23 septembre 2012
Les secteurs les plus conservateurs du monde musulman et du christianisme étatsuniens tentent de relancer le « choc des civilisations » en utilisant comme instrument un film anti-islam. Les médias focalisent l’attention sur les protestations contre ce film alors que d’autres manifestations et grèves sans contenu religieux et où participent des milliers de personnes sont ignorées.
Au cours de ces derniers mois, des milliers de personnes ont protesté en Egypte contre le Fonds Monétaire International, pour un enseignement public digne, pour un salaire minimum et pour que les responsables de la Junte militaire et les criminels de la dictature soient jugés et condamnés. Il y a eu des affrontements violents contre les forces répressives lors de ces mobilisations, des arrestations, des blessés et même un mort. En Tunisie également ont eu lieu des grèves et des protestations politiques. Cependant, on a à peine parlé d’elles dans les médias occidentaux.
Par contre, les manifestations organisées contre un film anti-islam ont fait la une de tous les médias. En quelques jours à peine, cette sur-médiatisation a remis l’image du « choc des civilisations » au goût du jour dans le débat public international.
Comment est-il possible qu’en si peu de temps le discours sur la situation actuelle au Moyen Orient se soit homogénéisé à ce point ? Qu’y a-t-il derrière ce film contre l’Islam ? Es-ce qu’il constitue l’unique cause des protestations ?
Ce serait une erreur d’ignorer l’impopularité des Etats-Unis dans le monde arabe et musulman et d’attribuer uniquement et exclusivement au film ant-islam l’origine des protestations.
Comme l’indique Shadi Hamid, directeur de recherches au Centre Brookings ; « Obama dit que tout cela est contre un film et pas contre la politique étatsunienne. En réalité, c’est plutôt l’inverse ».
Nous soulignons ci-dessous quelques éléments qui remettent en question certaines généralisations :
1. Libye : 11 septembre et riposte à une attaque de drones
En Libye, l’intervention militaire étrangère, avec l’entrée d’armes provenant de pays comme le Qatar, a laissé derrière elle une société terriblement militarisée, avec des milices armées qui s’affrontent entre elles pour le contrôle des territoires. Certaines d’entre elles sont islamistes et ont reçu une aide militaire des forces de l’OTAN.
L’attaque contre l’ambassade des Etats-Unis dans la ville de Benghazi s’est produite à une date particulière : le 11 septembre. Al Qaeda s’est attribué cet attentat – dans lequel ont été tués quatre fonctionnaires étatsuniens, dont l’ambassadeur Cristopher Stevens – et l’a justifié comme une riposte à l’assassinat extra-judiciaire d’Abu Yehia al-Libi, numéro deux de l’organisation, mort deux jours auparavant lors d’une attaque étatsunienne avec des avions sans pilote (drones) au Pakistan.
Le modus operandi de l’attaque contre l’ambassade à Benghazi laisse penser qu’il s’agissait d’une opération planifiée depuis un certain temps et non d’une réaction spontanée face à la diffusion sur Internet du film anti-Islam. C’est ce qu’ont admis plusieurs sources officielles étatsuniennes.
2. Tensions en Egypte
Il existe depuis un certain temps des tensions politiques et sectaires en Egypte, ravivées ces dernières semaines par des secteurs proches du régime de Moubarak afin de déstabiliser le pays en faisant planer le spectre d’une guerre de religions qui permettrait de justifier le retour de l’ancien régime.
Ce sont des forces de sécurité égyptiennes elles-mêmes – dans un pays où l’armée reçoit chaque année 1,3 milliard de dollars de Washington – qui ont perpétrés des actes de violence contre des chrétiens coptes.
L’événement le plus dramatique, connu comme le « massacre de Maspero », a eu lieu en octobre 2011 quand des forces de sécurité égyptiennes ont tué 28 manifestants, la majorité chrétiens, dans un acte de claire persécution contre cette minorité religieuse.
3. Impopularité des Etats-Unis
Un autre élément qu’il ne faut pas oublier afin de comprendre les protestations dans la région est lié à la mauvaise image des Etats-Unis dans une zone où Washington pratique des interventions politiques et économiques largement impopulaires parmi la population, ainsi que des invasions militaires et des assassinats extra-judiciares avec des drones qui, ces dernières années, ont causé la mort d’au moins 3.000 personnes, dont de nombreux civils innocents.
4. Guerre en Afghanistan
L’opposition armée contre les troupes d’occupation en Afghanistan ne cesse de croître, même des membres des forces de sécurité afghanes entraînés par les Etats-Unis participent à cette résistance. Ces attaques sont menées depuis plusieurs années, bien avant l’existence du film contre l’Islam et elles se sont accrues au cours de ces derniers mois.
Le 27 août dernier, des milliers de travailleurs égyptiens sont sortis dans les rues pour exiger des salaires dignes et l’amélioration des conditions de travail. Les forces de sécurité ont ouvert le feu. Un jeune de 27 ans fut tué et plusieurs autres blessés. Mais cet événement est passé totalement inaperçu dans la majorité des médias occidentaux.
Après cela, de nouvelles protestations politiques ont été organisées par des enseignants, des étudiants, des transporteurs et des ouvriers de plusieurs usines du pays.
« Pendant que les médias internationaux sont toujours obsédés par les manifestations contre le film, de larges secteurs du pays sont en grève, mais personne n’en parle » s’indignait il y a peu l’activiste égyptien Hossam El-Hamalawy.
