque temps déjà, les enquêtes menées par la Section en charge des Crimes Financiers ont révélé que l’Aube Dorée est financée par un groupe de riches hommes d’affaires, d’armateurs et de prêtres orthodoxes (ceux-ci sont parmi les plus riches propriétaires terriens en Grèce). Ce sont les mêmes personnes qui contrôlent le gouvernement et les médias grecs et les mêmes aussi qui sont susceptibles de tirer les ficelles derrière les actions "sacrificielles" menées actuellement contre l’Aube Dorée.

Changement de stratégie

Alors pourquoi ces élites des affaires et de la politique ont-elles mis soudain tout leur poids dans la balance contre le parti néo-nazi sur lequel ils avaient précédemment fermé les yeux ou même qu’ils avaient activement soutenu ? Fondamentalement, l’élite grecque n’a toujours eu que deux options diamétralement opposées pour rester au pouvoir : soit essayer de coopter l’Aube Dorée en cajolant sa direction dans le cadre de la « politique traditionnelle », ou réprimer ce parti dans une tentative de récupérer ses électeurs. L’assassinat de sang-froid de Pavlos - qui semble avoir été ordonné par le chef du parti lui-même - et la puissante réaction populaire qu’il a déclenché ont rendu tout simplement intenable la première position. Et donc l’élite a imprimé un tournant à 180 degrés à sa stratégie et abandonné le groupe néo-nazi qui avait été précédemment si bénéfique pour ses intérêts.

Pour cette raison, il reste essentiel de se rappeler que l’Aube Dorée est loin d’être la seule expression du fascisme agitant aujourd’hui la société grecque. Comme je l’ai soutenu dans un précédent article, les partis "centristes" (la Nouvelle Démocratie sur la droite et le PASOK sur la gauche - NdT) ont fixé les paramètres politiques des politiques fascistes pendant des décennies, et de nombreux ministres, anciens et actuels, ont ouvertement exprimé leur soutien à la cause fasciste. Lors d’une interview rugueuse lors de l’émission Hardtalk hier à la BBC, le ministre de la santé Adonis Georgidadis a été confronté à des questions difficiles au sujet de son propre passé politique en tant que membre du parti ultra-nationaliste LAOS , dont le chef est largement connu pour sa rage antisémite et ses tirades contre les immigrés. L’ancien ministre PASOK de la Santé Andreas Loverdos a une fois fait référence à l’Aube Dorée comme le "premier mouvement authentique né après la dictature".

En ce sens, nous ne devons pas oublier que, pas plus tard qu’il y a deux semaines, l’élite politique et l’ensemble du spectre des médias contrôlés par les grands groupes économiques flirtaient encore ouvertement avec l’idée d’une future coalition gouvernementale impliquant une Aube Dorée " plus sérieuse ". Plus tôt cette année, Panagiotis Psomiadis, une figure de proue de la Nouvelle Démocratie (le parti conservateur dominant la coalition gouvernementale - NdT), s’est ouvertement exclamé que " La Nouvelle Démocratie et l’Aube Dorée sont des partis frères." Et cette semaine, Nikos Dendias - le ministre de l’Ordre public qui a affirmé avoir été " consterné " par l’assassinat néo-nazi de Pavlos Fyssas - a ordonné à la police anti-émeute de réprimer violemment une manifestation essentiellement pacifique de 50.000 manifestants antifascistes, empêchant la marche d’atteindre le siège de l’Aube Dorée et protégeant ainsi ce parti d’une expression légitime de l’indignation populaire .

Enfin, nous ne devons pas oublier les leçons de l’histoire du nazisme en Allemagne. Adolf Hitler a également été arrêté par les représentants de la République de Weimar en 1924, avant d’être nommé chancelier par cette même élite politique en 1933. Hitler a utilisé son temps en prison pour organiser son mouvement et dicter le premier volume de Mein Kampf. Tandis que l’Etat capitaliste s’effondrait autour des murs de sa cellule, les pogroms nazis continuaient alors même que la direction officielle du parti était emprisonnée. Si la Grèce veut éviter un scénario similaire, il faudra beaucoup plus que la seule arrestation de dirigeants de l’Aube Dorée. Pour vaincre réellement cette maladie, le fascisme doit être combattu à ses racines mêmes, dans l’Etat capitaliste qui l’a engendré.

Publié le 28 septembre sur le site roarmag.com

Traductions françaises pour avanti4.be : Jean Peltier

ROAR Magazine est un média en ligne créé à Oakland (Californie, USA) en 2010 pour "tenter d’apporter une contribution à la vague de soulèvements dans le monde en partageant librement l’information et l’inspiration de ces mouvements, à travers les informations, les histoires, les analyses, les idées, les actions, les livres, les poèmes, les chansons, les photos, les vidéos et les rendez-vous les plus inspirants venus des lignes de front du Mouvement pour une Démocratie Réelle". ROAR est édité par Jerome Roos, un écrivain, militant et auteur de film d’Amsterdam qui est également chercheur à l’European University Institute à Florence.