Les grèves qui ont lieu dans plusieurs villes d’Egypte n’ont reçu aucune attention des médias. Mais quand 1.200 personnes se rassemblent sur la Place Tahrir contre le film anti-Islam, deux jours après les protestations face à l’ambassade des Etats-Unis, cela devient une information digne d’être relayée.
« Qui tire profit de ce film et des protestations contre lui ? » se demandait il y a quelques jours le journaliste égyptien Hani Shukrallah. « Je suis chaque jour plus convaincu que ce qu’on appelle la « haine des musulmans » n’est rien d’autre qu’une campagne orchestrée et financées par des pétrodollars, une contre-offensive face aux révoltes arabes » répondait-il dans un article publié sur Al Ahram online.
Ces derniers jours, ces conjectures se sont répandues de bouche à oreille dans tous les pays arabes. « Ceux qui en tirent profit sont les fondamentalistes islamiques et les fidèles des anciens régimes en Libye et en Egypte, ceux qui soutenaient Moubarak et Khadafi » nous a affirmé la journaliste égyptienne Sahira Amin.
« Plus il y aura d’ambassades étatsuniennes attaquées et plus le candidat républicain Romney aura de meilleures possibilités de gagner les élections présidentielles » alertait sur le Net la blogueuse égyptienne bien connue « Suzee in the city ».
Le fait que les autorités égyptiennes elles-mêmes ont admis que certains manifestants avaient reçu de l’argent pour protester face à l’ambassade des Etats-Unis a relancé toutes les spéculations.
« Les principaux bénéficiaires de tout cela sont les ennemis des révoltes de 2011, y compris Israël » affirme le journaliste Shukrallah. « L’objectif de ce film était de provoquer des réactions violentes afin de récupérer le vieux discours raciste et orientaliste avec lequel on dépeint souvent le monde arabe ». Et d’ajouter : « Le plus triste c’est qu’il y a toujours des fanatiques prêts à tomber dans un tel piège ».
« Je ne crois pas que la prétendue « haine musulmane » ait besoin d’être orchestrée. Nous parlons de quelques milliers de manifestants à peine parmi les millions d’arabes musulmans existants » a souligné l’activiste égyptien Tarek Shalaby.
D’autres activistes ont également souligné le caractère minoritaire de ces protestations et ont déploré les tentatives faites pour les comparer aux révoltes de 2011. Dans les soulèvements populaires de l’année dernière participaient des millions de personnes, face aux quelques milliers – et dans certains pays quelques centaines – de manifestants qui sont sortis pour protester contre le film.
Même ainsi, l’aile la plus conservatrice du républicanisme étatsunien, aidée par plusieurs médias, a essayé de mettre sur un même plan les deux phénomènes, laissant entendre que les revendications laïques et politiques de l’époque qui exigeaient « le pain, la liberté et la justice sociale » se sont transformées en exigences fondamentalistes islamistes.
Pire encore, bon nombre de commentateurs en ont profité pour défendre une thèse que les révoltes de 2011 étaient parvenues à expulser du débat public, thèse selon laquelle l’Islam et la démocratie sont incompatibles. Autrement dit, les pays arabo-musulmans doivent être guidés par des dirigeants autoritaires qui acceptent les conditions imposées par les nations occidentales.
Le terme de « haine musulmane » utilisé comme titre pour la une de la revue étatsunienne Newsweek, est devenu un hashtag sur twitter, où des milliers d’internautes du monde arabe et musulman s’attaquent à l’islamophobie et échangent leurs critiques sur le traitement que les médias font d’événements qui ne correspond pas à ce qu’ils dépeignent. La lecture des blagues qui y circulent et très recommandable.
Le film et les violents incidents qui y sont lié entrent en scène en pleine campagne électorale pour les présidentielles aux Etats-Unis et le Parti républicain tente d’en bénéficier.
Le Moyen Orient s’est, de facto, transformé en instrument électoral contre le président Barack Obama, que les plus ultras qualifient de « communiste » ou de « musulman ». Le conservatisme religieux et républicain alimente toutes les thèses réductionnistes et tous les stéréotypes sur le choc des civilisations et des religions.
Le candidat républicain Mitt Romney a reproché à Obama sa mollesse avec l’Egypte et a critiqué la Maison blanche pour avoir condamné le film. Le sénateur républicain Jon Kyl a été jusqu’à comparer la condamnation du film avec l’attitude de ceux qui culpabilisent la femme violée, et non le violeur, pour avoir été violée.
Derrière le film anti-Islam se trouve Nakoula Basseley Nakoula qui, dans une interview, s’est présenté comme un juif israélien utilisant le pseudonyme de Sam Bacile. Par la suite, plusieurs informations ont indiqué que Nakoula serait en réalité d’origine égyptienne et chrétien copte.
Nakoula a compté sur l’aide d’un producteur de films pornographiques, Alan Roberts, et de plusieurs acteurs qui pensaient participer à un film sur l’ancienne Egypte et ignoraient son contenu islamophobe.
Le film a été défendu aux Etats-Unis par le pasteur controversé de Floride, Terry Jones, par l’avocat chrétien Maurice Sadek et par l’activiste évangéliste chrétien Steve Klein, un vétéran de la guerre du Vietnam, islamophobe et extrémiste de droite qui affirme avoir encouragé Nakoula à faire le film…
Article publié sur Eldiario.es et reproduit sur : http://www.anticapitalistas.org/Mas-alla-de-una-pelicula-contra-el
Traduction française pour Avanti4.be